La Vidéo à la demande par abonnement, réalité et conséquences
La SACD organisait le 12 mai à Cannes sur la plage du CNC un débat sur le thème "Cinéma et plateformes numériques : je t’aime, moi non plus ?".Dans le paysage audiovisuel, les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (VaDA) occupent une place croissante. Pour bien en mesurer la réalité et les conséquences, le CNC et le CSA ont réalisé une étude commune.
Premier constat relayé par Frédérique Bredin, présidente du CNC : le marché des services de VàDA est en croissance exponentielle. En un an, le chiffre d’affaires de ces services a crû de 90% pour atteindre 250 millions d’euros et une population d’abonnés proche de 3,5 millions.
Ce développement très rapide a des conséquences fortes sur les acteurs historiques.
Nouveaux enjeux
Il bouleverse la production en modifiant les standards de la production avec des coûts plus élevés. Il bouleverse l’acquisition des droits : les plateformes procèdent à des acquisitions pour le monde entier et pour des périodes longues. Il bouleverse la diffusion, désormais centrée sur les attentes des publics.
Détaillant les résultats de cette étude, Nathalie Sonnac, conseillère du CSA, a insisté sur quelques tendances lourdes de l’étude : les consommateurs de ces services sont nombreux, variés et exigeants à l’égard de l’offre de programmes et de l’expérience utilisateur ; ils utilisent plusieurs services. C’est également un marché ultra-concurrentiel. En tout, 65 services sont ainsi accessibles depuis la France. Pour autant, c’est également un marché sur lequel réussissent ceux qui investissent le plus dans les contenus et qui est aujourd’hui dominé par quelques géants américains, et Netflix en premier qui compte 118 millions d’abonnés dans le monde. Le cinéma constitue indiscutablement un moteur d’abonnement à ces services et représente près de la moitié de l’offre VaDA. Pour les créateurs, ces nouveaux services constituent une opportunité pour les auteurs et les ayants droit à condition qu’ils soient bien rémunérés, qu’il y ait une véritable transparence d’exploitation des œuvres et des négociations équitables des droits.
Pour Justine Ryst, directrice des partenariats pour l’Europe du Sud de YouTube, les bouleversements du numérique s’imposent aussi à des acteurs comme YouTube. En France, YouTube est la seconde plateforme de consommation pour l’ensemble des contenus autour des films (bande-annonce, interviews...). Près de 60 % de la consommation de YouTube passe par le mobile. « Aujourd’hui, YouTube permet une liberté totale en termes de programmes et de films. » Les formats peuvent être courts ou longs. De nouveaux modèles sont aussi explorés. Prochainement, le service par abonnement YouTube Red (sans publicité et avec un accès Offline) va être lancé dans 80 pays. Pour nourrir ce service, une première production européenne a été lancée la semaine dernière dans une logique de recherche-developpement pour mieux identifier à terme ce qui plait aux internautes. D’autres services liés au cinéma existent également : YouTube Movies qui compte 60 millions d’abonnés, Google Play Store pour louer ou acheter des œuvres...
En terme de rémunération et de partage de recettes avec les ayants droit, YouTube reverse plus de la moitié des revenus aux créateurs qui ont vu leurs ressources augmenter de plus de 50% depuis 3 ans. Pascal Rogard, qui animait ce débat, a rappelé le nouvel accord signé ces derniers mois entre la SACD et YouTube pour permettre une juste rémunération des auteurs.
L’engagement de YouTube et de Google dans le cinéma passe également par le biais de la lutte contre la piraterie. C’est dans ce cadre que depuis plusieurs années, le service Content ID a été développé. Ce service proposé aux professionnels du cinéma permette de créer des empreintes numériques des œuvres afin d’en bloquer ou d’en gérer l’exploitation. Ce système est d’ailleurs au cœur de l’accord que Google a signé avec le CNC et l’ALPA l’an dernier. Le but : faciliter son utilisation par les professionnels.
Face à cette nouvelle réalité, que faire ? Pour Frédérique Bredin, l’un des enjeux majeurs est de moderniser la régulation qui est aujourd’hui datée. Ce sera l’objet de la future loi sur l’audiovisuel, en particulier pour rendre applicable la régulation aux services non linéaires. Moderniser la réglementation, c’est aussi agir en Europe. Ce point a fait l’objet d’un large consensus. Frédérique Bredin s’est notamment réjouie du feu vert donné par la Commission européenne aux taxes votées en France pour assujettir toutes les plateformes à la taxe sur la vidéo.
Mais, l’avancée en Europe, c’est aussi la nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels qui prévoit deux progrès : la mise en œuvre d’un quota d’exposition des œuvres européennes d’au moins 30 % sur les plateformes ; l’obligation pour les services de VaDA d’investir dans la création européenne sur la base du chiffre d’affaires généré dans le pays prévoyant de telles obligations. Pour Emilie Cariou, vice-présidente de la Commission des finances de l’Assemblee nationale et ancienne conseillère droit d’auteur et Europe au cabinet du ministère de la Culture entre 2014 et 2016, « on peut être satisfait de l’adoption de cette directive, c’est un vrai progrès car au début de la présidence Juncker, la seule volonté était de casser les barrières nationales du droit d’auteur ». Elle a rappelé le rôle important joué par la France pour obtenir cette nouvelle directive.
Une régulation à renforcer et à moderniser
La tonalité était la même chez Nathalie Sonnac qui a souligné l’engagement du CSA au sein de l’ERGA, rassemblement des CSA européens, pour une régulation renforcée. Son rôle n’est d’ailleurs pas terminé car la phase de mise en œuvre opérationnelle de la directive appelle une vigilance et une coopération entre les régulateurs nationaux de l’audiovisuel. Pour Frédérique Bredin, « il y aura un avant et un après directive SMA ». Elle a toutefois réclamé également une vigilance sur plusieurs points : la diversité des formats, des genres et de la production, la protection du droit d’auteur et le respect du statut de producteur délégué, la protection des données personnelles....
Enfin, agir doit aussi conduire à réviser en profondeur la chronologie des médias. C’est le message délivré par Frédérique Bredin mais aussi par la cinéaste Céline Sciamma. Elle a plaidé pour un équilibre à trouver entre les valeurs qui animent le cinéma français (diversité, solidarité et mutualisation) et la modernité : « Pour accueillir ces nouveaux acteurs du numérique, il faut une régulation. » Si quelques propositions faites par les médiateurs allaient dans le bon sens, elle a regretté qu’on ne prenne pas suffisamment le virage du numérique. En l’occurrence, pour elle, une bonne chronologie devrait respecter le principe de neutralité technologique. Autrement dit, à engagement égal en faveur de la création, il n’y a pas de raison de prévoir des fenêtres distinctes entre les services numériques et les télévisions payantes plus classiques.