« Nourrir l’idée que Netflix aura demain les obligations de TF1 aujourd’hui n’a pas de sens »
Pour son avant-dernière rencontre cannoise, la SACD recevait le 21 mai sur son stand David Kessler, directeur général d’Orange Studio.Orange déploie deux activités dans le cinéma et l’audiovisuel :
- les chaînes Orange Cinéma Séries qui viennent d’atteindre 3 millions d’abonnés (sans tenir compte des nombreux abonnements souscrits ces dernières semaines en lien avec la diffusion de Games of Thrones) ;
- Orange Studio.
Le studio poursuit son développement dans deux directions : la vente de catalogues, riche de près de 1300 œuvres (700 œuvres audiovisuelles et 600 films) qui sont commercialisées dans le monde entier. Il est aussi un acteur de la coproduction de films. Cette année à Cannes, il a notamment investi, aux côtés de Pathé, dans le dernier film de Nicolas Bedos, La Belle Epoque.
Orange Studio peut intervenir au stade du développement. Il le fait sur 3 ou 4 projets par an en veillant toujours à ce que le coût du développement soit partagé à 50% par le producteur. OCS est aussi un partenaire de la SACD dans le cadre d’un fonds SACD-OCS Signature qui a vocation à apporter une aide à l’écriture de séries de 26 minutes.
Le studio prend des mandats de commercialisation, qu’il peut exercer pour lui-même ou par le biais de tiers. C’est ce que permet par exemple l’accord exclusif qui le lie à UGC.
« Allléger les contraintes qui pèsent sur les chaînes »
L’activité de vente de catalogues a subi la détérioration du marché de la télévision ces dernières années. La place du cinéma sur les antennes s’est compliquée. Sauf exception, l’audience du cinéma sur les grandes chaînes ne performe pas. En revanche, l’audience peut au contraire être portée par le cinéma sur les plus petites chaînes.
Dans ce contexte, il est difficile de dire que les plateformes numériques ont pris le relais des diffuseurs historiques. Leurs stratégies sont fluctuantes et peuvent varier brutalement. Amazon n’a pas de politique d’achat volontariste. Quant à Netflix, s’il achetait un nombre important de films pour le monde ou la France, à des prix corrects il y a quelques années, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Pour David Kessler, c’est aussi la réglementation qui peut corseter l’exploitation des œuvres et leur commercialisation. Convaincu que s’il n’y a pas un sursaut pour que les acteurs nationaux s’unissent et que chacun dépasse ses intérêts particuliers, une déferlante risque d’arriver.
Face à ce paysage audiovisuel qui change fortement, il a plaidé pour un aggiornamento de notre système : « Ma conviction, c’est qu’il faut imposer des règles aux plateformes mais qu’il faut aussi alléger les contraintes qui pèsent sur les chaînes. Nourrir l’idée que Netflix aura demain les obligations que TF1 a aujourd’hui n’a pas de sens. » A titre d’exemple, OCS n’a pas le droit d’alimenter son antenne à plus de 25% avec des productions en provenance d’Orange Studio. Il ne verrait pas d’un mauvais œil un pourcentage un peu supérieur.
Ce mouvement doit aussi aider à formaliser des alliances nationales et à imaginer des nouvelles formules pour financer la production française.
Des doutes sur le lancement d'une plateforme européenne
Deux autres règles de la politique française pourraient selon lui évoluer : sur les jours interdits, il considéré qu’« au simple niveau du bon sens, c’est une absurdité aujourd’hui. ».
Sur la chronologie des médias, Orange a été l’un des signataires dans la mesure où un consensus général avait émergé. Pour autant, bien que la chronologie permette aux chaînes de bénéficier d’un avantage certain pour diffuser les œuvres, il voit un inconvénient à son architecture actuelle. Il va être difficile d’imaginer de mettre à contribution les plateformes numériques pour financer les films si on ne leur garantit pas la possibilité de bénéficier des mêmes délais de diffusion que ceux des chaînes, à égalité de financement. Il faut aussi tenir compte du fait que désormais, la télévision payante et la vidéo à la demande par abonnement sont substituables. D’ailleurs, la consommation d’OCS traduit ce phénomène : elle se répartit à 1/3 sur le linéaire, 1/3 sur le non-linéaire et 1/3 dans un mélange des deux.
Interrogé par Pascal Rogard sur l’idée de création d’une plateforme de distribution européenne pour concurrencer les géants américains, David Kessler a rappelé les spécificités d’une Europe qui ne compte que deux grandes multinatioanles audiovisuelles : SKY (qui vient d’être racheté par les Américains) ; Bertelsmann. Pour le reste, l’Europe est constituée d’une addition de marchés nationaux avec des acquisitions qui interviennent territoire par territoire. L’émergence d’une plateforme européenne à laquelle participerait Orange n’est pas d’actualité.
Au-delà, il n’est pas sûr non plus que ceux dont on annonce qu’ils pourraient lancer des plateformes en Europe le fassent effectivement. C’est un investissement très cher. Il peut être moins risqué pour des acteurs de la taille d’HBO par exemple de rester un acteur important dans la vente de droits et de catalogues à l’international plutôt que de se lancer dans le lancement d’une plateforme : « Être le 6e ou 7e acteur sur un marché n’est pas forcément intéressant. »
Questionné également sur l’opportunité de concentrer OCS sur les séries du fait de l’engouement mondial qu’elle suscite, David Kessler a souligné que cette option ne tentait en rien le groupe Orange. Ceux qui font vivre et dirigent OCS aiment le cinéma, qui reste en plus un moteur important de l’attractivité de l’offre aux yeux du public et des abonnés et une motivation essentielle d’abonnement.