René Bonnell : 50 propositions pour réformer le modèle français
René Bonnell est venu, mercredi 15 janvier, présenter aux auteurs de la SACD son rapport sur « le financement de la production et de la distribution cinématographiques », dit aussi rapport Bonnell.Pascal Rogard et René Bonnell - crédit : SACD
Issu des travaux d’un groupe de professionnels, mis en place par le CNC dans la foulée des Assises de la diversité, ce rapport n’en est pas moins la synthèse de René Bonnell. « Lorsque les uns disent noir et les autres blanc, le gris n’est pas une synthèse », a souligné celui qui a travaillé pour Gaumont, Canal+ et France Télévisions. René Bonnell a ainsi tranché parmi les idées des uns et des autres, et assume, seul, les 50 propositions du rapport, propositions qu’il voit comme des pistes de réflexion en vue d’une concertation et non comme des « oukazes ».
Selon l’ancien directeur du cinéma de Canal+, le système français a énormément de vertus, en termes de production (2e cinématographie derrière les Etats-Unis) comme en termes de rayonnement, d’export ou d’emploi mais souffre de deux problèmes principaux :
- l’effritement des ressources sur lesquels il est construit (obligations des chaînes de TV, fonds de soutien), même si certaines mesures préconisées par le rapport viennent d’être votées par le Parlement (extension de la taxe vidéo aux opérateurs étrangers, et de la taxe sur les services de télévision à la télévision de rattrapage).
- la bipolarisation de la production avec une trentaine de films chers et plutôt bien financés même si leurs producteurs prennent parfois des risques importants, une quantité de films à moins de 1 ou 2 M€, et au centre les fameux « films du milieu » (4-7 M€) qui tendent à disparaître. Or, selon la récente étude sur l’économie des films français, réalisée par le CNC dans le cadre des Assises de la diversité, un film sur deux de cette tranche budgétaire est rentable, contre 1 sur 3 pour l’ensemble de l’échantillon.
Outre ces deux déséquilibres majeurs, René Bonnell a pointé le problème de la remontée de recettes et a vanté les vertus de la transparence, « pas seulement pour des raisons d’équité et d’honnêteté mais parce qu’elle est un redoutable levier d’efficacité économique et une puissante arme anti-inflationniste ». Réguler les rapports entre les différents acteurs de la filière est d’ailleurs, selon lui, « un des grands chantiers à mener ».
Il a regretté que l’attention des médias soit essentiellement portée sur le cachet des acteurs, mais a confirmé « un excès de rémunération d’une vingtaine de talents, metteurs en scène, scénaristes, interprètes, ou cumulant les trois fonctions ». Selon lui, cela ne poserait pas de problèmes si on était dans un système purement libéral à l’américaine, mais ce n’est pas le cas. En outre, la rémunération des talents pouvant aller jusqu’à 20-25% d’un budget, cela augmente le risque d’amortissement. Enfin, il préconise la suppression de la pratique de l’à-valoir sur intéressement, qui revient à présumer que le film sera forcément un succès.
Trois mesures pour la chronologie des médias
René Bonnell n’a pas détaillé l’ensemble des 50 propositions, mais en a évoqué une bonne partie, au fil des échanges avec les auteurs. Le directeur général de la SACD, Pascal Rogard, a ouvert le bal des questions, avec la chronologie des médias.
Pour René Bonnell, celle-ci est liée aux mécanismes de préfinancement et ne devrait s’appliquer qu’aux films qui en bénéficient. Pour les autres (un film sur trois), le producteur devrait pouvoir négocier les différentes exploitations, au moment où il le souhaite. Il préconise par ailleurs l’abandon du gel des droits VoD (pendant les fenêtres de Canal+ et des chaînes TV coproductrices), qui empêche le secteur de décoller et trouble le consommateur. Enfin, à l’instar de Pierre Lescure, il propose de ramener la fenêtre SVoD (VoD par abonnement) à 18 mois (au lieu de 36) sous deux conditions destinées à équilibrer les conditions de concurrence entre opérateurs nationaux et étrangers en VOD : une extension de la taxe vidéo aux opérateurs étrangers (déjà votée) et l’entrée en vigueur à l’échelon européen de la TVA du pays consommateur.
La branche production, en déficit depuis 3 ans
« Le tiers de films rentables permet-il d’équilibrer la branche ? » a demandé un auteur. La réponse est clairement non. Selon l’étude du CNC, la branche production présente un déficit de marché net (après aides) depuis trois ans, ce qui n’était pas le cas avant, épongé en partie grâce notamment aux recettes de catalogue.
Dans le meilleur des cas, le solde est bouclé par la production d’un deuxième film ou par un autre secteur d’activité (TV, pub, institutionnel), et sinon par les frais généraux non financés, les avances ou parts copro non récupérées, les aides non remboursées, les impayés (URSSAF, labos…), voire les faillites.
Pour René Bonnell, « la seule solution est donc de réduire les coûts » et redéployer les capitaux à l’intérieur de la branche. Trois mesures vont dans ce sens : remettre en vigueur un capital de 50 000 € en espèces (et non en apport de scénario !), attirer les capitaux dans la branche en proposant un alignement des intérêts avec le producteur et le distributeur, et transformer le régime des Sofica pour en faire de véritables sociétés coproductrices.
