Hommage à Laurent Cantet
La cinéaste Anne Villacèque, administratrice Cinéma SACD, salue la mémoire de Laurent Cantet, disparu le 25 avril dernier.C’est avec une grande émotion que nous avons appris la mort de Laurent Cantet, ce jeudi 25 avril, à l’âge de 63 ans.
Il était le plus secret et le plus humain des cinéastes français. Le moins avide d’honneurs et de paillettes, aussi. Et pourtant, vingt ans après Maurice Pialat, il est le premier français à décrocher une Palme d’or à Cannes en 2008 avec Entre les Murs, une fiction sans équivalent, plus vraie que la vraie vie, plongée en apnée dans le bouillonnement survolté d’une classe de collège. Le succès public et critique du film le propulse alors dans une autre dimension, à l’encontre d’aspirations profondes qui le portaient naturellement vers des économies de tournage toujours plus modestes et plus légères. Après Entre les Murs tout devient possible pour lui, mais rien ne sera plus jamais pareil. Il n’aura de cesse ensuite de vouloir revenir à l’essentiel.
On ne peut parler de Laurent sans évoquer ses camarades de toujours, rencontrés à l’époque de l’IDHEC : Robin Campillo, scénariste et monteur sur pas mal de ses films, Pierre Milon, devenu son chef opérateur, la documentariste Brigitte Tijou, et toute la bande de Sérénade : Dominik Möll, Gilles Marchand, Vincent Dietschy, Bénédicte Mellac, Thomas Bardinet. Avec Sérénade, une utopie de cinéma était en train de s’inventer, celle d’un collectif sans hiérarchie préétablie, où chacune et chacun pouvait tenir à tour de rôle tous les postes au service des autres.
Fidèle en amitié, respectueux du collectif, Laurent était aussi d’une grande cohérence dans son travail, construisant de film en film une trajectoire aussi logique qu’imprévisible. Ses récits sont d’abord des choix de décors : une calanque marseillaise, une usine normande, un collège du 20ème, un hôtel de tourisme sur une plage haïtienne, ou encore le toit d’une maison cubaine. De film en film, il n’aura jamais cessé d’explorer de nouveaux horizons, d’aller plus loin, et surtout de parler des autres, de s’intéresser sans relâche à d’autres vies que la sienne. Qu’il s’agisse du père de famille mythomane de L’Emploi du temps, des femmes en quête de plaisir de Vers le Sud, de la bande de filles révoltées de Foxfire ou du garçon mutique de l’Atelier, ses personnages sont toujours des énigmes à déchiffrer, des êtres fragiles et ballottés entre plusieurs vies, et plusieurs aspirations.
De film en film, Laurent n’aura surtout jamais cessé d’être fidèle à lui-même, à ses doutes, à ses questions, et à ses convictions. Son regard doux et sombre, sa modestie, son élégance, vont nous manquer terriblement.
Nous adressons nos plus sincères condoléances à Isabelle, sa femme, et à ses enfants, Marie et Félix.
Anne Villacèque
crédit photo : Georges Biard