Théâtre 06 mar 2020

François Bégaudeau : "La justesse obsède les artistes"

Le romancier et dramaturge était à la SACD le 3 mars pour évoquer son oeuvre théâtrale en compagnie du journaliste Olivier Barrot, pour un nouveau numéro de Mots en scène.

 

Connu du grand public pour son roman Entre les Murs, et sans doute plus encore, pour l'adaptation cinéma qu'en tira Laurent Cantet dans laquelle il jouait le premier rôle et qui remporta la Palme d'or à Cannes en 2008, l'écrivain et essayiste François Bégaudeau est également l'auteur de nombreuses pièces. A l'invitation de la SACD pour Mots en scène, le cycle de rencontres de la SACD consacré à l'écriture dramatique, il a accepté de revenir sur cette partie de son oeuvre en compagnie du journaliste Olivier Barrot. 

Adaptations

Avant d'en venir aux pièces écrites par l'auteur, il a d'abord été question de deux de ses textes montés au théâtre mais qui ne s’y destinaient pas au départ. A commencer justement par Entre les Murs qui fut adapté en 2019 par François Wastiaux. François Bégaudeau accorda d'autant plus sa bénédiction à ce projet qu'il ne fut aucunement conditionné par le succès de l'ouvrage et du film. François Wastiaux, proche des Editions Verticales, l'éditeur historique de François Bégaudeau, fut fasciné dès la lecture des épreuves et donc avant même sa publication, par ce récit en partie autobiographique sur les années passées par l'auteur à enseigner le français en ZEP. "Sa proposition était très réjouissante, se souvient Bégaudeau : quelque chose de très théâtral avec une distribution uniquement composée d'adultes qui se partageaient indifféremment et alternativement tous les rôles, y compris ceux des élèves. Il prenait le contre-pied du film, qui est lui très naturaliste, en allant à l'os du roman : on s'intéresse moins aux clivages socio-économiques et culturels qu'à la violence du rapport scolaire en tant que tel. Il y a aussi plus d'éléments de comédie que dans le film."

Deuxième texte abordé, Jouer Juste, là encore pas initialement pensé pour la scène mais qui a trouvé à la grande surprise de son auteur plusieurs fois le chemin des théâtres, dans le sillage de la première adaptation signée Régis Bourgade. Basé sur une expression utilisée un soir de match de football par l'entraîneur d'alors du FC Nantes, Raynald Denoueix, pour motiver ses joueurs, le roman met en parallèle discours théorique sur le ballon rond et réflexion sur le couple. "C'est une proposition éthique sur le bien-être amoureux par un entraîneur de foot qui passe par un art poétique de la justesse, analyse Bégaudeau. C'est ça qui obsède les artistes, il me semble : atteindre une certaine justesse, le « viser juste »."

Délicate question du réalisme

En 2008, François Bégaudeau écrit sa première vraie pièce, pensée en premier lieu pour la scène : Le Problème. Un drame familial en temps réel, en une scène unique d'une heure trente, dont sourd une tension continue. "Le pari stylistique de la pièce était que la violence soit toujours retenue. L'émotion est plus forte si l'acteur la joue en-dessous. Et pour l'auteur c'est la même chose, il fallait écrire en-dessous : les personnages s'échangent beaucoup de banalités, mais les mots anodins disent autre chose." Pour François Bégaudeau, le réalisme n'est pas tabou au théâtre. "C'est un peu un cliché collectif que de considérer le réalisme comme une mauvaise chose au théâtre. Moi, j'aime les gestes concrets sur la scène. Une salade de riz sur un plateau de théâtre a quelque chose de fou, elle est chargée de quelque chose de plus que dans la vie. Dans une pièce que j'ai vue récemment, il y avait sur scène un vrai lavabo dont le public entendait l'eau couler quand un a des comédiens se lavait les mains. J'aime l'effet que ça peut faire sur le spectateur."  Mais la question du réalisme au théâtre est délicate admet-il et se juge au cas par cas. "La nourriture sur scène, par exemple, peut amener chez le spectateur des questions parasitaires : le comédien mange-t-il vraiment ? en profite-t-il pour s'éviter d'avoir à dîner ensuite ? etc... Je n'aime pas le nu sur scène et ce n'est pas un avis moral : je trouve que techniquement, là aussi, ça fait se poser trop de questions parasitaires au spectateur."

