Olivier Schrameck : « La révolution de la communication est aussi nécessaire que la révolution écologique »
A six jours de la fin de son mandat, le président du CSA est venu mercredi 16 janvier, à l’invitation de Pascal Rogard, rencontrer les auteurs pour évoquer son bilan et l’avenir de l’audiovisuel.
Olivier Schrameck était venu une première fois à la SACD en début de mandat avec la volonté de resserrer les liens avec les auteurs. Il a réitéré l’exercice au terme de son mandat pour parler des avancées et du chemin restant à parcourir. Entre temps, s’est nouée une collaboration étroite avec Pascal Rogard et son équipe comme avec « les sociétés sœurs et cousines », une collaboration qui a été pour Olivier Schrameck « le meilleur de son mandat ».
Pascal Rogard a rendu hommage au bilan d’Olivier Schrameck et souligné que si ce dernier n’avait pu faire aboutir la loi sur la liberté de la communication, il avait beaucoup œuvré aux côtés du gouvernement français au niveau européen, en particulier lors de l’élaboration de la nouvelle directive SMA, aboutissant à l’accroissement de la part minimale d’œuvres européennes dans le catalogue des SMAD ou à l’application des règles du pays ciblé pour les contributions financières à la production d’œuvres européennes.
Prendre en compte les auteurs dans la régulation
Olivier Schrameck a tout d’abord évoqué les auteurs, qui, selon lui « doivent être mieux pris en compte dans la régulation, et parfois, hélas, pris en compte tout court ». Il a affirmé cette volonté dès son arrivée en 2013 en intervenant directement dans les négociations avec Orange, à la demande de Francine Mariani Ducray. Dernièrement, il a fait adopter par le CSA à l’unanimité 20 propositions pour « Refonder la régulation audiovisuelle ». Il y est écrit que « les auteurs et les ayants droit doivent être explicitement intégrés au sein de la loi sur la communication audiovisuelle ».
D’une manière générale, le président du CSA a souhaité rompre avec l’habitude de la maison d’avoir comme interlocuteurs exclusifs les diffuseurs. « C’est non seulement inéquitable mais irréaliste. L’audiovisuel n’est pas la chose des éditeurs, mais un ensemble d’acteurs différents. C’est d’ailleurs le sens de la régulation : mettre de l’ordre, de l’équité, de l’efficacité dans un ensemble divers et hétérogène. En amont, il y a bien entendu, les scénaristes, les ayants droit et les sociétés d’auteurs, et en aval les agences de communication et les publicitaires, qu’il ne faut pas oublier non plus si on veut non seulement que l’audiovisuel fonctionne mais prospère».
Olivier Schrameck regrette d’ailleurs que le CSA n’ait pas été associé aux discussions sur la nouvelle chronologie des médias. « Si on veut faire pression sur les acteurs numériques, il faut la carotte et le bâton, c’est-à-dire le CNC et le CSA. Le pôle culturel au sein de l’organisation gouvernementale est déjà bien faible, c’est tout à fait dommageable de nous diviser artificiellement ». Dans ce contexte, il a apprécié que le Blic (Bureau de liaison de l’industrie cinématographique), le Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma) et l’ARP (société civile des Auteurs, Réalisateurs, Producteurs) aient demandé d’ajouter dans l’accord entre Canal+ et la filière cinéma une clause qui permet de saisir le CSA en cas de désaccord concernant l’application des obligations souscrites. Pascal Rogard s’est exclamé que c’était son idée, ce qui n’a pas surpris M. Schrameck.
Un cadre juridique européen renforcé
Si le meilleur de son mandat est sa relation avec les sociétés d’auteur, sa « plus grande fierté » demeure son bilan européen. « Merci pour Bruxelles » lui a d’ailleurs récemment écrit Bertrand Tavernier, ce qui lui a fait un « immense plaisir ».
Olivier Schrameck s’est investi dès son arrivée dans les affaires européennes, notamment en initiant la création d’une organisation des régulateurs européens, l’ERGA (European regulators Group for Audiovisuel Media Services) en février 2014.
Il la présidera pendant deux ans avant de prendre la tête du groupe de travail sur la directive SMA (Services de médias audiovisuels). Aujourd’hui l’ERGA bénéficie d’une reconnaissance au sein de la directive et fait partie intégrante des institutions européennes. Pour le président du CSA, le résultat est doublement inespéré. Non seulement la création de l’ERGA a pu aboutir dans un temps record, mais la sphère de la régulation audiovisuelle a été étendue aux réseaux sociaux et aux plateformes numériques. En 2013, personne, y compris lui, n’aurait pu l’imaginer.
Mais ces succès sur la directive SMA s’accompagnent de regrets sur d’autres directives pour lesquelles le CSA n’a pas son mot à dire. Olivier Schrameck regrette en effet que le CSA ne puisse pas intervenir plus directement en matière de droit d’auteur. « Je suis toutefois avec la plus grande attention les articles 11, 13 et 14 qui sont fondamentaux pour vous et tout le secteur et bien qu’on ne soit pas juridiquement compétent, je ne me lasse pas d’en parler à tous mes interlocuteurs, notamment les acteurs du fameux trilogue ».
