Jean-Claude Grumberg, un théâtre de mémoire
L'auteur était l'invité du dernier numéro de Mots en scène de la saison pour explorer son oeuvre dramatique marquée par les atrocités de la seconde guerre mondiale."Un auteur considéré comme classique de son vivant" : voici comment Olivier Barrot a présenté Jean-Claude Grumberg en introduction de la rencontre Mots en scène que la SACD lui consacrait au mois de juin dernier. Au programme du Bac, primées, adaptées à l'étranger, plusieurs de ses pièces, L'Atelier, Dreyfus ou encore Zone Libre, sont en effet appelées à figurer longtemps au répertoire. Eloges que Jean-Claude Grumberg balaie d'un revers. A la question de son hôte du soir, "Comment écrivez-vous ?" il a cette réponse exquise : "Comme je peux." Et l'auteur de dévoiler un rapport à l'écriture plus douloureux qu'on pourrait le penser : "J'écris oralement. Je n'ai jamais eu de discipline. J'écris comme ça vient. Des fois il me faut 20 minutes, et des fois, comme pour L'Atelier, il me faut cinq ans à ne faire que ça et en ayant beaucoup de scrupules de prendre autant de temps. Ce que j'ai appris - et il m'a fallu pour ça en passer par l'analyse -, c'est que plus on a de projets en même temps, plus c'est simple."
Avant de rentrer dans le détail de son oeuvre, l'auteur s'est souvenu de son entrée en écriture, qu'il attribue à une bonne étoile. Comme beaucoup, il se destinait à jouer la comédie mais faute de travailler, il se décide un jour à rédiger ses propres textes. Sur un tournage TV à Biscarosse où il doit tenir un petit rôle, le réalisateur qui a eu vent de ses activités d'auteur appelle à l'aide Jean-Claude Grumberg pour qu'il repasse sur des dialogues faiblards. Il raconte : "J'ai réparé quelques répliques à la demande. Un homme me demande si j'ai écrit des pièces. Je lui en donne. Le lendemain, le type m'annonce qu'on va monter Demain une fenêtre sur rue. Je me dis qu'il se fout de ma gueule. C'était Marcel Cuvelier, le premier à avoir monté Ionesco... Cuvelier a tout perdu dans l'affaire mais moi, j'étais devenu un auteur. J'avais le droit de rester assis à la terrasse d'un café et de dire "J'écris.""
Douloureux succès
Avec Amorphe d'Ottenburg (1971), Jean-Claude Grumberg commence en filigrane à aborder la seconde guerre mondiale et la tragédie atroce connue par sa famille, frappée par les déportations. Amorphe est le fils d'un seigneur dont il fait l'admiration car ses crimes perpétrés sur les populations les plus défavorisées vont redresser l'économie du royaume. Or Amorphe aime juste tuer. "Je souhaitais parler du IIIe Reich et du meurtre des bouches inutiles commis par les nazis, qui ont commencé avec les infirmes, les vieillards... Pour cela je me suis rapproché d'une forme de mauvais Shakespeare, inspiré par Richard III mais aussi par Ubu. A ma grande surprise, les grands théâtres se sont battus pour la monter."
Il aborde à nouveau le sujet de manière un peu moins métaphorique mais pas encore tout à fait frontalement non plus avec Dreyfus (1974) qui met en scène dans une petite ville de Pologne des années 30 la préparation d'une pièce sur l'affaire Dreyfus. On y rit. L'auteur confie qu'il souhaitait faire avec ce texte, "une pièce jouée après le génocide mais qui se passerait avant, jouée par des gens qui parlent d'une affaire déjà vieille pour eux." Jean-Claude Grumberg rappelle que ne serait-ce que prononcer le mot juif sur une scène était audacieux à l'époque. "C'était la première fois depuis la guerre que dans un théâtre national, tous les personnages d'un spectacle étaient juifs." Dreyfus fut, là encore un immense succès. "Au point que j'en ai même été malade", confie l'auteur.
"L'auteur de L'Atelier"
L'Atelier (1979) poursuit cette exploration de l'Histoire avec un grand H résonnant avec sa propre trajectoire familiale via les dialogues entre les ouvriers d'un atelier de confection au sortir de la seconde guerre mondiale. Son plus gros succès qui lui vaut comme il le dit d'être présenté à jamais comme "l'auteur de L'Atelier". Mais ce succès, là encore, ne fut pas facile à vivre pour Jean-Claude Grumberg : "Sur le plateau, on parlait de la mort de mon père, de la maladie de ma mère et les gens riaient. J'étais gêné de faire rire avec ça. Et j'étais plus gêné encore quand ils ne riaient pas. Cela m'a rendu malade."
En 1990, Zone Libre viendra clore cette trilogie sur l'horreur de la seconde guerre mondiale : "Dreyfus se passe avant le génocide, L'Atelier, après. Il fallait raconter le pendant." Il narre donc l'histoire d'une famille juive qui fuit les rafles et se réfugie en zone libre à la campagne. "Ce fut difficile car la vie des gens qui se cachaient était anti-théâtrale. Il ne se passait rien."
Un seul numéro de Mots en scène n'a pas suffi à explorer toute l'oeuvre théâtrale de Jean-Claude Grumberg, loin s'en faut. L'auteur continue d'ailleurs de publier ; sa dernière pièce, La Vie sexuelle des mollusques, est parue en 2016 chez Actes Sud. Et puis, il est également un auteur dramatique jeunesse à la riche carrière. Du Petit Violon à Pinok et Barbie en passant par Iq et Ox, il y aurait de quoi nourrir un deuxième entretien à la Maison des Auteurs de la SACD. Et c'est justement ce qu'a proposé Olivier Barrot ! Le rendez-vous est pris.