Roch-Olivier Maistre : « Le CSA veut jouer davantage son rôle de tiers de confiance »
Le nouveau président du CSA était l’invité de Pascal Rogard pour échanger avec les auteurs, mardi 4 juin. Il a évoqué les enjeux de la régulation et le projet de loi sur l’audiovisuel, en cours d’élaboration.
Nommé président du CSA en février dernier, Roch-Olivier Maistre s’est dit très heureux d’être à la SACD pour évoquer les enjeux de la régulation pour deux raisons. Parce qu’il a pris ses fonctions avec le souci d’être tourné d’abord vers les acteurs : « on ne régule bien que ce qu’on connaît bien, et c’est important pour moi d’être à l’écoute des préoccupations de tous les acteurs afin que le CSA puisse être le tiers de confiance et le garant des équilibres d’un écosystème qui s’est bâti au fil du temps et qui sont assez subtils et fragiles ». Et aussi parce qu’il souhaite placer son mandat sous le signe de la culture, dans laquelle il a fait l’essentiel de sa carrière de haut fonctionnaire, de la Comédie française à la Philharmonie de Paris, en passant par les fonctions de conseiller du ministre de la Culture François Léotard, conseiller du président de la République Jacques Chirac ou encore de Médiateur du cinéma.
Roch-Olivier Maistre a présenté le CSA en revenant sur les trois enjeux qui ont présidé à l’élaboration de la loi sur la communication audiovisuelle de 1986, enjeux qui restent aujourd’hui centraux :
- un enjeu démocratique
Il s’agit de garantir le pluralisme et la pluralité des opinions. « L’enjeu reste entier dans l’univers numérique et la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, adoptée en décembre dernier, donne au CSA des compétences nouvelles en période électorale - il peut couper le signal d’une chaine étrangère qui diffuse de fausses informations de nature à altérer un scrutin- ainsi qu’un rôle de superviseur à l’égard des plateformes et des réseaux sociaux qui doivent déployer une série de dispositifs pour lutter contre les infox. » ;
- un enjeu culturel
En France, les fréquences appartiennent au domaine public de l’Etat et sont attribuées gratuitement à des opérateurs, lesquels ont en contrepartie des obligations ; l’une des missions du CSA est de s’assurer que ces obligations sont respectées. « Cette dimension revêt un enjeu particulier aujourd’hui car on se retrouve avec un déséquilibre de concurrence très marqué entre, d’un côté des acteurs historiques qui sont soumis à un cadre social, fiscal et de financement de la création, et de l’autre, des acteurs extraordinairement puissants qui agissent sur ce même marché sans être soumis à aucune de ces règles. » ;
- un enjeu sociétal
La communication audiovisuelle est libre sous réserve de respecter certains principes : respect de la dignité de la personne, juste représentation de la diversité de notre société et de ses territoires, protection de l’enfance et de l‘adolescence… « Cette ambition existe aussi vis-à-vis de l’univers numérique, et le discours sur la liberté absolue d’expression sur internet est en train d’évoluer, avec la menace terroriste, les infox ou les contenus haineux. L’idée que les plateformes ont aussi des responsabilités sociétales est en train de se diffuser dans le monde, et la France est à la pointe de ces évolutions. Une première étape a été la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information qui a amené le CSA à formuler des recommandations vis à vis des plateformes qu’il va superviser. Une deuxième étape est constituée par une proposition de loi déposée par la députée Laetitia Avia pour imposer aux plateformes une obligation de retrait dans des délais très courts des contenus haineux. Le CSA aurait un rôle de supervision et de sanction. Et la troisième étape sera la loi sur l’audiovisuel, actuellement en gestation. »
Trois volets pour la loi sur l’audiovisuel
Roch-Olivier Maistre a indiqué que, selon les indications du ministre de la culture, la loi pourrait comporter trois volets principaux :
- un volet qui concerne le CSA avec un élargissement de ses attributions, et peut être une révision de son périmètre d’organisation, une mission étant actuellement en cours pour évaluer la pertinence de rapprocher CSA, Arcep et Hadopi ;
- un complément et une modification de la loi de 1986, avec pour priorité de transposer la nouvelle directive SMA (Services des médias audiovisuels), qui doit se faire vite « dans une lecture française, c’est-à-dire une lecture haute qui est celle de l’exception culturelle ». Pour Roch-Olivier Maistre, l’adoption de cette directive marque une prise de conscience européenne : « Pour la première fois, l’Union européenne déroge aux règles du pays d’installation, et les plateformes qui agissent sur notre marché vont se voir imposer nos propres règles. L’obligation d’avoir dans leur catalogue 30 % d’œuvres européennes est aussi une opportunité pour les productions nationales. » Les autres points de la règlementation à faire évoluer concernent notamment les régimes de publicité et la relation producteurs/diffuseurs ;
- un volet concernant le service public de l’audiovisuel, ses missions, l’organisation entre les différentes entreprises et le mode de nomination pour les dirigeants de l’audiovisuel public.
