Quel avenir pour le cinéma dans le monde des plateformes numériques ?
A l'occasion du Festival de Cannes, la SACD a organisé sur la plage du CNC un débat pour réfléchir et échanger sur les conséquences du développement des plateformes numériques (Netflix, Amazon..) pour la création européenne.
Ces nouvelles offres soulèvent des défis de taille, énumérés par Pascal Rogard, directeur général de la SACD et animateur du débat : ces nouveaux diffuseurs seront-ils aussi les nouveaux financeurs ? Peut-on garantir une exposition importante pour les films européens ? Comment les groupes de télévision et d’audiovisuel s’organisent-ils pour repenser leur offre dans un monde numérique ? Quelles règles mettre en place dans ce nouvel environnement numérique ?
Intégrer les plateformes dans l'écosystème du cinéma
Pour introduire les débats, Frédérique Bredin, présidente du CNC, a souligné combien ces nouvelles plateformes numériques étaient devenues des acteurs majeurs pour le financement et la diffusion du cinéma. Pour autant, selon elle, c'est désormais leur intégration dans l'écosystème du cinéma qu'il faut organiser. La force du système français réside justement dans sa capacité à s'adapter en permanence : le financement du cinéma, d'abord assis sur la salle de cinéma, s'est ensuite étendu à la télévision, à la vidéo, aux fournisseurs d'accès à Internet et à la vidéo à la demande.
Il est d'autant plus urgent d'associer les nouvelles plateformes au financement du cinéma que les acteurs historiques connaissent des difficultés réelles. Les dernières mesures votées par le Parlement vont dans le sens de cette adaptation. C'est le cas des taxes dites Netflix (pas encore validée par la Commission européenne) ou plus récemment YouTube.
Frédérique Bredin voit dans ces adaptations "un nouveau chapitre de l'exception culturelle" qui ne va pas sans générer des résistances de la part de ces nouveaux acteurs. Ils adoptent toutefois des stratégies distinctes : Netflix ne donne aucun signe positif et ne semble pas vouloir devenir vertueux. Ils ont d'ailleurs attaqué en justice la taxe que l'Etat allemand souhaite leur imposer pour financer la création. Le cas Amazon est très différent. C'est une entreprise installée et établie en France, elle paye également la taxe vidéo. Quant à Google, ce groupe semble comprendre qu'il y a une exception culturelle en Europe.
La diversité de la création, une richesse pour l'Europe
Pour le cinéaste Radu Mihaileanu, la défense de la diversité et de l'indépendance de la création sont et doivent être des marqueurs de l'Europe. Le génie français, selon lui, est d'avoir su trouver un équilibre entre le soutien au développement d'un marché et l'accompagnement de la création dans toute sa diversité. Il a également rappelé des principes qui doivent guider l'action publique : la réforme de la chronologie des médias est désormais un impératif ; il est nécessaire d'adopter des quotas d'exposition de la création européenne aussi élevé pour les plateformes de VàD que pour les chaînes de télévision ; il faut protéger le droit d'auteur et le droit pour les créateurs de bénéficier d'une rémunération proportionnelle ; enfin, la territorialité des droits doit être consacrée tout en veillant à mieux diffuser les œuvres.
C'est aussi le message qu'a voulu défendre Evelyne Gebhardt, vice-présidente du Parlement européen, à l'occasion du débat : la diversité est une richesse de l'Europe que le Parlement a toujours voulu protéger, de la même manière qu'il a toujours agi en faveur du droit d'auteur. Pour elle, les règles doivent évoluer avec Internet. En particulier, les plateformes doivent respecter les politiques culturelles qui existent dans chacun des pays dans lesquels ielles proposent leurs offres. C'est l'application du principe du pays de destination qui doit s'imposer.
Le numérique, un enjeu clé pour les opérateurs audiovisuels
Du côté des opérateurs audiovisuels, Michel Combes, président de SFR et directeur général d'Altice, s'est d'emblée félicité : "j'ai l'impression de faire désormais partie de la famille du cinéma, contrairement à l'an passé." Il a tenu à rassurer les professionnels en annonçant le respect de toutes les règles en vigueur en France, même si la plateforme de distribution des contenus du groupe est basée au Luxembourg. D'ailleurs, il a confirmé que 40% des films disponibles sur sa plateforme de VàD étaient maintenant des œuvres françaises, conformément a l'engagement qu'il avait pris à l'automne à Dijon. Altice, c'est un studio qui a la capacité de cofinancer des films et des séries et une plateforme de VàD qui compte 1,9 million de clients et 10 000 œuvres dont 1 200 films. En août, une chaîne Cinéma et Séries sera lancé pour conforter l'offre. Au-delà, il a annoncé vouloir aller plus loin en investissant davantage.
