Télévision 26 déc 2018

« C’est dans l’écriture qu’on sent le potentiel d’une série innovante »

Le 29 novembre 2018, la SACD accueillait Fabrice de la Patellière, directeur des fictions françaises de Canal+ pour une rencontre avec les auteurs.

 

« Canal+ se distingue par l’originalité de ses séries, note d’entrée de jeu Pascal Rogard, directeur général de la SACD : Engrenages ou Braquo ne passeraient pas en prime time sur les chaînes hertziennes. Vous avez une liberté que ne connaissent pas les chaînes en clair. Mais vous faites également face à la nouvelle concurrence des plateformes comme Netflix, qui investit dans la fiction pour ses 4 millions d’abonnés. Pour vous donner un ordre d’idées, en termes de droits d’auteur payés à la SACD, Netflix est aujourd’hui au niveau de M6. Quelle est la ligne éditoriale de la fiction de Canal+ dans ce nouveau contexte ? »

Des séries « remarquables »

« On nous demande régulièrement quel type de séries nous cherchons, c'est délicat de donner une réponse simple, commence Fabrice de la Patellière. Nous voulons des séries remarquables, dans tous les sens du terme : modernes, innovantes, qui étonnent et sortent de l’ordinaire. Et en premier lieu c'est dans l’écriture que l’on sent le potentiel d’une série innovante. Nos abonnés attendent de nous des risques et de l’inattendu. Face à une concurrence toujours plus importante, nous avons besoin de propositions fortes, claires, immédiates, qui créent du désir et de l’attente. L’offre de séries pléthorique rend le téléspectateur de plus en plus sélectif. »

Le responsable de la Création originale de Canal+ cite l’exemple du succès du Bureau des légendes : « Dans l’univers des services secrets, en soit original, Éric Rochant a travaillé autour d’un personnage d’agent qui va être amené à trahir son service et son pays. La proposition est claire, narrative. Elle fait d’emblée travailler l’imagination. Le choix de Mathieu Kassovitz pour l’incarner ajoute à l’intérêt du sujet, et le tout forme une vraie proposition. Nous avons besoin de ce type de points d’entrée pour vendre la série aux journalistes et aux abonnés. Et si nous défendons un certain réalisme, nous ne sommes pour autant ni dans la chronique ni dans le documentaire, car nos personnages principaux sont romanesques. Avec l’expérience, grâce aux audiences, mais aussi aux études qualitatives, nous savons mieux comment les séries sont reçues par les abonnés. » Et les comportements des abonnés continuent d’évoluer puisque la consommation à la demande (MyCanal) représente aujourd’hui la moitié de la consommation classique.

En 2017 et 2018, la Création originale de Canal+ a diffusé six séries dans l’année, en prime time dans la case du lundi soir. L’enveloppe globale est de 65 millions d’euros, dépassant le niveau d’obligations de production de la chaîne payante. Ce budget est appelé à augmenter puisque huit séries sont prévues en diffusion en 2019 et une dizaine par an dès 2020-21.

Nouveaux thèmes, nouveaux genres

« Face à la concurrence énorme des plateformes comme Netflix, nous avons besoin de séries puissantes, explique Fabrice de la Patellière. C’est le sens de notre engagement dans la coproduction européenne Young Pope avec Paolo Sorrentino. Nous travaillons également avec l’équipe de Gomorra sur une mini-série adaptée d’un livre de Roberto Saviano sur le trafic de cocaïne. ZeroZeroZero est une coproduction naturelle puisque le tournage se déroule entre la Calabre, l’Afrique et la Nouvelle-Orléans. Nous privilégions le genre, avec un projet de série western, et une série policière entre le fantastique et la science-fiction. Nous avons également envie de comédie, même si c’est particulièrement difficile d’être original dans ce domaine. Nous cherchons l’originalité et l’inattendu.» Les séries pour un public de niche peuvent également nourrir l’antenne avec de nouveaux sujets. « Ce sont des projets à diffusion moins large, à l’économie plus contenue, explique Fabrice de la Patellière. Nous travaillons ainsi sur une série dans l’univers du rap.»

