Philippe Minyana : la farce et le funèbre
Le dramaturge à l'écriture si singulière, drôle et dure à la fois, était l'invité d'Olivier Barrot pour un nouveau numéro de Mots en scène à la SACD le 14 décembre. A revoir en intégralité en vidéo.Pour commencer, Olivier Barrot a présenté une sélection d'ouvrages traitant du spectacle vivant. Deux idées cadeaux en cette période des fêtes tout d'abord, avec le 2e volume du Théâtre Panique (Wombat Editions) par Roland Topor et Les Sautes d'humour de Georges Feydeau (Payot). Plus essentiel et un beau cadeau également, Une saga du mime - Des origines aux années 1970 (Riveneuve) par deux des plus grandes artistes de la discipline, Pinok et Matho. Enfin, Olivier Barrot a recommandé Instants de théâtre (Tobu Bohu), un ouvrage de photos de spectacles prises par Laurencine Lot et commentées par Michel Corvin.
Une langue
Avant d'entrer dans le vif du sujet, Olivier Barrot a prévenu : impossible d'embrasser en une heure et demie toute l'oeuvre dramatique de Philippe Minyana, un auteur particulièrement prolifique. La rencontre s'est donc concentrée sur quelques-unes de ses pièces les plus emblématiques dont Chambres, Inventaires, Où vas-tu Jérémie ? ou Les Petits Aquariums, avec lecture d'extraits par l'intéressé, qui est aussi comédien.
Comme l'a souligné Olivier Barrot, le théâtre de Minyana, c'est d'abord un style, une langue qui se révèle différente selon qu'on la lise ou qu'on la dise. "Des comédiens sont souvent surpris que ce qu'ils avaient trouvé dur à la lecture se trouve être drôle sur scène. Or moi, j'avais souvent ri à l'écriture." Ne lui parlez pas de comédie ou de tragédie néanmoins... "Ce sont de vieux mots. Je ne sais pas ce qu'ils veulent dire. Moi, je préfère dire que je travaille sur la farce et le funèbre." D'ailleurs, dit-il, il est joué en Amérique latine, où il se doutait que ces deux notions seraient mieux comprises.
Faits divers et interviews
Interrogé sur le caractère très charnel, organique, de son œuvre, Philippe Minyana l'a attribué à une enfance sous le signe de la maladie, avec un background familial marqué par la souffrance. Il est un autre aspect de son travail dont il a été également beaucoup question, c'est sa propension à puiser dans le réel. Chambres, créée en 1986 à Théâtre Ouvert dans une mise en espace d'Alain Françon, s'inspire d'un fait divers qui se déroula à Sochaux, dans sa région d'origine. Une pièce étudiée au Bac dont il revendique encore aujourd'hui le sens du réel. "Il n'y a pas de pathos, de lamentation mais du cri, une logorrhée violente, il faut que ça sorte."
Pour Inventaires, mis en scène par Robert Cantarella en 1987, il interviewe trois femmes (dont la mère de Christian Schiaretti !) dont il espère tirer une vérité, inspiré par une œuvre du plasticien Christian Boltanski ("Inventaire des objets ayant appartenu à une femme de Bois Colombes", 1974). L'expérience se révèle décevante et il invente pour chacun de ses personnages joués par Edith Scob, Judith Magre et Florence Giorgetti, un objet qui les accompagnera sur scène et sera le témoin de leur existence. Fabriquer de la fiction à partir de témoignages est également au cœur de l'expérience Gang, sur un quartier défavorisé de Grenoble qu'il sillonne pendant un mois, ou des Guerriers, une pièce sur la guerre de 14-18 que lui inspirent des Poilus rencontrés dans des maisons de retraite.
Difficile à embrasser en une heure et demie, l'oeuvre dramatique de Philippe Minyana est de toute manière loin d'être complète. Elle se poursuivra la saison prochaine avec la complicité d'Edith Scob. Ces deux-là se sont rencontrés en 1982 et ne se sont plus quittés depuis. Il lui a offert des rôles, elle le mettra pour la 3e fois en scène. Rendez-vous pris pour 2017-2018.