Cinéma 21 juil 2022

Patrice Leconte : "Le truc qui me fait le plus horreur c’est de m’ennuyer"

Patrice Leconte a reçu en mai dernier le Prix Henri-Jeanson. Une distinction qui vient récompenser une carrière sous le signe de la curiosité. Entretien.

Avec Henri Jeanson, brillant scénariste de la Vache et le Prisonnier et Hôtel du Nord, Patrice Leconte partage beaucoup : une éclectisme de genres et de tons avec une affection marquée pour la comédie, une science du dialogue et même une prédilection pour les films d'une durée raisonnable. Ça tombe bien : le cinéaste auteur des Bronzés, de Ridicule et tout dernièrement d'un Maigret avec Gérard Depardieu, est le lauréat du Prix Henri-Jeanson 2020. Repoussée de longue date pour cause de pandémie, la cérémonie a pu se tenir à la SACD au printemps 2022. A cette occasion, Patrice Leconte est revenu avec générosité sur sa carrière. 

Patrice Leconte lors de la remise du Prix Jeanson

Existe-t-il plus auteur que vous ; auteur de tout, de cinéma bien sûr mais pas seulement, de théâtre, de BD, de romans ? Quel est le fil rouge entre tout cela ?

Le seul fil rouge que je me connaisse, c’est le plaisir. Au départ, et pour l’essentiel, ma vie c’est de faire des films. Mais inventer des histoires, donner forme à mes rêveries, m’a conduit à faire des choses très différentes. J’adore aller vers l’inattendu. Le truc qui me fait le plus horreur c’est de m’ennuyer. Si moi, je m’ennuie, je vais ennuyer les autres. Et le plus motivant, c’est de me lancer dans des choses que je ne suis pas sûr de savoir faire. Sur mon dernier film, j’avais envie de proposer mon Maigret, notre Maigret. J’étais quand même le cent-cinquante-huitième cinéaste, télévision et cinéma confondus, à m’y frotter. Ça fout un peu la trouille de s’attaquer à une figure aussi emblématique mais c’est stimulant. Il faut juste trouver sa petite musique à soi. 

Vous vous intéressez à tout, mais toujours avec mordant. Le Prix Jeanson récompense une forme d’insolence, est-ce quelque chose que vous revendiquez ? 

L’insolence, pourquoi pas… Mais dirigée contre moi-même alors. Je ne me sens pas supérieur à qui que ce soit. Je fais ce que je fais avec une passion que vous n’imaginez pas, je suis le contraire d’un dilettante. Mais je ne veux pas que ça se sache. Je travaille énormément sur les films que je fais, sur tout ce que j’entreprends ; je me pose des tas de questions, tout le temps. A l’écriture, bien sûr même s'il y a forcément des évidences. Quand c’est pas fameux, ça clignote rouge alors que quand on tient un bon truc, on le sait, il y a une idée qui scintille. Puis on continue à se poser des questions à chaque étape : lors de la préparation, des repérages, du casting… J’essaye toujours de pousser mon propre bouchon un peu plus loin. Mais donner l’impression que tout est facile alors que tout est difficile, ça, c’est pas mal. 

Est-ce un mantra qui vous est venu dès vos premières comédies ?

Faire rire au cinéma est très difficile. Vous jouez des scènes qui vous semblent très drôles mais vous n’en avez pas la preuve, il n’y a pas de public. Ça pour les acteurs, c’est quand même balèze : si tout se passe bien, ils vont parfois faire se marrer des générations entières, mais sur le moment, ils doivent se débrouiller sans les rires. Beaucoup pensent que Les Bronzés et Les Bronzés font du ski sont des films qui se faisaient comme ça, entre copains. Mais les membres du Splendid sont extrêmement professionnels. Sur ces films-là, il n’y a pas une demi-virgule d’improvisation. Pas une. Qu’on croie que c’est improvisé, c’est le comble de la grâce.

Qu’est-ce qui est différent au théâtre ?

