La diffusion des spectacles, enjeu politique
A l’occasion des BIS de Nantes, la SACD organisait le 17 janvier un débat sur le thème : « La diffusion des œuvres : talon d’Achille de la politique du spectacle vivant ? ».Olivier Meyer, Cécile Backès, Régine Hatchondo, Pascal Rogard, François Decoster, Corinne Klomp, Philippe Chapelon
Pour lancer les échanges, Pascal Rogard, le directeur général de la SACD, qui animait la rencontre, a rappelé qu’un consensus assez large existait en France autour de l’idée qu’on créait et produisait beaucoup d’œuvres mais qu’on ne les diffusait pas suffisamment.
C’est aussi l’intuition de Corinne Klomp, autrice et première vice-présidente de la SACD, même si aujourd’hui on souffre d’un manque de chiffres et de statistiques pour mieux mesurer la diffusion. Selon elle, il est urgent que la constitution d’un observatoire du spectacle vivant, en cours de développement au Ministère, se fasse rapidement. Cela permettrait de bénéficier d’un panorama complet du spectacle vivant. De façon plus spécifique, l’observatoire servirait également à mieux connaître la place des autrices dans les programmations du spectacle vivant ainsi que la part des œuvres dramatiques originales. Là aussi, les auteurs ont l’impression que la part des adaptations se développe au détriment de la création originale qui doit pouvoir s’exprimer et être diffusée. Ça doit être le cas pour Avignon OFF mais c’est aussi le sujet de la circulation entre le théâtre privé et le théâtre public. Pour conclure son intervention, elle a d’ailleurs insisté sur une convergence actuelle entre privé et public, la difficulté pour les auteurs non connus ou émergents de pouvoir faire lire et découvrir leurs œuvres par les responsables des lieux.
Pour Cécile Backès, metteure en scène, directrice de la Comédie de Béthune, quand on dirige un établissement public, la diffusion est un élément important mais qui prend sa place parmi d’autres contraintes du cahier des charges. En tant que metteure en scène, elle rêve que ses spectacles soient beaucoup plus joués, mais il faut aussi trouver un équilibre entre le public et l’œuvre originale. Au CDN de Béhune qui reçoit aujourd’hui le plus d’artistes femmes, elle développe chaque année 3 à 4 nouvelles créations par an. Créer des œuvres et des formes nouvelles est au cœur de la mission des CDN. Elle reconnaît qu’il y a des difficultés ou des complications pour diffuser autant qu’elle pourrait le souhaiter : il est ainsi plus facile de diffuser largement une recréation de Molière plutôt qu’une œuvre d’un auteur ou d’une autrice contemporain.e. ; de même, le statut de Paris dans le paysage théâtral a une conséquence importante : si la pièce n’est pas jouée à Paris, il est difficile de la faire circuler.
Olivier Meyer, directeur du Théâtre de Suresnes Jean Vilar, a vu des évolutions profondes dans les propositions artistiques qu’il reçoit. L’inflation du nombre de ces propositions (il en reçoit environ 30 par jour) pose le problème de savoir se situer et de sélectionner. Autre évolution : avant, l’excellence créait la notoriété, aujourd’hui c’est la notoriété qui crée l’excellence. Les personnalités deviennent des marques qui remplissent des salles. Or, le travail d’un directeur, d’un producteur et d’un programmateur est d’être attentif aux propositions, de connaître, d’aimer et d’accompagner. Parmi ses propositions pour favoriser les passerelles entre théâtre public et privé, il pense qu’il serait possible pour des productions du public d’être proposées aux théâtres privés dans des périodes où il peut y avoir des creux. C’est une idée à laquelle il avait réfléchi au sein du Conseil de la création artistique il y a 6 ans et qui garde selon lui sa pertinence.
