Hommage à Marcel Bluwal
Le réalisateur et metteur en scène nous a quittés le 23 octobre dernier à l'âge de 96 ans. Quatre anciens présidents de la SACD ont tenu à saluer la mémoire de celui qui fut l'un de leurs prédécesseurs à cette fonction, rue Ballu.Hommage de Christine Miller Wagner
Marcel Bluwal a d’abord été pour moi un choc !
J’étais jeune adolescente quand j’ai vu Dom Juan ou le festin de pierre, son adaptation pour la télévision du Dom Juan de Molière. J’en garde un souvenir inoubliable.
Pendant toute sa carrière, ce pionnier de l’art télévisuel signa de nombreux chefs d'œuvre qui le situèrent parmi les meilleurs réalisateurs et metteurs en scène de théâtre de son époque.
Né de parents juifs polonais, Marcel Bluwal a été marqué dans sa jeunesse d’abord par l’espoir né du Front Populaire, puis par l‘explosion de l’antisémitisme et par la guerre.
D’une famille de gauche, membre du parti communiste qu’il a quitté en 1981, il est resté sa vie durant fidèle à l’esprit de ses engagements politiques et culturels.
Difficile donc pour la jeune auteure que j’étais, quand j’ai été élue pour la première fois au Conseil d’administration de la SACD, de se retrouver face à un tel monstre sacré qui était alors le président de notre société ! Il en imposait, savait être chaleureux, drôle et attentif mais avait également une façon dérangeante de monter le ton pour imposer ses vues.
J’ai été souvent en accord avec lui sur sa vision de nos métiers mais quand j’ai osé l’affronter sur une idée différente de l’avenir de notre SACD… aïe, aïe, aïe !
Ah les colères de Marcel, il n’y avait qu’une réponse possible à faire : emprunter le mot d’esprit d’un des auteurs du conseil d’administration s’adressant à Jean-Claude Grumberg dont les coups de gueule étaient fameux eux aussi, et lui dire « Marcel, si tu cherches ta voix, sache qu’elle est dans mon oreille ! » Pour ma part, elle y est restée un moment !
Malheureusement, cette voix familière s’est éteinte, mais de Marcel Bluwal, il restera quelque chose de beaucoup plus puissant encore, ses œuvres, témoins de l’immense auteur qu’il a été et demeure.
Marcel, tu seras le grand absent de nos prochaines et rituelles commissions des présidents et tu nous manqueras.
Christine Miller Wagner
Image extraite d'une interview vidéo de Marcel Bluwal en 2008, à voir sur notre chaîne Dailymotion
Hommage de Jacques Fansten
Marcel, c'était d'abord, bien sûr, une haute idée de la télévision et de son rôle.
D'autres raconteront sa carrière, son talent, ses films innombrables et dont tant ont compté, ses mises en scènes de théâtre ou d'opéra, son amour des comédiens qui eux-mêmes l'adulaient, qu'ils aient tourné avec lui ou qu'il les ait formés au Conservatoire.
Je veux ici me souvenir de sa passion pour cet outil, la télévision, qu'il avait vu naître et qu'il avait amplement contribué à inventer.
Il avait cette foi, cet emballement, et parfois même cette arrogance, des pionniers. Il aimait raconter ce temps où tout était possible. Et, c'est vrai, il en fut l'un des très grands créateurs, avec une volonté farouche d'échapper aux carcans : sortant d'un Dom Juan magistral, qui allait devenir une référence, il choisit de se lancer dans un "feuilleton" populaire, genre un peu méprisé alors, une série dirait-on aujourd'hui, Vidocq, qui allait à son tour marquer des générations.
De cette télévision, il disait que, comme l'école, elle était républicaine.
Plus récemment, il confiait souvent son désarroi et sa tristesse que la télévision d'aujourd'hui n'offre plus l'ambition qui semblait être son essence même, et la liberté qu'elle lui avait si longtemps offerte.
Une haute idée de la culture.
Il aimait raconter son enfance de Parigot dans une famille d'émigrés où l'on vénérait les livres et la musique. Il en a retrouvé les échos en adaptant "Les Ritals".
Avec quelques uns, il a longtemps porté la conviction que la télévision, parallèlement à la décentralisation théâtrale ou aux MJC, en apportant à tous une culture jusque là réservée aux élites, allait changer le monde.
Une haute idée de l'engagement.
