Sébastien Thiéry : « J'aime que l'on soit désarçonné par mes pièces »
Comédien mais aussi auteur, Sébastien Thiéry est à la tête d'une œuvre théâtrale déjà riche, faisant coexister l'absurde avec la comédie de boulevard et n'hésitant pas à bousculer les spectateurs. Il était l'invité d'Olivier Barrot à la SACD le 16 mars dernier pour un nouveau numéro de Mots en scène.Lors de la dernière cérémonie des Molière, Sébastien Thiéry avait fait sensation en arrivant sur scène dans le plus simple appareil avant d'interpeller avec humour la ministre de la Culture et de la Communication d'alors, Fleur Pellerin. Olivier Barrot n'a pas manqué de plaisanter en ouverture du numéro de Mots en scène qui lui était consacré le 16 mars sur le fait que son invité était venu, "une fois n'est pas coutume", habillé. Pourtant, en acceptant en toute humilité et avec un franc-parler plutôt inhabituel de remonter le fil de son œuvre dramatique en sa compagnie, Sébastien Thiéry s'est, au moins par la parole, mis à nu face au public de la Maison des Auteurs de la SACD.
Tableaux surréalistes
"Très honoré et flatté" qu'on l'interroge ainsi sur son travail d'auteur, Sébastien Thiéry assure se sentir avant tout comédien. C'est en ce sens qu'il a écrit ses premiers textes, les recueils de sketches Sans ascenseur (2005) et Dieu habite Düsseldorf (2006). "Je n'avais aucune ambition d'auteur. Comme tous les acteurs qui passent à l'écriture, je voulais avant tout m'écrire de bons rôles." N'arrivant pas à accoucher d'un one-man-show, bloqué par une écriture monologuée qui ne lui convient pas, il se tourne vers la forme dialoguée. Ses goûts le portant plutôt vers l'absurde, il opte assez naturellement pour des tableaux surréalistes mettant le plus souvent en scène des personnages pris dans des situations tragiques et malgré tout incapables de se rebeller. "Je me suis écrit des rôles à la manière des auteurs que j'aimais : Jean-Claude Grumberg, Samuel Beckett, l'Allemand Karl Valentin que j'avais étudié au Conservatoire et qui m'avait beaucoup impressionné... Mais à moins d'être un poète comme Beckett, l'absurde s'épuise vite et se prête mieux au sketch."
Relire aujourd'hui des extraits de ses premiers textes laisse à Sébastien Thiéry un sentiment mitigé. "ll y a toujours chez les jeunes auteurs une volonté d'étonner, une arrogance à vouloir surprendre parce qu'on imagine à tort que les gens s'ennuient au théâtre." D'un autre côté, il apprécie la liberté d'écriture dont il jouissait dans ces sketches.
"Suicide commercial"
Les pièces plus construites qu'il a écrites par la suite ne se privent pourtant pas de prendre de sérieuses libertés, avec les codes du vaudeville par exemple, et avec les attentes des spectateurs. Dès Cochons d'Inde (2008), qui lui vaut le Molière de la pièce comique 2009, il met en place sa signature : du boulevard dans lequel l'absurde, son premier amour, fait irruption. Ici, c'est un homme initialement joué par Patrick Chesnais qui se retrouve prisonnier de sa banque, rachetée par une multinationale basée en Inde. Dans Le début de la fin (2012), le personnage de Richard Berry partage sa vie avec une octogénaire, qui se révèlera en fait du même âge que lui et qu'il voit simplement avec les yeux du désamour. Une fable cruelle sur l'usure du couple, qui comme souvent avec les pièces de Sébastien Thiéry, a pu déstabiliser une partie du public.
"Commencer comme un Feydeau et finir comme un Strindberg, c''était un peu un suicide commercial" constate-t-il sans la moindre amertume à propos de Qui est Monsieur Schmitt ? (2009). Cette pièce met en scène un couple de Luxembourgeois que l'on prend pour un autre, peu fréquentable, et qui se révèlera en fait en plein déni de réalité. Elle se terminait à l'origine par le suicide du personnage joué là encore par Richard Berry. Le comédien, qui la trouvait trop abrupte, finit par obtenir que cette conclusion soit échangée avec quelque chose d'un tout petit plus léger.
La chute de ses spectacles, sujet inépuisable de réflexion et de questionnement pour Sébastien Thiéry. Son cœur penche clairement en faveur des conclusions ouvertes. "Cochons d'Inde ne se finit pas vraiment. Pour les spectateurs, c'était un défaut. Mais le chemin parcouru par les héros m'intéresse davantage que leur point d'arrivée. Le principe de l'absurde c'est de poser des questions. Les résoudre, c'est rendre l'absurde bête."
Chercher à déstabiliser les spectateurs, c'est parfois prendre le risque de les choquer. Comme dans Deux hommes tout nus (2014) et ses détails parfois scabreux ou surtout, dans L'Origine du monde (2013), à ce jour sa comédie la plus noire. Dans cette pièce montée au Théâtre du Rond-Point dans une mise en scène de Jean-Michel Ribes, il s'imagine condamné à mourir s'il ne parvient pas à prendre en photo le sexe de sa mère jouée par Isabelle Sandoyan. Un spectacle qu'Olivier Barrot reconnaît avoir peu goûté à l'époque et qui l'avait à l'époque profondément dérangé. "J'aime que les gens soient désarçonnés par mes pièces", a répondu l'auteur avec malice.
Ouverture à une certaine sentimentalité
Dans sa dernière pièce en date, Momo, jouée jusque récemment au Théâtre de Paris dans une mise en scène de Ladislas Chollat et qui doit reprendre le 13 mai prochain, Sébastien Thiéry a néanmoins consenti, pour une fois, à ménager quelque peu ses spectateurs. Dans cette pièce qui voit le quotidien d'un couple (Muriel Robin et François Berléand) perturbé par l'irruption d'un homme qui se prétend leur fils, l'auteur s'ouvre à une certaine sentimentalité. Et dote l'intrigue d'une vraie fin. "Je l'ai piquée à Feydeau. Ce n'est pas ce que j'ai fait de mieux, mais au moins les gens sont contents. Je vois qu'ils ont besoin de ça. Les droits ont été achetés pour une adaptation cinéma et je pense que cette structure bouclée n'y est pas pour rien. Autant au théâtre les gens sont prêts pour de l'absurde, autant au cinéma, j'ai l'impression que l'on ne peut absolument pas se passer d'une fin. Le temps des Luis Bunuel, c'est terminé."
Depuis, Sébastien Thiéry avoue avoir du mal à enchaîner. L'auteur peine à écrire son prochain spectacle. Dans Momo, il tient le rôle-titre et parle un langage inventé, inspiré de la façon dont s'exprime son propre frère, malentendant. Une trouvaille dont il est fier mais qui l'a paradoxalement épuisé créativement. "J'ai du mal à faire mieux que cette langue que j'ai inventée. Je ne suis pas satisfait de ce que j'écris en ce moment. Je ne parviens plus à me surprendre moi-même." A moins qu'il décide de changer plus radicalement de registre : "Peut-être que j'irai vers quelque chose de moins drôle..."
Prochain rendez-vous de Mots en scène : Jacques Gamblin au mois de mai.