Création, diffusion, territoire : quelle politique pour le spectacle vivant ?
Les pistes de réflexion ont été évoquées en nombre pour tenter de mieux soutenir la création contemporaine et les auteurs vivants lors d'un débat organisé le 15 juillet par la SACD à Avignon.A l’occasion du Festival d’Avignon, la SACD organisait un débat pour s’interroger sur une question centrale : « De quelle politique avons nous besoin pour le spectacle vivant ? ».
Pour Joëlle Gayot, journaliste qui a rédigé un ouvrage sur les Centres Dramatiques Nationaux (CDN), ces lieux ont joué un rôle majeur en faveur de la création contemporaine et de sa diffusion. En faisant un état des lieux des CDN, elle a aussi voulu mettre à jour la vie souterraine de ces lieux qui réalisent notamment un travail important sur l’éducation artistique, sur la relation avec les publics. Avec son ouvrage, elle en ressort quelques traits saillants : il n’y a pas un CDN qui ressemble à celui du voisin ; le changement générationnel marque l’avènement d’une nouvelle démarche plus ouverte à la diversité des esthétiques, des disciplines et prompte à rouvrir ces maisons aux autres artistes et aux compagnies. Pour Joëlle Gayot, ce sont des lieux profondément républicains. Mais ce sont aussi des lieux menacés : par le désintérêt et le désengagement de l’Etat ; parce que les usages, sous l’effet en particulier du numérique, évoluent et rendent parfois moins attractif le théâtre ; par la diminution de la place réservée au théâtre dans les médias.
« Décrire et dire ce qu'est le territoire »
Pour Cécile Backes, directrice de la Comédie de Béthune, CDN des Hauts-de-France, les CDN ont, via leur cahier des charges, des engagements minimaux à prendre à l’égard de la création contemporaine : présence obligatoire d’un comité de lecture ; au moins, 2 créations d’auteurs nouveaux. Ils peuvent évidemment aller plus loin. C’est d’ailleurs son cas puisqu’elle a inscrit la création contemporaine au cœur de son projet : « On ne fait plus que ça ! » Cet engagement se traduit notamment par la place importante donnée aux auteurs vivants et aux artistes. Deux artistes-compagnons ont été nommés, un collectif d’artistes comprenant notamment une autrice travaillent également au sein du CDN. Une politique d’accompagnement spécifique en production a aussi été mise en place en complément des résidences.
L’un des axes forts de la politique qu’elle mène est de travailler sur l’ancrage territorial et de « faire tout ça en relation avec les publics ». Dans ce cadre, les auteurs ont, selon elle, une responsabilité importante pour décrire et dire ce qu’est ce territoire, en lien avec les populations. Au final, cette démarche, qui associe les auteurs au public et raconte un territoire, fait des CDN des lieux de rassemblement pour tous. Pour elle, c’est peut-être même la seule institution française capable actuellement de réunir chacun.
Marion Aubert, administratrice de la SACD, est une autrice « qui a grandi dans les CDN », et notamment dans celui dirigé par Cécile Backes. Elle voit dans la présence d’un auteur dans un lieu l’incarnation physique de la création : « Cela permet de montrer au public, aux enfants, que la création, que l’écriture est vivante. Ce n’est pas que Victor Hugo. » Au-delà, elle fait le constat d’un certain paradoxe : alors qu’une forte créativité existe, elle a été invisibilisée et l’écrivain s’est retrouvé exclu de la création. C’est aussi le sens du Mouvement des Écrivains et Écrivaines de théâtre qui a réfléchi pendant un an sur les moyens de remettre l’auteur et les œuvres contemporaines au Centre. Les conclusions et préconisations rendues publiques ce week-end à Avignon sont nombreuses et concrètes. Parmi celles-ci, elle a cité : mieux faire connaître les auteurs contemporains dans les écoles, associer un auteur vivant à chacun des théâtres présents en France. Elle a conclu son intervention en rappelant la nécessité d’agir fortement en faveur de la parité pour sortir d’un paradoxe regrettable : tout un discours s’est développé pour entonner l’air du changement et du renouveau mais, dans les faits, elle a rappelé que les choses n’avançaient pas assez vite.