Avide de réponses à tout ce qui le révoltait, il aimait être catalogué "réalisateur communiste", même s'il n'a été membre qu'un temps relativement bref du Parti, comme on est d'une famille qu'on aime malgré tout.
Il aimait surtout pouvoir affirmer qu'il n'était pas de ces artistes bourgeois, sages et rangés.
Marcel était un rageur, cette rage était sans doute son moteur, mais il avait la rage généreuse.
Il a notamment été l'un des fondateurs du syndicat des réalisateurs de télévision. Les autres et le sort des autres l'intéressaient. Il était de tous les combats, il aimait se battre pour "les bonnes causes".
Une haute idée des auteurs et de leur société.
Je ne sais plus combien d'années il a siégé au Conseil de la SACD, il en a plusieurs fois été président, et je peux témoigner combien il a marqué son histoire.
Les réunions avec lui étaient toujours un bonheur d'intelligence caustique, d'ironie ou de colères, agrémenté d'anecdotes toujours passionnantes.
A chaque fois que je le croisais, au théâtre, à une projection, voire dans la rue, il commençait par demander "comment va la société ?".
Il s'affichait volontiers en homme de certitudes. Je crois que, plus souvent qu'on ne l'imagine, il en jouait, tellement il avait appris sur les plateaux à ne pas montrer ses doutes et à toujours foncer. D'ailleurs, quand il évoquait quelques unes de ses anciennes positions, il disait volontiers "j'en ai dit des conneries". Il y mettait une telle conviction qu'on avait évidemment envie de le contredire et de lui dire que, non, il avait raison. Sans doute en espérant que, pour une fois, il réponde enfin : "je suis d'accord avec toi."
Son besoin de plaire était immense. C'était un séducteur, mais de la plus belle espèce, celle de ceux qui le sont avec sincérité. Et, de toute façon, soyons franc, il avait tout pour plaire !
C'était une grande gueule, et j'en connais certains qu'il pouvait agacer. Mais je n'en connais aucun qui ne l'aimaient pas, d'une manière ou d'une autre.
C'est un privilège de l'avoir connu et de l'avoir côtoyé.
Jacques Fansten
Hommage de Sophie Deschamps
Tout est dit sur la carrière hors norme de Marcel Bluwal. L’homme aussi était hors norme.
Survivant de la rafle du Vel d’Hiv, grâce à un professeur de piano qui l’a caché avec sa mère pendant plus de deux ans, la paix revenue il fut toute sa vie un combattant, un militant de la culture pour toutes et tous.
La télévision naissante fut son terrain, son ring. Il a imposé sa vision du populaire avec l’exigence qui le caractérisait.
Cette exigence et sa sensibilité exacerbée s’exprimaient haut et fort. Je me souviens de ses colères homériques lors de débats organisés par la SACD. Nous étions jeunes, et c’était un spectacle qui nous réjouissait. Il était à la fois Cyrano, Dom Juan et Sganarelle. Lors des assemblées générales, nous attendions tous le moment où il interviendrait de sa voix de stentor. Un spectacle inoubliable.
« Vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus » qu’assène Beaumarchais par la voix de Figaro aurait pu être une réplique de lui. Il défendait les petits, les sans-grades, ceux que la vie malmenait.
Il s’est battu pour la culture, battu pour ses convictions, battu pour les auteurs.
Il était un homme de gauche, un vrai, un dur.
La première fois que j’ai été élue au conseil d’administration de la SACD, il était là, toujours assis non loin de la porte, il écoutait dans l’ombre, toujours attentif et toujours prêt à bondir dans la discussion. Il y avait Jean-Claude Carrière, rieur, incroyablement cultivé et poli, Jean-Claude Grumberg, drôle et tout aussi colérique que son ami Marcel, il y avait aussi Bertrand Tavernier, Pascal Dusapin etc. De quoi être impressionnée par les carrières et les talents réunis autour de cette table. Et quand ça bardait, ça bardait. C’était brillant, très sonore, les quelques filles présentes ne pouvaient se faire entendre au milieu de ces barytons en furie. C’était à la fois stupéfiant, formateur, comique et intelligent.
Marcel était un monument tant par son talent que par ses combats incessants. On le croyait éternel, en réalité, il l’est. Ce qu’il a su imposer à l’écran est un exemple que d’autres suivent et suivront.
Merci Marcel Bluwal d’avoir été cette légende vivante pour toujours dans nos mémoires.
