Hommage à Peter Brook
Le metteur en scène Charles Tordjman salue la mémoire de Peter Brook, disparu le 2 juillet dernier.C’est tout de même assez étrange de mettre en scène Hamlet avec des marionnettes à 5 ans.
Peter Brook fut cet enfant-là.
Il fut celui qui ne cessa d’expérimenter.
Il fut celui qui se démarque, celui qui vit qu’il fallait mettre au rebut le « théâtre mort » pour innerver la scène de tensions nouvelles.
Peter Brook fut cet « enfant terrible » qui sut assez vite que l’invisible donne plus à voir que la fabrique d’images aussi belles soient elles.
Très jeune, les chemins qui le conduisent du théâtre au cinéma en passant par la télévision l’amènent à s’exercer aux passages de l’image en mouvement aux subtilités et à l’intelligence du jeu des acteurs.
Et quels actrices et quels acteurs ! Entre autres, Orson Welles, Laurence Olivier, Vivien Leigh, Jeanne Moreau, Raf Valone, Laurent Terzieff, Michel Piccoli... Et quels auteurs ! Jean-Paul Sartre, Tennessee Williams, Marguerite Duras, John Arden, Dürrenmatt, Peter Weiss...
Convaincu que le théâtre doit s’affranchir du naturalisme et même d’un professionnalisme exclusif il osera mélanger sans s’effrayer du scandale acteurs professionnels et non professionnels lorsqu’il mettra en scène en France Le Balcon de Jean Genet.
Il sera encore cet enfant terrible quand l’audace l’amènera à préférer installer texte et acteurs dans « l’espace vide » histoire d’en trouver le chant. C’est encore le même enfant terrible qui donnera au public le rôle d’être créateur à part entière.
Le théâtre est pour lui comme une seconde chance donnée à la vie pour tous celles et ceux qui le fabriquent et le regardent. Il fut le metteur en scène qui oriente le sens, choisit les chemins à condition qu’ils soient de traverse, à la marge.
« On se trompe sur le metteur en scène. On pense qu’il est un architecte d’intérieur qui peut faire quelque chose avec n’importe quelle pièce pourvu qu’on lui donne suffisamment d’argent et d’objets à mettre dedans. Cela ne se passe pas comme ça. La moitié de la tâche du metteur en scène consiste à maintenir la bonne direction. Là, le metteur en scène - le director - devient un guide, il tient le gouvernail, il doit avoir étudié les cartes et savoir s’il se dirige vers le nord ou vers le sud. » (Peter Brook)
Je me souviens avoir vu de lui il y a bien longtemps Marat-Sade. Il est étrange de se dire que comme Sade, Peter Brook soulevait là les trappes de mondes invisibles ; ceux du désir, de la violence, des effondrements centraux. Dans Marat-Sade, Peter Brook faisait d’Artaud un compagnon de route et d’invention. Celui dont le corps consumé fait de sa consumation sa propre langue. Il est clair que l’énergie spirituelle de ce théâtre-là était incroyablement neuve.
Et puis... et puis son théâtre s’est affranchi des territoires qu’ils soient géographiques, mentaux, culturels.
Je me souviens que lorsque je voyageais pour le compte du festival Passages à Nancy (festival des théâtres à l’Est de l’Europe) que de fois ai-je entendu que ce soit en Asie centrale, en Turquie, en Chine ou en Afrique.
« Ah Mais Monsieur Brook est déjà venu nous voir il y a un moment déjà... »
Avec Peter Brook nous avons l’art du métissage. Parce que le théâtre c’est bien aussi ce qui oblige à une relation neuve avec le corps et la langue de l’autre.
Chaque mise en scène de Peter Brook secouait les habitudes, les a priori, les clichés.
Chaque mise en scène inaugurait une nouvelle invention du monde.
Que faire d’autre que de tenter comme il le fit toute sa vie que de mettre en coïncidence son être intime avec son être public.
L’enfant terrible fut un maître, un immense maître.
Inoubliable.
Charles Tordjman, administrateur théâtre de la SACD