Diversité des opérations, des esthétiques et des porteurs
Jean-Philippe Lefèvre, à la fois maire-adjoint à la Culture à Dôle et président de la Fédération Nationale des Collectivités Territoriales pour la Culture, a tenu à insister sur la responsabilité qui doit être celle des collectivités locales : « Notre rôle est de définir une politique culturelle de ville mais en aucun d’intervenir dans la programmation. C’est orienter mais jamais choisir. » En l’occurrence, les critères qu’il a fixés pour travailler sur les orientations de la Scène du Jura, lieu original soumis à une direction commune mais présent sur plusieurs sites, repose sur 4 idées centrales : faire ensemble, sortir des lieux dédiés, accompagner le foisonnement et accompagner les pratiques amateurs. Selon lui, l’élu n’a pas à rentrer dans les choix artistiques, fut-ce pour soutenir la création contemporaine. Pour éviter toute ambiguïté, Pascal Rogard, directeur général de la SACD qui animait ce débat, a tenu à rappeler qu’un interventionnisme anormal serait d’imposer tel ou tel artiste ou auteur dans la programmation. En revanche, permettre que les lieux inscrivent la création contemporaine dans une programmation relève d’une politique vertueuse.
Plus généralement, le positionnement de la FNCC repose sur la diversité, celle des opérations, des esthétiques et des porteurs. C’est un point central que les élus de la FNCC comptent défendre.
Jérôme Chrétien, directeur du Conservatoire du Grand Avignon, est revenu sur les grands enjeux du projet de son établissement qui compte environ 2500 élèves, dont 2 à 3% deviendront professionnels. Selon lui, le plus gros crédo à inculquer aux élèves est bien de révéler leur potentiel de créativité. C’est d’ailleurs pourquoi au-delà du travail mené sur la diffusion des œuvres, le projet du Conservatoire s’inscrit dans la volonté de favoriser les capacités d’improvisation et d’invention. Celle, aussi, de défricher le champ des nouvelles technologies. À partir de 2020, le Conservatoire désignera chaque année un artiste vivant pour l’associer d’une certaine façon à l’établissement et à ses activités avec toujours cet objectif clé : sensibiliser les jeunes au monde de la création contemporaine.
Tenir compte de la diversité des parcours d'auteur
Pour Sylviane Tarsot-Gillery, directrice générale de la création artistique au Ministère de la Culture, une prise de conscience s’est opérée : la situation des auteurs est grave et préoccupante. Elle a rappelé l’engagement du ministère sur plusieurs chantiers intéressant les auteurs : le lancement de la mission confiée à Pierre-François Racine pour définir un cadre d’activité favorable à l’auteur et mieux cerner les évolutions liées notamment au numérique ; l’intégration des spécificités des carrières des auteurs dans la réforme des retraites ; la réforme du régime social... Du côté de la DGCA, elle a rappellé à la fois son attachement aux obligations de création contemporaine dans les cahiers des charges, la préoccupation de son administration à l’égard des commandes aux auteur via Artcena et l’importance des soutiens de l’Etat à des lieux ou des organisations telles la Chartreuse, le Théâtre Ouvert, les EAT... Selon elle, la diversité des parcours d’auteur démontre la nécessité de développer une pluralité d’actions et d’avoir des dispositifs complémentaires.
De la même manière, elle a fait sienne la phrase souvent entendue : « On crée beaucoup mais on diffuse trop peu. » Le problème est complexe, même si elle considère que la défaillance dans l’insertion professionnelle des jeunes est un sujet de préoccupation fort : « À chaque sortie de promotion d’école ou de Conservatoire, des compagnies se créent. » Or, une compagnie est faite pour créer, d’autant plus dans un système où l’aide au projet estime à la création que vous portez. Dans ces conditions, elle souhaite s’atteler à trouver une réponse à cette question : comment faire pour qu’il y ait d’autres solutions que de créer une compagnie ?
Si des changements sont à attendre dans l’avenir, elle souhaite faire vivre la politique du spectacle vivant en respectant ses emblèmes forts, dont les labels font partie. La réflexion actuelle n’est pas de faire la révolution mais de travailler sur les expérimentations qui pourraient être faites pour travailler autrement dans le cadre d’autres économies. Cela ne doit pas conduire à opposer les labels avec des façons de travailler plus innovantes. Mais, pour elle, les discussions avec les équipes des lieux sont trop souvent administratives. Elle aspire à ce qu’on en revienne au projet, à sa vitalité, quitte à être le cas échéant plus souple avec le cahier des charges.
C’est un appel qui a été très bien reçu. Cécile Backes a résumé cette démarche par « donner la possibilité aux lieux de faire un pas de côté ».