Michel Combes a identifié des freins à son développement : la chronologie des médias qu'il souhaiterait voir modifier afin d'avancer la fenêtre de vidéo à la demande par abonnement, aujourd'hui 36 mois après la sortie en salles, et de la lier à la fenêtre de télévision payante ; l'interdiction de la publicité sur le cinéma à la télévision qu'il considère comme anachronique.
Maxime Saada, directeur général de Canal+, a d'abord rappelé que beaucoup des initiatives de nouveaux opérateurs dans la télévision payante s'étaient soldées par des échecs ou des grandes difficultés : TPS, Orange, beIN Sports en sont selon lui des exemples. C'est pourquoi Canal + essaie de toujours avoir la meilleure proposition pour ses abonnés sans aller jusqu'à faire des dépenses irrationnelles. Les enjeux sont pluriels selon lui : la piraterie en est un qu'il juge très important ; l'équité entre tous les diffuseurs doit devenir une réalité, que ce soit en matière de fiscalité, de la contribution au CNC ou des obligations à l'égard de la création.
Concernant la chronologie des médias, Maxime Saada a proposé d'avancer la fenêtre de Canal+ mais aussi des autres fenêtres. En particulier, 36 mois pour la VàDA lui semble un délai un peu long. Globalement, il estime qu'il faut avancer avec prudence en se posant toujours la question de savoir si les changements n'apporteront pas des déséquilibres qui ne pourront pas être compensées par une création de valeur équivalente.
Le modèle Canal a beaucoup bougé déjà selon lui. Il pourra continuer à évoluer pour tenir compte aussi de l'évolution des usages. Déjà, 50% de la consommation des films sur Canal+ se fait en delinéarisé : "MyCanal devient essentiel."
Le service public entend aussi jouer un rôle dans ce nouvel univers numérique. A ce titre, Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, souhaite faire exister la création française en prenant pied dans l'écosystème numérique : "Le but ne sera pas de gagner de l'argent mais d'être un service OTT qui met en valeur les œuvres françaises." Elle s'est aussi fait l'écho d'une croissance forte des usages en non-linéaire : la série Dix pour cent a ainsi été vue en télévision de rattrapage pour 20% de sa consommation. Pascal Rogard en a profité pour déplorer que le service public n'ait toujours pas le droit de diffuser des films en télévision de rattrapage.
Prochainement, France Télévisions lancera son service de vidéo à la demande par abonnement. Mais, déjà Delphine Ernotte a souhaité poser 2 questions pour l'avenir : est-on capable de faire une plateforme européenne ? La francophonie, notamment en Afrique, ne peut-elle pas être un territoire de conquête ?
Pour conclure son intervention, elle a souhaité aussi rappeler son attachement aux principes et aux règles de la diversité culturelle : "Si on n'avait pas ces règles, on n'aurait pas aujourd'hui un cinéma et un audiovisuel aussi forts qu'ils le sont."
Pour une nouvelle régulation à l'heure du numérique
Pour Olivier Schrameck, président du CSA, l'enjeu principal et le plus urgent, c'est la révision de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels. C'est une opportunité pour conforter les règles qui protègent la diversité culturelle et la création européenne en garantissant notamment que les plateformes soient elles aussi assujetties à des obligations en termes d'investissement comme de diffusion. Comme Evelyne Gebhardt et Radu Mihaileanu, il milite pour l'application du principe du pays de destination. Selon lui, "les avancées sont réelles mais lentes". C'est pourquoi il a appelé à la mobilisation de tous pour peser dans les mois à venir.
Il refuse de réduire la question des plateformes numériques à un seul problème de concurrence économique. Internet est à la fois source de richesse et de liberté mais cela peut aussi être un outil de manipulation, de cloisonnement et d'enfermement. Les algorithmes, qui peuvent guider le consommateur et l'aider à choisir, peuvent aussi faire courir le risque de tarir la diversité de la création ou de réduire la curiosité du public. Il en tire pour conclusion qu'il faut passer d'une régulation économique telle qu'elle a été fondée au début des années 80 à une régulation renouvelée qui embrasserait tous les aspects (fiscalité, droit d'auteur, soutien à la création..). Cette régulation devra être souple et ouverte, et s'ouvrir à des mécanismes de co-régulation reposant sur des discussions entre professionnels.
En guise de conclusion, Evelyne Gebhardt a voulu rappeler que nous avons besoin de règles en Europe. "Sinon, c'est la loi du plus fort qui s'impose et c'est tout l'inverse de la liberté." Un message entendu par les participants, convaincus que la diversité culturelle à l'ère numérique doit être garantie, préservée et promue.