Le président du CSA a formé le voeu que les acteurs en France sauront « se rassembler sur l’essentiel ».
Enfin, sur les auteurs, il a souligné que le respect du droit d’auteur est mentionné dans chacune des conventions signées avec les diffuseurs, conformément à une jurisprudence du Conseil d’Etat qui a reconnu la compétence du CSA en la matière. A ce propos, Pascal Rogard a souligné qu’ « un gros acteur à péage » ne respectait pas son assiette d’obligations.
Roch-Olivier Maistre a observé que la régulation était en train de changer de nature. Elle devient de plus en plus collaborative, dans une approche de responsabilisation des acteurs et de supervision de leurs obligations.
Service public : que peut le CSA ?
Pascal Rogard a posé la première question : « le CSA s’est-il penché sur la suppression de France 4 et France O ? ». Roch-Olivier Maistre a répondu que le CSA n’avait pas été formellement saisi depuis les arbitrages du Gouvernement mais qu’il aurait l’occasion de se prononcer sur le sujet. Et d’ajouter : « On a la chance d’avoir un secteur pilote de l’animation, c’est un véritable atout pour notre pays, notre savoir-faire est largement reconnu à l’exportation. Avec Netflix et bientôt Disney et Fox sur notre marché national, préserver notre offre jeunesse sur le service public est crucial ». Pascal Rogard a ajouté que le répertoire de l’animation était le premier répertoire SACD sur Netflix.
Le président du CSA a également réitéré ses déclarations sur son attachement à un financement dédié pour le service public. « Le service public est central dans notre modèle de financement de la création par le montant des investissements et la diversité des offres. Si on veut un service public fort et indépendant, il faut préserver un mode de financement qui lui soit propre. La budgétisation serait une régression. Les pays qui l’ont fait ont tous vu un rétrécissement de leur audiovisuel public. Les entreprises de service public sont de très grosses entreprises – 9 000 salariés chez France Télévisions, 4 500 chez Radio France - elles ont besoin de visibilité si on veut les faire avancer de façon efficace. » Les auteurs ont quant à eux évoqué le manque de diversité sur France Télévisions.
Jean-Marie Besset a évoqué l’absence d’adaptations théâtrales en France : aucune pièce de Corneille et de Racine alors qu’à la BBC, toutes les pièces de Shakespeare, Marlowe ou Pinter ont été adaptées avec les plus grands acteurs. Caroline Huppert a ironisé sur la fiction de France TV devenue « un vaste jeu de cluedo » où seules sont possibles « des enquêtes policières avec ou sans flics ».
Face à Roch-Olivier Maistre qui souhaitait défendre le service public, en évoquant Radio France, les auteurs ont répliqué que Radio France et Arte n’étaient pas en cause. Leurs difficultés concernent France Télévisions. Les auteurs déplorent notamment la concentration de la décision de la fiction de France 2, France 3 et France 4 sur une seule personne. Pascal Rogard a souligné qu’en matière de cinéma aussi, il existait désormais un comité commun au-dessus des deux filiales, France 2 Cinéma et France 3 Cinéma, qui sont une obligation légale.
Roch-Olivier Maistre a indiqué que le CSA avait paradoxalement une relation plus distante avec le service public qu’avec les acteurs privés puisque c’est l’Etat qui fixe le cahier des charges du service public, le CSA ayant pour mission de vérifier si il est bien appliqué. De même sur le COM (contrat d’objectifs et de moyens), le CSA est simplement amené à donner un avis. « Dans la perspective de la réforme de la loi, on a exprimé le souhait de pouvoir jouer davantage notre rôle de régulation avec le service public ».
Intégrer les auteurs dans la régulation
Deuxième point abordé dans la discussion avec la salle : le manque de régulation. La présidente de la SACD, Sophie Deschamps a souligné que non seulement il n’y avait aucun cadre pour les contrats d’auteurs, mais que ces derniers n’étaient jamais invités dans les négociations, qui se déroulent uniquement entre diffuseurs et producteurs. « Tout le monde dit que les auteurs sont au centre de tout mais on n’est rien du tout, on n’est dans aucune négociation, on n’a pas de minima, rien n’est régulé, rien n’est cadré. Pourtant, quand il y a des grands combats à mener ce sont les auteurs qui montent au front. »
Pascal Rogard a précisé que les choses ne s’étaient pas toujours déroulées ainsi et que du temps où Jacques Peskine dirigeait l’USPA, toutes les discussions avaient été menées de concert avec les producteurs. « Le fait que les producteurs aient laissé de côté les auteurs a affaibli les accords. Comme l’a souligné le rapport Boutonnat, la principale faiblesse du système français est qu’il n’y a aucun encadrement dans la relation individuelle entre producteurs et auteurs, contrairement aux Etats-Unis ».