Le polar indémodable

La septième saison d'Engrenages est en postproduction et la huitième saison en écriture. « C’est notre série la plus ancienne, la première que nous avions lancée et elle continue de gagner des spectateurs, rappelle le directeur de la fiction. Nous développons un projet ambitieux, écrit par Fabien Nury, qui mélange le genre policier et l’Histoire puisqu’il se déroule en 1900 à Paris. Les mini-séries thrillers comme Jours polaires ou Nox ont également bien fonctionné auprès de nos abonnés. Ce sont des séries de six à dix épisodes sur une seule saison, une offre qu’on souhaite élargir à des univers nouveaux. »

En réponse à deux questions de scénaristes présents dans la salle, Fabrice de la Patellière détaille également d’autres genres : « En ce qui concerne les séries historiques, nous avons été très contents de Versailles, qui a rajeuni et féminisé notre audience. Mais quand nous n’avions que six séries dans l'année, il était délicat de lancer deux séries historiques en parallèle. » L’animation ferait-elle partie des nouveaux formats ? « Non. Canal+ a travaillé avec le producteur Bruno Nahon sur un projet de série d’animation pour adultes mais nous ne sommes pas parvenus à monter le projet. L’animation pour adultes est un genre ambitieux, mais compliqué à produire et à diffuser. »

Enfin, la chaîne payante n’investit quasiment plus dans les unitaires, politiques ou historiques comme aux débuts de l’unité fiction. « Nous réfléchissons à la possibilité de mettre en place des anthologies, façon Black Mirror qui est une grande réussite. Sur une thématique forte, on peut éditorialiser en une collection 6 à 10 épisodes indépendants. » En général, la fiction de Canal+ privilégie les épisodes de formats de 52 ou 55 minutes.

Le fonctionnement de l’équipe de Canal+ fiction

Arielle Saracco dirige la création originale dans son ensemble. L’équipe artistique comprend six personnes : Fabrice de la Patellière, Pierre Saint-André, Véra Peltekian, Pauline Morineau, Morgane Perrolier, et une assistante, Fabienne Masson. Anne Litvine et Thomas Lambert s’occupent de la partie financière. Une équipe de lecteurs extérieurs et une dizaine de services de la chaîne interviennent sur les séries. « Nous sommes soutenus et encouragés par Maxime Saada, le directeur général de Canal+. Chaque proposition est lue par deux chefs de projet : l’interlocuteur du producteur, qui anime les réunions avec les auteurs, et un deuxième conseiller qui permet au responsable de partager ses questions et ses doutes. Je suis généralement le troisième œil. Aucun genre n’est attribué à chacun des conseillers, tout le monde change d’univers. »

Le scénariste Stanislas Graziani demande à l’invité quelle est la proportion des séries en développement par rapport aux six qui sont diffusées chaque année. « Une trentaine de séries sont en développement en permanence, lui répond Fabrice de la Patellière. Le ratio était de 30 à 40 % de projets qui n’aboutissaient pas, aujourd’hui, sans doute grâce à l’expérience, il est plus bas. Mais c’est logique : aujourd’hui, il faut être capable d’enchainer les saisons d’une année sur l’autre. Il faut concevoir l’écriture de façon à pouvoir enchainer rapidement les saisons, ce qui favorise les équipes d’écriture. »

Ce même scénariste fait part des difficultés des auteurs à faire lire leur projet par Canal+. « On nous conseille de passer par des sociétés de production fidèles, comme Capa, sous peine de ne pas être lus. » « C’est faux, affirme Fabrice de la Patellière : nous lisons tout, nous recevons les auteurs qui nous le demandent et il n’existe pas de liste de producteurs préférés. Nous avons effectivement un lien fort avec Claude Chelli qui a produit trois séries pour nous, mais nous lui avons aussi refusé plusieurs projets. L'année dernière nous avons reçu 350 propositions, certaines années jusqu’à 500. Nous répondons par mail, en essayant d’expliquer les raisons du refus ; nous passons une grande partie de notre temps à dire non. »

En ce qui concerne la durée du processus de réponse, la présence de Netflix oblige Canal+ à l’accélérer. « Je sais que j’ai fait attendre trop longtemps des auteurs et producteurs, avoue Fabrice de la Patellière. Notre objectif serait de répondre en un mois maximum. Il nous faudrait trois jours en une seule journée pour suivre les projets en développement, recevoir les producteurs et auteurs et répondre aux propositions. En revanche quand un projet est lancé en développement, on est obligé de répondre vite : il faut faire dix épisodes dans l’année… »

Devant cet afflux de projets et le manque de temps, les conseillers de programmes de Canal+ privilégient les propositions courtes. « Nous n’avons pas besoin d’une bible très détaillée, nous rencontrons des auteurs avec des projets en 10 pages. En revanche je ne recommande pas à un auteur de se présenter sans producteur. C’est le travail du producteur d’avoir des idées, de repérer des talents et des propositions. Nous les encourageons à nous contacter tôt, à ne pas investir trop de temps et d'énergie dans un dossier énorme. Certains producteurs peuvent nous appeler pour déblayer le terrain, nous demander si nous avons déjà une série en costumes ou sur tel personnage en cours… »

Vers davantage de productions déléguées ?

