Quel avenir pour le cinéma dans le monde des plateformes ?
A l’occasion du Festival de Cannes, la SACD organisait le 19 mai sur la plage du CNC un débat sur le sujet.Premier à s’exprimer, le cinéaste Jean-Paul Salomé, par ailleurs ancien président d’Unifrance, a tenu à souligner l’enjeu que représentent les plateformes numériques pour l’exportation et la visibilité du cinéma français à l’étranger. Aujourd’hui, l’exploitation des films français au cinéma dans le monde tend à se rétrécir, malgré une appétence des spectateurs à découvrir d’autres œuvres que le seul cinéma américain. Si l’exposition du cinéma français sur ces géants de la vidéo à la demande, dont Netflix, reste encore limitée, Jean-Paul Salomé considère qu’il y a une opportunité à ce que les plateformes puissent investir. Il a par ailleurs regretté qu’on reste souvent dans des approches trop franco-francaises, se privant par là de financements utiles.
Nécessaire révision de la régulation audiovisuelle...
Penser le rôle des plateformes, c’est aussi réfléchir à la régulation. Pour Roch-Olivier Maistre, président du CSA, deux préalables doivent être posés. Le premier repose sur la nécessité de retrouver l’esprit d’unité et de rassemblement qui avait prévalu au moment du combat en faveur de la diversité culturelle ; le second, c’est la conviction que la France, a travers ses talents, ses techniciens, son parc de salles, ses financements, reste un grand pays de cinéma. Dans cette période de mutation, le paysage audiovisuel vit une situation de déséquilibre concurrentiel entre les opérateurs historiques et les nouveaux diffuseurs. Or, c’est notre modèle de financement de la création qui est en jeu. La première réponse à ce défi numérique et à cet enjeu culturel s’inscrit dans le cadre d’une révision de la régulation audiovisuelle. La directive sur les services de médias audiovisuels constitue un vecteur important pour faire rentrer dans le champ de la régulation les acteurs du numérique. Mais, a-t-il insisté, la transposition de cette directive doit être rapide. Pour faire vivre et appliquer cette régulation, le CSA français ne sera pas seul puisqu’il est membre du réseau des régulateurs européens, l’ERGA, qui constitue un outil pour faire converger les pratiques.
Sur le fond de la réforme audiovisuelle à conduire, Roch-Olivier Maistre a livré deux indications sur les positions que le CSA sera amené à formuler : d’une part, il n’est pas favorable à la fusion des obligations entre l’audiovisuel et le cinéma ; d’autre part, le respect du droit d’auteur par les plateformes, comme par les diffuseurs traditionnels, devra être un principe essentiel à défendre.
... et indispensable régulation fiscale
Vice-présidente de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, Émilie Cariou a évoqué la régulation fiscale des plateformes. Ce chantier, abordé notamment dans le cadre de l’OCDE, avance. De la même manière, selon elle, la Commission Européenne présidé par Jean-Claude Juncker, a aussi été celle qui a le plus avancé sur l’optimisation fiscale, notamment des GAFA, mais aussi sur le droit d’auteur : réglement portabilité, directive câble-satellite, directive droit d’auteur. Positive, l’adoption de ces textes doit désormais faire l’objet d’une « transposition très rapide », et notamment la directive Câble-Satellite et les dispositions permettant de securiser les droits des auteurs.
Ce point de vue, partagé par tous les intervenants, l’a aussi été par Pascal Rogard, directeur général de la SACD, qui animait ce débat, pour lequel la France, qui a été le phare de l’Europe pour défendre le droit d’auteur et porter ces nouvelles régulations, doit désormais donner le la en matière de transposition.
Emilie Cariou a aussi fait part de son soutien à l’harmonisation des taux de taxes versées au CNC par les diffuseurs, aujourd’hui soumis à un taux de 5,5% de leur chiffre d’affaires, et de celui des acteurs de la vidéo à la demande dont le taux est limité à 2%. Cette convergence lui semble d’autant plus indispensable que l’évolution des usages brouille les frontières entre le monde des télévisions et celui des plateformes.
Des obligations d'investissement à défendre
Olivier Henrard, directeur général du CNC, a souligné que le Ministre avait justement souligné le matin même que cette convergence des taux des taxes serait défendue dans le cadre de la future loi de finances pour 2020. Mais, il a aussi rappelé certains chiffres importants : un quart des 15-19 ans utilisent Netflix. Cet usage important s’accompagne de 3 caractéristiques déceptives :
- les investissements dans la création de la part des plateformes ne sont pas le reflet de l’engouement qu’elles suscitent (35 millions d’euros d’investissement pour les plateformes alors que les 4 grands groupes historiques de l’audiovisuel investissent chaque année 1 milliard d’euros)
- l’expérience du cinéphile sur ces plateformes est decevante car il n’y trouve qu’une offre parcellaire (75% des films ne sont disponibles que sur une seule plateforme)
- les œuvres françaises sont très en retrait sur ces services (22% de l’offre ; 30% de la consommation effective ; alors que, dans le même temps, en salles, les films français détiennent 40% de part de marché).
Dans le cadre de la transposition de la directive SMA, il a également fait part de la nécessité de défendre des obligations d’investissement dans la création séparées entre audiovisuel et cinéma.
Enfin, il s’est dit très attaché à l’existence d’une filière de production indépendante grâce notamment à « un droit d’auteur qui doit s’appliquer et doit encadrer les modalités de cession des droits aux plateformes, pour les producteurs comme pour les auteurs ».