Algorithme et libre choix
Le président du CSA a ensuite partagé avec les auteurs ses réflexions sur l’avenir, notamment sur l’évolution du statut du téléspectateur. « Aujourd’hui, nous accédons au œuvres selon la formule « n’importe où n’importe quand sur n’importe quel support ». Demain nous vivrons des expériences plus personnalisées, immersives et interactives rendues possibles par les progrès de la réalité virtuelle et de l’intelligence artificielle. Dans ce contexte, il faut être très attentif à l’importance capitale des algorithmes qui peut certes conduire à la diversité via la découverte d’œuvres qui ne seraient pas diffusées sinon, mais qui peut aussi avoir des effets inverses et enfermer les individus dans une personnalisation en fonction de leurs goûts et de leurs opinions supposées. Ce qui est potentiellement une atteinte au libre choix et au pluralisme ». Sur ce sujet, Olivier Schrameck a recommandé la lecture d’une étude du CSA Lab de janvier 2017.
Une loi en 2020 ?
Enfin quatrième et dernier point : la loi sur la communication audiovisuelle, « le grand œuvre non abouti », comme l’a souligné Pascal Rogard. Avec cinq ministres en six ans, Olivier Schrameck a révélé n’avoir jamais cru à la possibilité d’un projet de loi en 2019. Il aurait même un doute pour 2020 si le calendrier n’obligeait pas à une certaine accélération. Premièrement, en effet, la directive doit être transposée avant le 19 septembre 2020. Deuxièmement, le mandat de Delphine Ernotte se termine en août 2020, et la nomination de son successeur doit se faire 3 ou 4 mois avant. « Une loi en 2020 serait donc logique. Mais de la logique à la réalité, il y a la vie publique… »
Pour Olivier Schrameck, il faut une seule loi - de 15 à 20 articles, suivie d’une codification qui permette d’avoir « un droit de l’audiovisuel clair, souple, adaptable et interactif » et qui laisse toute sa place à la régulation.
Selon lui, le cadre doit être rénové en profondeur : « la mission du CSA est de contribuer à la révolution de la communication en général qui est aussi nécessaire que la révolution écologique. Il faut agir sur tous les terrains, en particulier sur les terrains de la création et de la diffusion de la culture, en deçà et au-delà de nos frontières. »
Notes d’espoir pour l’avenir
Après cet exposé, plusieurs questions ont été posées notamment sur la programmation des films anciens, la protection de la jeunesse et le logo des chaînes sur les œuvres. Jérôme Diamand-Berger a évoqué la faible diffusion du patrimoine cinématographique. « J’ai moi-même un catalogue de films anciens et les films sont de plus en plus difficiles à diffuser. OCS et Ciné Classic ont passé des accords cadre avec des grands groupes et les petits catalogues ne les intéressent plus. » Pour Olivier Schrameck, lui-même grand amateur de films des années 30 à 50, « c’est une perte irréparable ». Selon lui, le CNC devrait agir en soutenant plus encore la diffusion de ces films sur les plateformes.
Concernant la jeunesse, Jacques Fansten s’est interrogé sur l’utilité de la signalétique, qui non seulement n’empêche rien et peut même être incitative, mais sert de prétexte aux chaînes pour ne pas faire ce qui pourrait un peu déranger. A l’inverse, il a souligné la pauvreté des actions et dispositifs en faveur de l’éducation aux médias.
Olivier Schrameck a répondu que si la signalétique n’empêchait effectivement pas les plus jeunes de regarder les mêmes programmes sur Internet, il ne lui semblait pas pertinent pour autant de baisser les bras. Sur l’éducation à l’image, il a évoqué un problème qui remonte aux origines de l’enseignement en France et indiqué que le CSA était engagé sur ces questions.
Enfin, Jacques Fansten a aussi évoqué les logos des chaînes sur les œuvres - qui après négociation avec Patrick de Carolis, puis Rémy Pflimlin - étaient incidemment revenus. M Schrameck a répondu que le CSA avait reçu son courrier et s’était saisi de la question.
Au fil de la rencontre, Olivier Schrameck a évoqué les limites du pouvoir du CSA. « Chaque loi nous donne un morceau de compétences en plus, mais il faudrait nous donner des pouvoirs, et nous associer plus étroitement aux décisions concernant l’institution. En effet, une autorité administrative ne perd rien de son indépendance en dialoguant avec le pouvoir. Elle tient même sa légitimité de ce dialogue. »
Olivier Schrameck a souhaité clore la rencontre sur une note positive : « Emmanuel Macron est le premier responsable politique qui a compris et défendu les formes de régulation du numérique. C’est une très grande chance et c’est mon grand espoir. Car si le président du CSA n’a pas le soutien du Président de la République et d’un ministre convaincu, il ne peut rien faire. Nous avons un Président de la République compétent et convaincu, un ministre compétent et convaincu et un président des Affaires culturelles, dont ce n’était pas la spécialité, qui est devenu en quelques mois convaincu et compétent. Nous avons donc trois autorités fondamentales de la République qui sont d’accord, énergiques et volontaires. »
Béatrice de Mondenard