Vous avez demandé la police ?
A l’occasion d’une rencontre organisée à la SACD les auteurs ont pu découvrir les services offerts par le ministère de l’Intérieur en matière de tournages et de conseil en développement de scénarios.Pascal Rogard, Jérôme Bonet, Catherine Moreau
C’est en 2011 que le ministère de l’Intérieur a ouvert ses portes aux tournages de films. « Nous accueillons des tournages sur tous les sites du ministère, c’est-à-dire ceux de la Gendarmerie, la Préfecture de police, la Garde Républicaine, les préfectures et sous-préfectures en régions. L’unité Valorisation encadre les tournages avec une règlementation et une tarification précises, les deux parties – le site du tournage et la production - signant une convention » explique Catherine Moreau, cheffe de l’unité Valorisation du patrimoine immatériel au ministère de l’Intérieur.
En parallèle un site internet propose également une plateforme d’échantillons de décors en métropole et en Outre-mer. Des décors d’une grande variété - de l’historique au très moderne en passant par les années 70 - mais aussi parfois atypiques, comme la sous-préfecture de Torcy par exemple, très futuriste. Des bâtiments bien sûr mais aussi des lieux extérieurs comme des camps d’entraînement. En fonction de la demande de la production, le service accompagne sa recherche et l’oriente vers les services spécifiques du ministère.
Déjà une centaine de tournages réalisés
Plus de 100 tournages ont ainsi déjà été réalisés sur des sites dépendant du ministère ; pour citer des productions récentes, Au revoir là-haut (d’Albert Dupontel) par exemple a été accueilli au camp de Beynes dit La frileuse où ont été reconstitués un champ de bataille et deux cimetières. Illégitime (de Renaud Bertrand) a été accueilli dans un commissariat de Roubaix, notamment dans la cellule de garde à vue, ce qui est assez rare. Des scènes de Tout là-haut (de Serge Hazanavicius) ont, elles, été tournées dans les décors naturels du peloton de gendarmerie de Chamonix. Le décor peut être une source d’inspiration comme ce fut le cas avec le hall d’accueil de la Préfecture des Hauts-de-Seine transformé en hall d’aéroport pour un tournage. « Les films ne sont pas forcément des films policiers, il peut aussi s’agir de comédies ou de séries politiques, comme ce fut le cas avec la première saison de Baron noir par exemple. Ils souhaitaient représenter des lieux de pouvoir. La préfecture des Yvelines à Versailles s’y prête particulièrement bien puisqu’il s’agit d’une reproduction similaire de l’Elysée. Mais ont aussi été investis l’hôtel préfectoral à Lille, l’Hôtel Nesmond à Bordeaux… De plus en plus de tournages se déroulent d’ailleurs en régions » précise Catherine Moreau.
A la tête du service d’Information et de communication de la police nationale Jérôme Bonet a eu une première vie de flic mais aussi, pour un temps, de scénariste (pour la série Sur le Fil France 2), ce qui le rend particulièrement sensible au travail et aux attentes des auteurs. « J’ai vécu des choses que vous connaissez : des programmateurs qui n’ont rien compris à votre série, des chaînes de télé qui ont des idées totalement saugrenues comme de faire se marier votre personnage de détraqué sexuel, des analyses d’audience où on vous apprend que vous avez terriblement déçu le spectateur alors que vous avez simplement fait différemment de ce qui avait été fait avant ! ».
Fiction, réalisme et crédibilité
Abordant le thème du réalisme il a indiqué que le débat n’était pas tout à fait tranché du côté des scénaristes. « J’entends souvent des auteurs dire vouloir faire quelque chose de très réaliste ; sauf que si l’on fait quelque chose de vraiment très réaliste c’est ennuyeux ! La question est plutôt de savoir si l’on veut faire quelque chose de réaliste ou de crédible. » Et c’est là que son service peut apporter de l’aide. Pour lui il est clair que l’univers des flics est très lié à la fiction, dans la tête des gens, des scénaristes mais aussi des policiers. « Dans un bureau de flic on a parfois une Déclaration des Droits de l’homme, toujours une affiche de cinéma et aussi parfois des affiches de sous-vêtements ! Le lien entre les flics et la fiction est extrêmement fort. Quand vous entriez comme flic dans un lieu comme le 36 Quai des orfèvres vous ne pouviez pas ne pas avoir dans l’esprit quelque chose de l’ordre de la fiction. La tenue s’adapte. On pouvait identifier les collègues selon leurs services. A la Crim’ on est bien habillé, aux Stups on est mal habillé ! Même celui qui ne va jamais sur le terrain ! Je n’ai jamais vu autant de fumeurs de pipe qu’à la Brigade criminelle... Cet aller-retour entre les deux mondes est permanent. »
Jérôme Bonet a tenu à souligner la grande complexité du monde policier (les services, les pratiques etc.) et la possibilité pour lui et son service d’éclairer les auteurs là-dessus, les conseiller, les orienter. « le premier service qu’on peut vous rendre c’est de vous expliquer qui fait quoi et à quoi cela sert. Aussi vous dire ce que l’on ne fait pas ; par exemple il n’existe pas de flics internationaux, contrairement à l’idée répandue. » Les auteurs peuvent être accompagnés dans le développement de leurs projets, bénéficier de conseils, de l’appui d’experts techniques et de relectures. « Avec nous vous pourrez peut-être pallier certaines choses, gagner en qualité, voire tester une idée. Au final le scénario reste votre travail propre et votre entière liberté ! L’idée n’est pas bien sûr de lisser vos scénarios mais de répondre à vos interrogations. »