Les récents accords de Canal+ avec le monde du cinéma stipulent que StudioCanal peut maintenant agir comme producteur délégué de films mais aussi de séries. « Est-ce une nouvelle porte d’entrée pour les producteurs et les auteurs ? » demande Pascal Rogard.

« La logique du groupe média Vivendi est d’être présent dans tous les secteurs, de la production à la diffusion, souligne Fabrice de la Patellière. Un projet dont StudioCanal est producteur délégué génère des recettes réinvesties ensuite dans le groupe. Nous travaillons avec StudioCanal comme avec des producteurs extérieurs. On peut refuser des projets ou en accepter. Nous sommes en préparation d’une adaptation de La guerre des mondes avec le scénariste britannique Howard Overman, produite par Urban Myth/Studiocanal, et nous sommes sur le point de tourner l’adaptation de la série anglaise Fleabag avec Studiocanal Original dont ce sera la première production. Le changement réside dans la création au printemps dernier de cette structure de production de séries françaises dirigée par Dominique Jubin, qui travaillait auparavant avec nous. Mais la majorité de nos séries se feront toujours avec des producteurs indépendants. » Même si Pascal Rogard remarque que la chaîne Canal+ a toujours demandé l’augmentation de sa part d’achat de programmes issus de producteurs dépendants du groupe, Fabrice de la Patellière souligne que leur intérêt est de maintenir un lien fort et privilégié avec la production et les auteurs indépendants.

« Certains auteurs ont signé des contrats d’exclusivité avec des plateformes, souligne un scénariste dans la salle. Ce n’est pas le cas des séries de Canal+, dont les réalisateurs sont souvent puissants et même showrunners. » Fabrice de la Patellière n’est pas d’accord. « Éric Rochant et Thomas Lilti sont deux contre-exemples, ce sont des réalisateurs de cinéma que nous sommes allés chercher. Je remarque plutôt que les scénaristes créateurs de séries voient leurs responsabilités élargies aujourd’hui. Les producteurs leur confient davantage de responsabilités que ce soit au casting, au choix des réalisateurs, ou au montage. Anne Langlois a obtenu cette place de showrunner sur Engrenages. Sur notre projet de série policière qui se déroule en 1900, le scénariste Fabien Nury a, de fait, un statut de showrunner : il a adoubé le réalisateur, il va intervenir sur la direction artistique… Même s’il existe encore et toujours des conflits sur les tournages, nous sortons de cette querelle entre scénaristes et réalisateurs. Mais effectivement, nous ne signons pas de contrats d’exclusivité avec des auteurs comme peut le faire Netflix. En revanche, Netflix achetant tous les droits des séries qu’ils produisent, nous avons besoin d’augmenter la durée de nos propres droits auprès des producteurs : nous devons alimenter MyCanal, en donnant accès à l’intégralité de nos séries à nos abonnés quand ils souhaitent regarder plusieurs saisons successivement. »

Patrick Vanetti, directeur du CEEA, cite les mini-séries d’anticipation, politiques et de science-fiction d’Arte. « Voyez-vous une proximité éditoriale avec cette chaîne en dehors de la différence de moyens et de la durée des saisons ? » « Nous nous sentons proche d’Arte, acquiesce Fabrice de la Patellière, leur démarche est passionnante. Mais ils ont une approche davantage orientée "auteurs". Petit Quinquin c’est génial mais ça reste arty. Ad Vitam de Thomas Cailley c’est intéressant mais on n’aurait pas fait de l’anticipation de cette manière-là. Nous avons besoin de davantage de force et d’efficacité. »

« Manque-t-il des compétences aux scénaristes français, et si oui lesquelles ? » continue Patrick Vanetti. « En 20 ans le niveau de la fiction française s’est beaucoup amélioré, souligne Fabrice de la Patellière. Elle se vend mieux à l’étranger. Là où les Anglo-Saxons restent meilleurs que nous, ce n’est pas sur l’imaginaire mais sur la technique. A 35 ans, certains scénaristes anglo-saxons ont écrit 25 épisodes d’une heure pour 15 séries différentes ! Les Français ont moins d’expérience, parce qu’il y a peu de chaînes, et qu’elles réclament souvent la même chose, de la série bouclée notamment. Mais là encore, les choses changent ! » 

Valérie Ganne

 

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