Viviane Reding : « La culture est l'ADN de l'Europe »
La députée européenne n'a pas mâché ses mots lors du débat sur le droit d'auteur organisé à Cannes pas la SACD et Canal+.Pour Bertrand Meheut, président du groupe Canal+, la stratégie de la Commission européenne pour le marché unique numérique pose des questions sur le financement des œuvres comme sur l’économie des télévisions. En cause : le développement de la portabilité des contenus c’est-à-dire la possibilité d’accéder à son abonnement depuis toute l’Europe et l’accès transfrontières aux œuvres.
La volonté affichée depuis près d’un an par la Commission européenne d’aboutir rapidement à une grande réforme du droit d’auteur a aussi surpris le cinéaste Costa-Gavras. Ayant lu la tribune publiée dans Le Monde par le Commissaire européen au numérique, Günther Oetttinger, destinée à rassurer les milieux du cinéma sur la défense de la diversité culturelle, Costa-Gavras a souhaité que cette déclaration d’amour à la création soit suivie de preuves d’amour et de propositions concrètes. Pour sa part, il en a formulé une : la nomination d’une personnalité européenne, qui connaisse à la fois les politiques du cinéma et qui ait un parcours politique reconnu en Europe, afin d’essayer de dégager, en lien avec les professionnels, de grandes orientations pour dessiner l’avenir de politiques culturelles, de plus en plus marquées par le numérique.
Des craintes ont aussi été exprimées face aux conséquences de cette réforme du droit d’auteur et de l’affaiblissement de la territorialité des droits. Charlotte Lund-Thomsen, représentante de producteurs de films et d’éditeurs vidéo, a notamment pris l’exemple des films de Lars von Trier et Thomas Vinterberg. Pour les films de ces 2 cinéastes danois, le montant des préventes réalisées sur d’autres territoires en Europe représente entre 25% et 60% du budget. Ces films existent grâce au financement apporté par la cession d’exclusivités territoriales partout en Europe. Si la vente territoire par territoire devient impossible, il y a de fortes craintes qu’une partie de la production européenne disparaisse.
Une autre conséquence de la fin de la territorialité des droits a été pointée par Rodolphe Belmer, directeur général du groupe Canal+ : elle aboutirait rapidement à une concurrence par les prix et à une industrie créative européenne qui se dirigerait vers le low-cost. C’est la stratégie inverse à celle que Canal+ souhaite développer en misant sur des contenus européens de classe mondiale. Pour y parvenir, il faut maximiser le financement des œuvres. La territorialité des droits a, à cet égard, fait ses preuves en apportant un financement important à la création européenne.
Pour Rodolphe Belmer, l’Europe prendrait un risque à faire émerger un système dans lequel les films devraient être vendus pour tout le territoire européen car aucun acteur européen de la télévision n’est encore prêt. Pour lui, la vision d’un marché unique européen de l’audiovisuel est une vision américaine qui ne pourrait profiter qu’aux GAFA américains (Google–Apple-Facebook-Amazon). Ils sont les seuls aujourd’hui à être capables de proposer une offre sur l’ensemble du territoire européen. Leur force tient aussi à la concurrence déloyale qu’ils ont mis en place en allant s’établir là où les impôts sont les plus faibles et en n’investissant pas dans la création.
En revanche, Rodolphe Belmer a estimé qu’il était facile d’imaginer des systèmes de portabilité des abonnements, notamment pour un temps limité. Partageant cet avis, Christophe Tardieu, directeur général délégué du CNC, a rappelé l’engagement des CNC européens, désormais rassemblés dans une association européenne sous la présidence de Peter Dinges, directeur du CNC allemand, à opérer un travail de pédagogie et de conviction auprès des institutions européennes pour permettre une meilleure compréhension des mécanismes de financement de l’audiovisuel et du cinéma. A la suite de la publication de la stratégie numérique de la Commission, il attend une clarification et des précisions sur les solutions qui seront proposées pour améliorer la circulation des œuvres transfrontières. Il espère aussi que la Commission prendra également des engagements conséquents sur des enjeux essentiels pour la création, comme par exemple le piratage.
Pascal Rogard, directeur général de la SACD et animateur du débat, a relevé qu’il était en effet très étrange d’envisager une réforme du droit d’auteur sans que la question de la contrefaçon, qui est le premier problème actuel du droit d’auteur, ne soit évoquée plus fortement par la Commission.
Ancienne vice-présidente de la Commission européenne, députée européenne, Viviane Reding a résumé son sentiment d’une formule choc : « La réforme du droit d’auteur est un sujet mort-né, il ne pose pas de problème. » Regrettant que l’Europe manque sur ce sujet de vision forte et se contente de « problèmes de vis et de boulons à serrer », elle a appelé les Européens à se pencher de toute urgence sur l’enjeu central : imposer une souveraineté numérique de l’Europe aujourd’hui inexistante, en particulier parce que les GAFA ne sont pas européens et ne veulent pas se conformer aux normes européennes.
Sa défense d’une politique ambitieuse dans le numérique s’est aussi accompagnée de déclarations fortes en faveur de la culture dont elle a considéré qu’elle était l’ADN même de l’Europe. Pour conclure, elle a estimé : « Ce n’est pas l’euro qui fait l’Europe, c’est la diversité culturelle. Si on perd la culture, on perd l’Europe. » Une conclusion qui a fait l’unanimité dans la salle.