Des immersions dans les commissariats et auprès des équipes de policiers peuvent être organisées. « Evidemment pas forcément dans un service anti-terroriste ou à l’Office anti corruption entre la garde à vue de deux personnalités politiques … ! » s’amuse-t-il à préciser. Autre argument : « Nous pouvons servir à éviter des erreurs qui, répétées depuis des années ont fini par apparaître comme vraies !... ». Il évoque également avec humour des « pratiques » dans la mise à l’image qui peuvent apparaître comme peu crédibles : « Il n’est pas forcément indispensable de mettre en permanence un brassard « police » au bras des policiers, même au bureau, ou de faire défiler sans cesse en arrière-plan des policiers pour qu’on comprenne bien qu’il s’agit d’une histoire dans la police ! Cela n’apporte pas grand-chose, cela travestit la réalité et cela prend un peu le téléspectateur pour un imbécile. »
Sortir des clichés
Autre sujet de taille : l’image du policier dans la fiction qui, pour Jérôme Bonet, est toujours un peu borderline. « Cet imaginaire est très fort chez vous scénaristes et vous n’avez pas forcément envie de venir nous voir, nous, l’institution, qui aurait un discours « propre ». Pourtant le flic infidèle, alcoolique, blanc, hétérosexuel, violent, raciste etc. est très loin de la réalité d’aujourd’hui. » Pour lui, il existe une richesse à venir chercher dans la réalité des choses, qui lui semble beaucoup plus importante. « Je croise beaucoup de sportifs dans la police, dans les séries beaucoup moins. Il existe des ressorts qui peuvent être intéressants sans aller du côté des clichés. On ne retrouve pas assez le fait que flic c’est très souvent un métier de potache, où l’on rit, on déconne, parfois jusqu’à certaines limites pas terribles, mais c’est comme ça. Le côté sacerdotal est aussi exagéré. » Et les choses changent aussi avec les nouvelles générations de policiers. « En tant que chef de police j’ai aujourd’hui beaucoup moins d’alcooliques et de types qui trompent leur femme et plus de gars qui rentrent chez eux le soir retrouver leur famille. On peut avoir des personnages très marqués - comme l’exige le scénario- mais qui ne sont pas forcément pathologiques ! On peut vous donner un regard sur le métier et la réalité sociologique des policiers, qui évolue, qui se féminise. Pour y trouver de nouvelles voies de travail et d’écriture. »
Peut-on présenter tous les scénarios ?
A la question de Pascal Rogard concernant les démarches concrètes possibles auprès de son service, Jérôme Bonet a indiqué qu’il s’agissait déjà d’avoir un premier contact (cf ci-dessous) au cours duquel on présente son projet puis une rencontre peut se faire, puis éventuellement une mise en relation, dans la mesure du possible avec les professionnels qui les intéressent. « Le top pour vous c’est l’immersion mais pour nous c’est assez lourd. Il faut en parler et voir ce qui est possible. On peut de toute façon vous faire rencontrer des policiers. Dans tous les cas le projet doit être assez avancé, bien au-delà du stade de l’idée » précise t-il. Il ajoute que pour ce qui concerne la préfecture de police, à Paris, il faut s’adresser à son service de communication, directement. Son service aura plus de facilité à vous orienter vers une BAC par exemple de Lille, Evry ou Marseille où il y aura aussi beaucoup de choses à voir.
A la question d’un spectateur sur l’accueil d’un film comme Les Ripoux au sein de la Police, Jérôme Bonet a répondu, au-delà du film lui-même : « Compliqué pour nous de vous accueillir si vous nous expliquez dès le départ qu’il s’agit de montrer le quotidien de policiers corrompus mais en même temps pourquoi pas ?... Aujourd’hui on a une approche de ces sujets-là plus transparente. Les pratiques de corruption sont de plus en plus dénoncées en interne et on assume beaucoup mieux qu’avant le fait qu’il puisse y avoir chez nous des dérives, ce qui est plutôt sain. C’est un sujet sur lequel certains travaillent ; j’ai déjà mis en contact une scénariste avec la directrice de l’Inspection Générale de la Police Nationale.»
A une autre question d’un auteur sur l’accueil qui serait réservé à un film mettant en avant des exactions commises par des policiers, Jérôme Bonet répond sans langue de bois : « Nous sommes ouverts ; si votre propos est clairement très engagé dès le départ au service d’une posture sans écouter les arguments, notre rencontre ne sera pas très fructueuse ; mais, si votre souhait est de comprendre comment des événements ont pu se produire, un contexte, des éléments qui peuvent vous nourrir pour écrire l’histoire que vous aurez envie d’écrire, nous répondrons à vos questions. »
Et la criminalité numérique ?
A la fin de la rencontre Pascal Rogard a demandé si la criminalité numérique faisait elle aussi partie des champs d’intervention. Pour Jérôme Bonet « c’est quelque chose qui est compliqué à rendre sexy à l’écran. Du flic français geek je ne suis pas certain que cela marque nos esprits. Pourtant la criminalité numérique devient présente dans nombre de nos enquêtes. La dimension numérique est partout, y compris dans les affaires de terrorisme. C’est un domaine où on laisse des traces et donc des preuves pour nous. La bonne idée viendra du pont qui pourra être fait entre le numérique et l’activité policière classique. Sur un plan scénaristique l’enquête sous pseudo par exemple est une idée géniale ! »
Caroline Collard
Contacts :
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Décors et lieux de tournage :
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