Sophie Deschamps a ainsi demandé au président du CSA de bien vouloir aider les auteurs à encadrer les pratiques et permettre que les auteurs soient associés aux réflexions car « cela ne peut pas être binaire entre un diffuseur tout puissant et un producteur qui n’ose rien dire de peur de ne pas tourner ».
Pascal Rogard a ajouté que les accords avaient été réalisés diffuseur par diffuseur, sans qu’on puisse vérifier s’il y avait un traitement égal entre les diffuseurs. « Toutes ces négociations devraient se faire sous l’égide du CSA. Il faut un garant qui veille à ce qu que toutes les parties prenantes participent et à ce que les obligations des uns et des autres soient équivalentes » Pour Roch-Olivier Maistre, « le CSA doit effectivement pouvoir être partie prenante des accords, en tant que tiers de confiance, comme il aurait dû l’être pour l’accord sur la chronologie des médias ».
La concurrence des plateformes
Concernant les plateformes, Roch-Olivier Maistre a souhaité mettre en avant l’opportunité que représentent les plateformes pour la production française : « leur intérêt est d’exposer les œuvres du marché domestique sur lequel elles interviennent. » En matière de prospective à 5 ans, Roch-Olivier Maistre s’est dit « raisonnablement confiant ». Il a estimé que les acteurs traditionnels vont résister durablement, en s’organisant comme par exemple avec Salto, qui associe France Télévisions, M6 et TF1, et que le comportement du spectateur ne se modifie pas de façon rapide. « Je ne crois pas aux scénarios d’éviction, plus généralement dans la sphère culturelle. Plus on sera dans cet univers numérique plus on aura besoin de partager collectivement des émotions de façon collective ».
Toutefois pour Roch-Olivier Maistre, « cela signifie avoir conscience d’un paysage qui bouge, de savoir adapter notre réglementation et d’être en initiative ». Selon lui, la faiblesse du marché français est que ses acteurs n’ont jusqu’à maintenant fonctionné que sur le marché national. A ce sujet, Pascal Rogard a souligné que celui qui fait le mieux circuler les œuvres européennes c’est Netflix. Et d’ajouter : « Le Bazar de la Charité, grosse production TF1, sera sur Netflix et pas sur Salto. Et France Télévisions va faire pareil car pour les droits étrangers, il est plus simple de traiter avec une plateforme que d’aller voir 50 interlocuteurs sur les différents marchés. »
Quant à l’avenir des plateformes elles-mêmes, le président du CSA a évoqué deux freins: le « besoin en talents pour nourrir une offre spectaculaire » (plus de 500 séries produites par an aux Etats-Unis) et la nécessité pour le consommateur de faire des arbitrages entre les différentes plateformes. Pascal Rogard a souligné que le contrat entre la SACD et Netflix permettait de voir la progression rapide du chiffre d’affaires de la plateforme. Il a ensuite fait un point sur les contrats de la SACD avec les différents médias. Selon lui, TF1 et M6 pourraient dénoncer leur contrat pour faire baisser leur contribution. Par ailleurs, la SACD n’a d’accord ni avec la plateforme de France Télévisions, ni avec Amazon Prime, à cause d’un problème de transparence du nombre d’abonnés. « Finalement, l’accord le plus stable et le plus transparent est celui de Netflix. On a les chiffres des vues et on rémunère les auteurs via un barème en fonction des vues ».
Pascal Rogard a toutefois appelé à la vigilance sur les contrats d’auteur avec Netflix. « Netflix et/ou les producteurs proposent des contrats qui ne respectent pas la loi française et le droit moral, et on est en train de s’en occuper avec le CSA. On peut tout à fait inscrire dans la loi que les œuvres qui ne respecteront pas la loi ne seront pas comptabilisés dans le quota d’œuvres européennes. Un auteur peut aussi demander la résiliation de son contrat et il l’obtiendra devant les tribunaux avec l’aide de la SACD ».
En conclusion, Roch-Olivier Maistre s’est dit confiant dans la capacité des acteurs à trouver un nouvel équilibre. « On est dans une phase d’incertitude, mais il faut regarder l’horizon avec confiance car c’est un horizon d’opportunités assez formidables pour la création. C’est toute la force de cet internet : une chance incroyable d’accès à la connaissance, d’échanges entre les personnes, des excès, aussi, mais qu’on arrive progressivement à cerner. Dans ce monde mondialisé, numérisé, on a besoin de retrouver des singularités, c’est ce qu’expriment les opinions publiques, et l’Union européenne en a pris conscience avec la directive SMA et même sur la fiscalisation des GAFA, un début de consensus est en train de se faire ».
Béatrice de Mondenard