Philippe Chapelon, secrétaire général du SNES, a insisté sur l’évolution ces dernières années du métier d’entrepreneur de tournées puisque beaucoup d’entre eux sont aussi devenus producteurs. Selon lui, deux volets doivent être envisagés pour comprendre le présent et envisager l’avenir :
- un volet professionnalisation et structuration pour tenir compte d’un environnement qui s’est modifié avec une offre enrichie de création et des tournées dont le nombre de représentations a considérablement baissé. Il y a 15 ans, une bonne tournée, c’était une centaine de dates ; aujourd’hui, avoir 30 dates est un bon chiffre. C’est pourquoi il plaide pour l’instauration d’un crédit d’impôt théâtre afin d’accompagner le développement des tournées grâce à ce qui pourrait être un coup de pouce financier avec la prise en charge d’une partie des coûts.
- un volet idéologique puisque lors de la concertation sur l’élaboration des décrets relatifs aux labels, le SNES s’est battu pour qu’il soit possible pour une structure publique de travailler avec un tourneur privé. Mais, pour que davantage de passerelles se créent, il a rappelé que le Ministère devrait s’impliquer fortement dans la construction de ce nouveau paysage et de ces nouvelles coopérations. Cécile Backès a toutefois douté que la seule intervention des pouvoirs publics soit suffisante dans la mesure où ce qui sépare le public et le privé, c’est la prépondérance de la logique économique qui existe dans le privé.
Régine Hatchondo, directrice générale de la création artistique au Ministère de la Culture, a partagé le constat souvent émis au cours de ces débats : il y a une peau de chagrin de la diffusion. S’il n’y a pas trop de création et s’il ne faut pas créer des guichets uniques d’aide qui gommeraient la nécessaire pluralité des regards, elle estime en revanche qu’une plateforme permettant de connaître avec précision les aides délivrées par l’Etat et les collectivités pour chacun des spectacles serait une avancée. Comme les autres intervenants, elle a fait part de son impatience de voir naître l’observatoire du spectacle vivant. Cet outil serait en particulier utile pour avoir une visibilité sur la fréquentation payante des spectacles mais aussi de faire une veille en matière de démocratisation culturelle et d’éducation artistique.
Refusant toute logique malthusienne, le Ministère réfléchit, avec les professionnels, à l’évolution de son intervention et à le nécessité de repenser ses outils face à quelques constats importants : la mixité du public du spectacle vivant n’est pas égale à celle de la population française en général, le maintien des budgets de l’Etat ne permet pas d’absorber l’augmentation des charges qui pèsent sur les lieux ; le nombre de compagnies augmente plus vite que les subventions de l’Etat, au risque de leur paupérisation... C’est pourquoi l’Etat souhaite travailler sur de nouvelles formes de diffusion pour toucher de nouveaux publics et avoir une réflexion particulière sur l’itinérance et le hors-les-murs.
De nouvelles études vont être lancées pour avoir une vue précise des bouleversements du secteur : une étude sur la concentration dans les salles de moins de 2000 places, sur les festivals dont certains sont aussi rachetés pas de grands groupes ; une étude sur la vente en ligne pour bien mesurer les phénomènes de captations de valeur et de contrôle des Datas.
Dernier intervenant de ce débat, François Decoster, vice-président Culture de la Région Hauts-de-France, a rappelé que la politique culturelle, dans une région comme la sienne, où la seule opposition est celle de l’extrême-droite est d’une importance politique majeure. C’est pourquoi les Hauts-de-France ont aujourd’hui le budget culture le plus élevé de toutes les régions françaises (96 millions d’euros en 2018). La politique de diffusion de la Région se fixe des objectifs clés : tenir compte et enrichir le maillage du territoire ; accompagner tous les types de lieux ; viser à une politique culturelle pour l’ensemble des 6 millions d’habitants ; soutenir de nouvelles formes de création et de diffusion pour toucher les publics qui ne vont pas aujourd’hui dans les lieux culturels ; accompagner la prise de risques (d’où le prochain rallongement à 6 ans au lieu de 3 des conventions aux compagnies) ; faire mieux circuler les œuvres dans la Région et au-delà. Une prochaine convention va d’ailleurs être signée avec la Communauté de Flandre pour créer de nouvelles passerelles.
« La culture, c’est un combat politique » : c’est sur ce mot de fin fédérateur que François Decoster a conclu son intervention et le débat.