Développement : majorer les aides pour les entrants
Un auteur a demandé quelles étaient les propositions sur le développement, compte tenu de la tendance des jeunes sociétés à ne pas (ou mal) rémunérer les auteurs à ce stade. René Bonnell a dit son souci d’améliorer cette situation, tout en permettant aux jeunes producteurs d’entrer dans la branche. Il a imaginé un système de mutualisation de coûts de développement, qui permet aux producteurs d’accéder à plus de projets tout en réduisant les risques (avec une aide majorée pour ceux qui optent pour ce système). Dans son rapport figurent aussi des mesures incitatives pour le rapprochement des entreprises de production, afin de resserrer le tissu de production, qu’il juge « faible et dispersé ». Enfin, il souhaite que l’exigence d’accès aux différents soutiens publics soit renforcée pour les sociétés qui n’ont rien produit au bout de trois ans.
Nombre de films et diversité
« N’y a-t-il pas trop de films ? » a demandé un auteur. « Vous ne m’entendrez jamais dire qu’il y a trop de films, a répondu René Bonnell, mais il y a clairement un excès d’offre par rapport aux capacités d’absorption de la demande. En 10 ans, le nombre de films distribués a augmenté de 20% et le nombre d’écrans de 4%. Cela pose un problème d’adéquation. »
D’une manière générale, René Bonnell estime qu’ « il faut arrêter de stimuler l’offre sans se soucier des débouchés ». Avec 150 M€ d’aides sélectives, soit un niveau équivalent aux aides automatiques, on a atteint, selon lui, « une forme d’équilibre empirique ».
Et de citer quelques chiffres qui témoignent de la diversité à l’œuvre dans le cinéma en France : 620 films distribués par an (contre 400 aux Etats-Unis), dont 150 ne sont ni français ni américains, ni de l’Union européenne, un film français sur deux est un 1er ou 2e film.
« S’il manque quelque chose au tableau en matière de fréquentation, ce sont des films qui font entre 500 000 et 1,5 million d’entrées - et non comme on l’entend parfois des films à plus de 5 millions, difficiles à atteindre-, ce sont eux qui consolident la structure de la fréquentation. » Une des mesures proposées est ainsi de renforcer l’aide automatique à la production dans la tranche 0,5 -1,5 millions d’entrées.
Distribution : consolider la branche
En matière de distribution, la proposition phare du rapport est d’inclure les frais d’édition (copies et publicité) dans le devis du film, en contrepartie d’un accès des producteurs à un couloir sur la recette brute. Autre proposition : la possibilité d’une sortie vidéo, sous label, avec une aide sélective du CNC. Selon René Bonnell, les esprits ne sont toutefois pas mûrs. La proposition a en effet été très décriée lors de la présentation du rapport, le 8 janvier, ce qu’il a du mal à comprendre compte tenu des dégâts que peuvent provoquer une sortie à 3000 entrées France : un producteur dans le rouge, un metteur en scène frustré qui met 10 ans à faire son 2e film et le développement d’une idéologie anti-aides.
Enfin, l’exploitation (hors champ d’analyse) est traitée dans ses rapports avec la distribution. Réné Bonnell propose notamment de renforcer les engagements de programmation et de revenir à un minimum de gratuité pour les bandes annonces, en incluant celles qui restent payées par le distributeur dans l’assiette de la taxe.
Netflix-Google-Amazon : une nouvelle donne
A propos de Netflix, Google et Amazon, René Bonnell pense qu’ils respecteront un minimum de règles, à la fois pour ne pas avoir de problèmes politiques avec la France, et parce qu’ils peuvent bénéficier du modèle français. Le danger est, selon lui, plutôt économique. Le tarif de Netflix est tellement bas (8$/mois aux Etats-Unis) qu’il pourrait faire baisser la valeur des films.
Comme l’a expliqué Pascal Rogard, Netflix compte d’ores et déjà 80 millions d’abonnés et dispose donc de ressources énormes pour capter la production en amont. « Ils le font aujourd’hui sur les séries, comme House of Cards, mais ils pourraient aussi le faire dans le cinéma, ce qui priverait les chaînes européennes de programmes attractifs. »
Selon lui, Canal+ pourrait être contraint de baisser ses tarifs de monopole, ce qui impacterait l’ensemble du système, la chaîne représentant environ 20% du financement du cinéma.
Un rapport bien accueilli sauf chez Canal+
Après avoir vu Thomas Langmann critiquer le rapport au Grand Journal de Canal+, un auteur a demandé comment avait été perçu le rapport. René Bonnell a souligné le bon accueil de la part de la majorité des organisations professionnelles, et la volonté de l’Etat d’agir rapidement. Concernant les propos de Thomas Langmann et Alain Terzian, il dit être tombé sur deux personnes « violemment hostiles au rapport, qui avaient décidé d’en découdre », et qu’il n’avait pas envie de polémiquer, arguant que « ce qui est excessif est insignifiant ». Il préfère l’attitude plus constructive de se mettre autour d’une table pour chercher à résoudre les problèmes existants sans chercher à les nier, ce que font les opposants au rapport. Pascal Rogard a ajouté, que derrière les attaques de ces deux producteurs, on pouvait surtout entrevoir l’opposition de Canal+ à bouger la chronologie des médias.
B de M