Épure beckettienne

Tout autre ambiance avec la pièce Un deux, un deux, co-écrite avec Mélanie Mary. Sur scène, un homme et une femme se répondent du tac au tac dans une conversation qui reprend selon les mots de François Bégaudeau, le B.a.-ba d'une relation amoureuse en égrenant tous ses passages obligés : "J'aime bien quand une pièce débute comme si le monde recommençait de zéro, s'inventait au fur et à mesure." Avec pour modèle, Samuel Beckett. "Au début chez lui, ce sont souvent des pages blanches, tout énoncé est pesé, interrogé. Il est allé de plus en plus vers l'épure dans son oeuvre." Sur scène dans Un deux, un deux, le couple multiplie les exercices de langage ludiques. "« Qu'est-ce ça veut dire vraiment ? », cela vous occuperait une vie cette question", s'amuse l'auteur. "La philosophie du dimanche finit par amener des questions plus importantes pour eux :  « Quelle est la véracité d'un Je t'aime ? »" Pendant les répétitions, François Bégaudeau et Mélanie Mary s'inquiétaient que la pièce tourne au mauvais Diablogues de Dubillard, qu'elle reste trop abstraite. Comme il le défend : "Les gens théorisent sur tout tout le temps. Y compris sur cette chose très organique et viscérale qu'est l'amour. En amour, le langage joue un rôle primordial : on glose, on commente... ll n'y pas plus théoriciens que des gens qui s'aiment."

Le trauma, "fausse piste émotionnelle"

Contagion est un titre forcément évocateur en ce mois de mars 2020 à l'actualité dominée par le virus Covid-19. Mais dans cette pièce de François Bégaudeau de 2016, c'est une autre propagation que l'auteur évoquait : celle de l'islamisme radical et des traumas laissés par les attentats parisiens de janvier et novembre 2015. Il s'agit d'une commande passée par la metteure en scène Valérie Grail que Bégaudeau commença par refuser. "Le 13 novembre, particulièrement, a eu un fort potentiel traumatique, pour les victimes évidemment mais aussi pour les Parisiens. Mais ce n'est pas pour autant qu'il y avait grand-chose à en dire. C'est une fausse piste émotionnelle. La littérature est à la ramasse sur ce sujet. Ce qui est fort dans la vie ne donne pas forcément l'art le plus puissant. Le livre de deuil est devenu un genre en soi mais peu d'ouvrages qui s'y essayent tiennent le coup."

L'an passé, un de ses textes de 2012, joué à Théâtre Ouvert quand il s'appelait encore Le Foie, a été remonté sous le titre Le Lien avec Pierre Palmade et Catherine Hiegel. En ce moment, sa dernière création tourne dans les centres dramatiques nationaux depuis sa création au CDN de Colmar dans une mise en scène de Matthieu Cruciani. Il s'agit de Piscines(s), lointainement inspiré de John Cheever et de son roman The Swimmer, adapté au cinéma en 1968 par Frank Perry avec Burt Lancaster. En tout, François Bégaudeau a vu près d'une dizaine de ses pièces trouver le chemin des plateaux, même s'il révèle en avoir écrit davantage. "Beaucoup de projets capotent en cours de route. J'ai trois chefs d'oeuvre en réserve si un metteur en scène m'entend", a-t-il plaisanté pour conclure ce numéro de Mots en scène qui aura donné un aperçu d'une oeuvre théâtrale aussi polymorphe que son auteur.