Une "atteinte grave aux libertés" selon le Conseil d'Etat
Sans nouvelle dégradation de la situation sanitaire, la fermeture des cinémas, théâtres et salles de spectacle n’aurait pas été validée par le Conseil d'Etat.Saisi notamment par la SACD et de nombreuses organisations professionnelles et syndicales du théâtre et de la culture, le Conseil d’État vient de rendre sa décision : les salles de cinéma, de théâtre et de spectacle ne pourront pas rouvrir dans l’immédiat en raison d’une situation sanitaire nouvellement dégradée et incertaine.
Pour autant, cette décision est un camouflet sévère pour le gouvernement. La SACD remercie le Conseil d’État qui a témoigné de son respect pour le monde de la culture et a reconnu, comme les requérants l’avaient plaidé, que la fermeture au public des lieux culturels porte en elle-même une atteinte grave aux libertés, notamment à la liberté d’expression, à la liberté de création artistique, à la liberté d’accès aux œuvres culturelles et à la liberté d’entreprendre.
Cette décision confirme également que la mesure prise le 10 décembre dernier par le gouvernement, sans aucune concertation, s’inscrit davantage dans une logique politique que dans un choix de protection sanitaire de la population.
Au cours de l’audience, le ministère de la Santé a d’ailleurs été dans l’incapacité de prouver un quelconque risque sanitaire associé à la fréquentation de théâtres et de cinémas. Et pour cause : l’étude de l’Institut Pasteur la semaine dernière ainsi que l’avis du Conseil Scientifique du 26 octobre 2020 soulignaient justement les risques marginaux que les lieux de spectacle et de culture faisaient courir à la population. Le Conseil d’État souscrit pleinement à cette conclusion "d’un moindre risque de transmission du virus dans les cinémas, théâtres et salles de spectacles que pour d’autres événements accueillant du public, au regard des protocoles sanitaires très stricts mis en œuvre dans les cinémas et les théâtres".
Sans la stagnation récente des chiffres de contamination sur un plateau épidémique élevé et la détection d’un nouveau variant du Covid-19, l’une comme l’autre inconnues le jour où la décision de fermeture a été prise, la lecture des conclusions du juge des référés laisse à considérer que la décision du Premier ministre aurait été jugée manifestement illégale.
Alors qu’une clause de revoyure a été fixée le 7 janvier prochain, le jugement du Conseil d’État ne devra pas être ignoré par le gouvernement. Il doit impérativement changer de méthode, en organisant des concertations réelles avec les professionnels du cinéma et du spectacle vivant avant toute nouvelle mesure sanitaire, en se basant enfin sur des données scientifiques sérieuses pour prendre des décisions proportionnées et conformes au respect des libertés.
Par ailleurs, la SACD s’alarme du discours récemment porté par le gouvernement selon lequel il faudrait tout faire pour éviter un "stop and go". Dans une période comme celle que nous traversons, c’est inévitable. Qui peut aujourd’hui reprocher au gouvernement d’avoir rouvert les lieux de spectacle entre les deux confinements ? Tant que la crise sanitaire perdurera, le risque d’une interruption de l’exploitation des œuvres existera et les acteurs de la Culture en sont conscients et prêts à l’assumer, sous réserve que les décisions soient proportionnées et non discriminatoires.
Pour sa part, la SACD se réserve également la possibilité de saisir à nouveau le Conseil d’État au fond comme, dès que les conditions sanitaires auront évolué dans le sens d’une amélioration, sur tout ou partie du territoire, dans le cadre d’un référé-liberté.
Les conclusions du Conseil d’État sont en effet sans ambigüité aucune : "le maintien de la fermeture au public des cinémas, théâtres et salles de spectacles serait manifestement illégal s’il n’était justifié que parce qu’il existe un risque de contamination des spectateurs, indépendamment du contexte sanitaire général."
L’enjeu est majeur : notre pays, celui de l’exception culturelle, ne doit pas devenir celui où la diffusion de la culture devient une exception. Le Conseil d’État a souhaité y apporter deux garde-fous importants : la réouverture des lieux culturels ne saurait être repoussée à la disparition complète du virus et à l’éradication de sa circulation ; l’accès aux œuvres en numérique ne saurait se substituer à la culture vivante et à l’accès aux films dans les salles de cinéma.
Au-delà et face au désastre que vivent déjà de nombreux créateurs, compagnies et entreprises culturelles et au risque de fragiliser durablement, sinon de faire péricliter, des pans entiers de notre création et de notre culture, des mesures complémentaires, urgentes et massives doivent être prises par le gouvernement.
Alors que l’arrêt des spectacles culturels a l’avantage de pouvoir mettre en scène la mobilisation des pouvoirs publics sans qu’il ne paralyse l’activité économique du pays, les autrices et auteurs de la SACD espèrent une politique sanitaire qui ne sacrifie plus la culture et sa diffusion. Ils attendent aussi désormais un renforcement de la mobilisation et de l’engagement de l’État à leur égard pour mieux les accompagner, préparer l’avenir et anticiper la reprise.
Lire le communiqué et la décision du Conseil d'Etat : https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/cinemas-theatres-salles-de-spectacles-le-juge-des-referes-ne-suspend-pas-leur-fermeture-en-raison-d-une-situation-sanitaire-nouvellement-degrad