Eric-Emmanuel Schmitt, "carcassier" accompli
L'écrivain et dramaturge était l'invité de Mots en scène à la SACD en janvier dernier. Evoquant son rapport à l'écriture de théâtre, il a revendiqué un soin particulier apporté à la structure, la "carcasse", de ses pièces.Dans la riche et très diverse bibliographie d'Eric-Emmanuel Schmitt, auteur complet s'étant essayé à la plupart des genres littéraires, une particularité a retenu l'attention d'Olivier Barrot, qui le recevait pour un numéro de Mots en scène à la Maison des Auteurs de la SACD : c'est par le théâtre qu'il a commencé à écrire et c'est sur les planches que sa carrière couronnée d'un large succès international s'est d'abord lancée. L'auteur n'est venu au roman et à la nouvelle que par la suite. Une trajectoire plutôt à revers de ce que l'on voit habituellement et qui trouve son origine, selon l'intéressé, dans une représentation décisive de Cyrano de Bergerac avec Jean Marais, vue enfant. Un choc de spectateur qui lui fit dire à sa mère : "Je veux faire ça plus tard. Faire pleurer tout le monde. Je veux "faire" Edmond Rostand."
Mythes et spiritualités
Ses deux premières pièces seront pour ce normalien, agrégé de philosophie, l'occasion de se confronter à des mythes : dans La Nuit de Valognes, créée en 1991 à l'Espace 44, à Nantes, il s'attaque à la figure de Don Juan, imaginant son procès par cinq de ses anciennes amantes pour mieux déjouer certaines évidences. "Je ne trouve pas évident qu'au bout du désir, il y ait forcément l'amour. L'amour est dans une autre temporalité que le sexe." Deuxième pièce, Le Visiteur, et autre confrontation avec un mythe, majeur : Dieu Lui-même, sous la forme d'un visiteur se présentant au cabinet de Sigmund Freud. Peut-être simplement un fou ? "Je voulais que le spectateur réponde par lui-même à cette question, car elle est intime." L'idée lui est venue d'une telle confrontation en regardant le journal télévisé : "Quand il regarde le 20 heures, Dieu doit déprimer. Et qui va-t-Il voir quand il fait une dépression ? Freud. Aucun des deux ne croit en l'autre, donc ils doivent avoir des milliers de choses à se dire."
Le religieux occupe une place centrale dans l'oeuvre d'Eric-Emmanuel Schmitt. Avec Le Visiteur, il questionne la foi mais aussi l'athéisme. "Il existe beaucoup de textes mettant en scène un croyant qui doute, explique-t-il. J'ai pris le parti inverse car je trouvais plus intéressant que ce soit un athée qui doute." Le Théâtre Vidy-Lausanne lui commanda d'ailleurs, avec Bruno Abraham-Kremer, un texte sur la spiritualité. L'auteur ouvre alors avec Milarepa et son protagoniste yogi tibétain, sa Trilogie de l'Invisible. A nouveau avec Bruno Abraham-Kremer, il crée dans la foulée Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, nourrie de soufisme, puis conluera la trilogie avec Oscar et la Dame rose. "La plupart des textes sur la religion sont prosélytes, qu'ils le soient pour convertir ou pour repousser. J'ai abordé ces pièces avec une volonté humaniste : les spiritualités sont des fournisseurs de sens."
Structure et silences
Cette trilogie est aussi pour Eric-Emmanuel Schmitt, l'occasion de mûrir son écriture. "Milarepa est un texte très littéraire. J'avais ce problème d'arriver d'un monde de lettrés. Monsieur Ibrahim... m'a débloqué. Il m'a fallu du temps pour oser la "parlure" et j'ai trouvé le ton dans ce long monologue. Puis, avec Oscar..., j'ai même donné la parole à un enfant de 10 ans." Dans ce dernier texte, en effet, il met en scène un garçon condamné par la maladie qui écrit des lettres à Dieu et entame un dialogue avec une thérapeuthe. Danielle Darrieux joue les deux personnages. La comédienne décrochera un Molière pour ce premier seul en scène à 86 ans. "Danielle Darrieux, c'était de la lumière pure, se souvient le dramaturge. Elle avait le don de l'évidence, elle disait une réplique et personne ne pouvait la dire autrement." Et pourtant le texte n'avait pas été écrit pour elle à l'origine car Eric-Emmanuel Schmitt l'avoue, il ne sait pas écrire pour les comédiens. "On me l'a parfois demandé mais je ne sais pas faire ça. J'écris et ensuite je me dis que ça irait bien pour tel acteur ou actrice." Ce qui n'a jamis empêché ses pièces d'accueillir les plus grands noms : pour n'en citer que quelques-uns, Alain Delon dans Variations énigmatiques (1997), Jean-Paul Belmondo dans Frédérick ou le Boulevard du Crime (1998), Bernard Giraudeau dans Le Libertin (1997) et dans Petits Crimes conjugaux (2003) aux côtés de Charlotte Rampling...
L'écriture est pour lui, en premier lieu affaire de structure. Pour les pièces, comme pour les nouvelles ou les romans. "Au XIXe siècle on parlait de "carcassier". Alexandre Dumas utilisait des nègres littéraires pour ses romans mais était un grand carcassier. Je ne commence à écrire que quand j'ai un début, un milieu et une fin. Je fais confiance à cette carcasse. Rédiger est ensuite une jubilation, en même temps qu'une formalité (si c'est bien construit)." Avec le temps, Eric-Emmanuel Schmitt explique avoir aussi compris une règle importante de l'écriture dramatique : "Mieux écrire pour le théâtre, c'est moins écrire, pour laisser plus de place au silence et aux comédiens."
Un de ses maîtres au théâtre demeure Sacha Guitry. Il lui a abondamment rendu hommage dans la pièce The Guitrys, consacré à l'auteur et à son épouse, Yvonne Printemps. Et voilà Eric-Emmanuel Schmitt qui remet ça cette saison dans le théâtre qu'il dirige, le Rive Gauche, avec Mémoires d'un tricheur, adapté du seul roman de Guitry. "Dès que l'on dit Guitry, la fantaisie s'allume et on s'amuse", conclue Eric-Emmanuel Schmitt qui met lui-même en scène le spectacle avec Olivier Lejeune dans le rôle de Guitry et Sylvain Katan dans celui de tous les autres personnages. A découvrir depuis le 27 janvier.