L'international, source de financement à ne pas négliger
Pour Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+, l’international ne doit pas être négligé dans les réflexions sur les plateformes. Comme Jean-Paul Salomé, il est convaincu que l’export est une source de revenus complémentaires pour le cinéma. Il a d’ailleurs demandé aux équipes de Studio Canal de toujours rechercher du financement international, au moins la moitié, pour monter les films.
Sur le plan français, deux angles lui semblent essentiels : pour revenir à une situation de concurrence plus loyale et à davantage d’équité avec les plateformes, il faut utiliser la contrainte, notamment à l’égard des taxes qui s’appliquent pour les acteurs audiovisuels. Aujourd’hui, il considère que les plateformes bénéficient de régimes plus que favorables alors qu’un groupe comme Canal+ est au contraire soumis à des taxations très fortes.
Au-delà de la contrainte, il a estimé également qu’il fallait intéresser les plateformes à s’intégrer dans notre système. Il a regretté que, malgré les avancées significative permises par la nouvelle chronologie des médias, les plateformes ne souhaitent pas s’y investir. À Cannes, les négociateurs de Netflix proposent 2 options aux producteurs : soit prendre le film et ne pas le sortir en salles pour pouvoir l’exploiter immédiatement sur la plateforme ; soit sortir le film en salles mais repousser l’exploitation du film en vidéo à la demande 36 mois après la sortie en salles. A aucun moment, Netflix n’envisage de pouvoir s’engager sur une voie similaire à celle prise par les chaînes cinéma avec des engagements minimaux à l’égard du cinéma. Auquel cas, le film pourrait sortir 15 mois seulement après la salle.
Pour Maxime Saada, les plateformes ne sont pas dans cette logique de chronologie. ils veulent le film tout de suite. Tout autre délai ne les intéresse pas.
Il a aussi invité à être prudent à l’approche de la future loi audiovisuelle pour ne pas déstabiliser le modèle payant de la télévision. Toutes les propositions tendant à permettre de diffuser les films en télévision de rattrapage pour les chaînes gratuites ou à lever la règle des jours interdits lui semblent dangereuses car elles risquent de faire perdre de la valeur au cinéma sur les chaînes payantes.
Pour maintenir la valeur du cinéma, il souhaite aussi une action vigoureuse des pouvoirs publics pour lutter contre le piratage.
Après la bataille des plateformes, celle des oeuvres
Apporter de l’argent nouveau au cinéma et le faire rentrer par les entreprises : c’est la mission qui a été confiée à Dominique Boutonnat et qui a donné lieu à un rapport et des propositions formulées juste avant Cannes. Elles reposent sur un constat fort : avec l’arrivée de Netflix qui a su s’imposer vite, la France (et l’Europe) a perdu la bataille des plateformes. Elle doit désormais livrer la bataille des contenus et des œuvres, pour lesquelles elle a beaucoup d’atouts à faire valoir.
Les financements apportés par les plateformes font courir le risque de faire perdre aux producteurs l’autonomie et l’indépendance qu’ils avaient, en les transformant en producteurs exécutifs. Or, le système français repose sur une relation particulière entre l’auteur, le créateur et le producteur indépendant.
L’urgence pour Dominique Boutonnat est de mieux accompagner des entreprises de production indépendantes souvent sous-capitalisées pour qu’elles soient plus fortes et puissent, par exemple, investir davantage dans les phases d’écriture et de développement.
Le plan annoncé il y a une semaine par le Président de la République avec la création d’un fonds pour les industries culturelles doté de 225 millions d’euros s’inscrit dans cette logique. Pour Dominique Boutonnat, il faudrait qu’entre 80 et 100 millions d’euros puissent être fléchés vers l’audiovisuel et le cinéma : « Avoir un fonds public qui amorce et qui aide serait très utile. »
Transposer urgemment les directives européennes
Pour Catherine Morin-Desailly, présidente de la Commission Culture du Sénat, qui avait déjà évoqué il y a quelques années le risque pour l’Europe de devenir une colonie numérique, se poser la question de la régulation des plateformes relève d’une question de souveraineté. La première démarche à engager, face à ces géants, essentiellement américains et qui sont devenus des intermédiaires obligatoires, est de transposer urgemment les directives européennes. La bataille sera d’ailleurs rude car nul doute que ces GAFA essaieront d’imposer des transpositions minimalistes.
Pour elle, il faut aussi aller plus loin pour ne pas se laisser imposer nos choix et éviter que le risque d’homogénéisation de la culture, lié aux algorithmes, ne devienne une réalité. Elle propose d’ailleurs de rouvrir la directive E-commerce pour fixer de nouvelles règles à ces plateformes et s’écarter du chemin de la corégulation portée par le gouvernement : « Penser qu’on peut coréguler avec ces plateformes est une erreur. La multiplication récente des scandales montre qu’on ne peut pas marcher ainsi avec ces acteurs. »
Il y a aussi une nécessité, selon elle, à mener une politique audiovisuelle nouvelle et ambitieuse. Elle craint d’ailleurs que la réforme audiovisuelle, annoncée pour fin 2019-début 2020 au Parlement ne soit encore une fois repoussée, comme elle l’est depuis 2 ans. C’est aussi le service public qui doit avoir une nouvelle impulsion. À cet égard, la suppression de France 4 est incompréhensible alors même qu’il n’y a aucune assurance que toute la France sera couverte en haut-débit à cet horizon 2020 et que des français pourraient ne plus recevoir les programmes jeunesse du service public.