Sophie Deschamps
Hommage de Laurent Heynemann
En premier lieu il me faut parler de son œuvre d’inventeur de la télévision de service public.
Marcel Bluwal a été de ceux qui ont exposé leur pluralité de goût, leur métier de praticien de l’audiovisuel, en prêtant leur talent à toutes les formes de ce que peut être le plaisir de faire de la télévision un outil populaire et culturel.
La mission était simple, il s’agissait d’aimer et de respecter le public, de promouvoir l’invention et la créativité, d’être proche des auteurs contemporains et passeur des gloires du passé.
Marcel Bluwal a montré, fait connaître, rendu attrayants Molière et Marivaux, Beaumarchais, Dostoïevski, Victor Hugo…
Et c’était cela, après guerre, qu’être un pionnier de la télévision. Car, si l’époque a salué les maisons de la culture, le théâtre populaire, le cinéma d’auteur et les conservatoires de musique, Bluwal fut de ceux qui firent entrer l’expression culturelle dans le quotidien des français.
Ancien de l’école de la rue de Vaugirard, Marcel Bluwal a débuté, comme beaucoup de ses confrères par les émissions à destination des enfants.
Puis vint l’époque des grandes dramatiques en direct, et je me permets de citer quelques uns des auteurs qu’il a adaptés pour le petit écran : Vildrac, Beaumarchais, Georg Büchner, Feydeau, Labiche, Courteline, Goldoni , Thorton Wilder, Samuel Beckett…
Marcel Bluwal est aussi connu pour avoir filmé, en extérieur et en décor naturel l’inoubliable Michel Piccoli dans Don Juan de Molière accompagné d’un Sganarelle percutant, incarné par Claude Brasseur.
Marcel a été le pionnier du feuilleton policier télé avec son Inspecteur Leclerc et le célèbre Vidocq.
Inventeur éclectique, Bluwal avec Tchernia (autre ancien président de la SACD), Dumayet ou de Caunes (Georges), a travaillé à des émissions de variétés comme « La Boîte à sel » « L’Ecole des vedettes », « Discorama », «Tête bêche ».
Bluwal a tâté aussi du cinéma, et il serait sans doute opportun de revoir Le Monte-Charge, d’après Frédéric Dard ou Le plus beau pays du monde (scénario de Jean-Claude Grumberg).
Et c’est avec Jean-Claude Grumberg comme scénariste également qu’il a réalisé Music Hall et Thérèse Humbert et je m’arrête là, tant il a mis en scène du théâtre, de l’opéra et tant il a réalisé de fictions dans tous les genres.
Bluwal a aussi laissé un grand souvenir comme enseignant au Conservatoire National d’Art Dramatique.
Si j’ai commencé cet hommage par un rappel de la diversité de son œuvre, c’est parce que cette exposition reflète aussi l’extraordinaire multiplicité de ses compétences et de ses préoccupations dans le domaine militant.
Comme président de la SACD, Marcel Bluwal a été l’homme de cette diversité et de cet éclectisme.
J’ai été membre du conseil d’administration de la SACD dont il était le président pendant plusieurs années et je peux témoigner avec beaucoup d’émotion que sa fougue et sa combativité étaient nourries par le fait qu’il connaissait intimement, personnellement, concrètement le théâtre privé, ses auteurs et ses propriétaires de salles. Il avait pratiqué le théâtre public et ses directeurs, et comme metteur en scène il fréquentait les maisons d’opéra et leurs responsables.
Il comprenait les arcanes de la télévision parce qu’il avait saisi et accompagné les mutations qui s’opéraient dans notre secteur, et qu’il avait réussi à s’adapter à la télévision privée et surtout aux producteurs privés de télévision.
Il gardait une haute idée du service public de télévision pour en défendre l’ambition.
Il était pour tout nos partenaires un interlocuteur crédible.
Marcel Bluwal était un Président autoritaire mais respectueux. C’était un garçon au verbe violent. Il savait se fâcher, mais en même temps il était d’une humanité et d’une bienveillance très touchantes.
Il s’est battu pour la modernisation de la Société, que ce soit sur le plan administratif ou technologique.
Les batailles restent permanentes et les engagements restent nécessaires.
Il en était plus que conscient.
C’était un combattant.
La Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques a besoin d’être de ces combats, les auteurs ont besoin de ces combattants.
Laurent Heynemann