J’ai toujours beaucoup aimé faire des mises en scène de théâtre. D’un seul coup on se retrouve entre nous, les comédiens et le metteur en scène. On se fiche de la météo. On est en tout petit comité et c’est ça qui est délicieux. En revanche, au cinéma tout ce que vous laissez derrière vous en cours de route est accompli. Le plan mis en boîte sera tel quel dans 10 ou 20 ans. Au théâtre, il y a une espèce d’incertitude. Si un soir les acteurs ne sont pas très en forme, ça bouge... On peut avoir cette petite frustration de ne pas tout contrôler. Et puis, il faut que les acteurs soient très rigoureux pour que les rires ne les poussent pas à la faute, ne les encouragent pas à en faire un peu plus que nécessaire. Au cinéma, on est peinard. 

Jeanson était un grand dialoguiste. Est-ce quelque chose qui vous tient particulièrement à cœur ?

Je passe du temps sur les dialogues, seul ou avec mes co-auteurs. Il y a un truc qui me travaille pas mal, c’est que dans la vie les gens ne parlent pas tous de la même manière. On a chacun nos expressions, nos tics de langage, notre rythme… Dans les films que dialoguait Michel Audiard - que j’adore, là n’est pas la question - tout le monde parlait comme lui, disait du Audiard quoi. C’était drôle et brillant souvent et aussi un peu assommant, parfois. Jeanson était très habile pour ça. Il ne donnait pas l’impression que les dialogues étaient écrits par une seule personne… Et ça, c’est très difficile. Ce qui fait heureusement un peu illusion, c’est que les acteurs arrivent avec leur personnalité. Ils se saisissent de vos dialogues. Ce sont toujours vos mots, mais passés au filtre de leur personnalité. On se rend moins compte que tout cela a été écrit par une seule plume. 

 

Patrice Leconte reçoit le Prix Jeanson

Patrice Leconte avec Jean-Xavier de Lestrade pour recevoir le Prix Jeanson

Cadrer certains de vos films vous-même, qu’est-ce que cela vous apporte dans le rapport aux comédiens ?

Je les cadre tous en fait. Jusqu’aux Spécialistes, ça me brûlait de faire ça mais je n’osais pas. Quand j’ai fait Tandem, qui était un petit film, avec une petite équipe, je me suis dit que celui-là, j’allais le cadrer. Je n’ai depuis jamais arrêté. Je ne pourrais plus faire de films sans les cadrer. Parce que je n’aime pas déléguer les images qui me trottent dans la tête. Et cela induit une complicité assez formidable avec les acteurs. Eux ils sont là, tous seuls dans la lumière, tout le monde les regarde. Ce qu’ils font n’est pas facile. Sur mes films, ils savent que le mec qui est derrière la caméra, c’est le type qui fait le film. Il n’y a que nous, quoi. Et quand après une prise, je peux aller leur dire un petit truc à l’oreille, une complicité, une intimité se crée. Ça peut être assez sensuel. Quand j’ai filmé Gérard Depardieu sur Maigret, scruter cette grande carcasse cabossée était très émouvant. 

Est-ce aussi par peur de vous ennuyer que vous tenez à faire des films courts ?

Tout à fait. Les films aujourd’hui sont de plus en plus longs et il y a un petit peu de prétention à penser intéresser un public pendant 2h30 ou 3 heures. A l’époque d’Henri Jeanson justement, les films duraient tous 1h20. Tous les films qu’on a adoré faisaient cette durée-là, c’était une espèce de norme. Depuis pas mal de temps on me dit « Patrice faut que tu fasses des séries, c’est super, tu vas avoir une, deux saisons, tu vas avoir 15 heures pour t’exprimer… » Mais moi au bout d’1h30 je flippe donc non, je ne veux pas faire de série.

Il n'y aura donc pas de deuxième Maigret ?

En aucun cas. On ne va pas faire Maigret fait du ski (rires). Et plus sérieusement, même une autre enquête du personnage, ce serait absurde. Notre Maigret, c’est celui-là.

Que vous reste-t-il à explorer ?

J’ai flirté un peu avec mais je n’ai pas totalement assouvi mon envie de faire un film musical. J’aimerais beaucoup exaucer cette rêverie de quelque chose de chanté et de dansé surtout, mais nos grands modèles ont été tellement brillants que ce n’est pas évident de se mesurer à eux. Peut-être qu’un jour je me lancerai. Si la réincarnation existe, je dis souvent que j’aimerais être réincarné en cinéaste à Bollywood parce que au moins là-bas, on y chante et on y danse.

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