Une rencontre autour de la diversité à la SACD
La SACD organisait le 4 décembre une rencontre sur la diversité autour de Claire Diao, journaliste franco-burkinabée et autrice de "Double Vague, le nouveau souffle du cinéma français" et de Mémona Hintermann-Afféjee, membre du CSA et présidente de l’Observatoire de la diversité dans les médias audiovisuels.Comment mieux refléter la diversité de la société française dans le monde audiovisuel et cinématographique ? C’était la question fil rouge de cette rencontre inédite animée par Pascal Rogard et animée tout court. Beaucoup de questions, de témoignages, de colère pour raconter les discriminations à l’œuvre dans le cinéma et l’audiovisuel français.
Double Vague : une génération loin de l’institution
Claire Diao a présenté son livre Double Vague, le nouveau souffle du cinéma français, et les raisons qui l’ont poussée à l’écrire. « Je rencontre beaucoup d’auteurs à l’étranger qui n’ont pas de structure institutionnelle sur laquelle s’appuyer pour faire du cinéma et envient notre situation en France. Mais en regardant dans le rétroviseur, je me suis dit que les cinéastes que je côtoie ne bénéficiaient pas non plus de financements. Et pourtant, ils vivent en France dans un pays où il y a le CNC… C’est de là qu’est née mon envie de faire ces portraits de cinéastes de 2012 à 2016 pour le Bondy Blog. Ils m’ont parlé de leur parcours, de leur rapport au cinéma français, de leurs influences cinématographiques, de leurs envies de mettre en scène. Je me suis rendu compte qu’ils avaient beaucoup de points communs. La deuxième raison c’est le décès il y a un an d’Aïcha Bélaïdi, la fondatrice du festival Les pépites du cinéma ; une femme de l’ombre qui a passé 10 ans à révéler des Djinn Carrénard (Donoma) ou des Jean-Pascal Zadi (African Gangster). Elle a fait un véritable travail de défrichage. Et à l’inverse de beaucoup d’institutions qui soutiennent le court métrage, elle s’est intéressée aux cinéastes de longs métrages. Avec elle, on a pris conscience d’auteurs qui faisaient des films de façon totalement autoproduite, comme Jean-Pascal qui vendait ses DVD aux Puces de Saint-Ouen ou via le réseau de la Fnac. A l’enterrement d’Aicha, il y avait beaucoup de cinéastes qui ne se connaissaient pas forcement entre eux, et ce livre m’a semblé important pour lui rendre hommage. Ce ne sont pas une ou deux personnes que nous mettons en lumière mais énormément de cinéastes qui se battent et qui essaient d’exister. »
Pascal Rogard a dit avoir été frappé par le talent de ces cinéastes (« le talent pas la différence », a-t-il précisé) et par leur difficulté à entrer au CNC. « Quels sont les véritables obstacles ? » a-t-il demandé à Claire Diao. Pour elle, c’est la compréhension de l’institution. « Soit les cinéastes ont un producteur, et c’est eux qui comprennent l’institution et rendent le film éligible. Soit les auteurs s’autoproduisent, et déposent eux-mêmes leurs projets, et c’est beaucoup plus compliqué. » A ce titre, elle a rendu hommage dans son livre à Morad Kertobi, chef du département Court métrage au CNC. « Il ramène un visage sur l’institution. Il se déplace dans les festivals, prend le temps d’expliquer ce qu’est le CNC, anime des tables rondes sur le scénario, le court métrage… Il a permis de rendre éligibles des festivals à l’aide après réalisation, anciennement l’aide à la qualité. Plusieurs cinéastes ont ainsi décroché des sommes conséquentes et sont rentrés par la suite dans des commissions. »
Mémona Hintermann-Afféjee : « le CSA n’est pas la meilleure maison pour faire bouger les choses»
Avant d’évoquer son action au CSA, Mémona Hintermann-Afféjee a souhaité « faire un détour » par son parcours qu’elle a aussi raconté dans Tête haute, paru en 2007. « Je suis née sur l’Ile de la Réunion d’un père indien musulman et d’une mère bretonne analphabète, qui ne se sont pas mariés et qui ont eu 11 enfants. J’avais zéro chance d’y arriver. C’est l’école qui m’a sauvé la mise, qui nous a éveillés au civisme, qui nous a appris à nous respecter. » Son parcours exemplaire est toutefois semé d’embuches. En 1976, alors qu’elle démarre comme jeune journaliste, un responsable de l’ORTF lui suggère de changer de nom. En 2000, la Mairie de Neuilly-sur-Seine lui demande de prouver qu’elle est française pour renouveler sa carte d’identité… En 2012, elle se dit que si elle veut changer quelque chose, elle doit entrer au CSA. « J’avais zéro contact, je suis allée voir Catherine Tasca au Sénat, qui m’avait donné une médaille (Chevalier de l’ordre de la légion d’honneur, ndlr). Elle m’a dit d’aller voir Hervé Bourges, qui était alors président du Comité permanent de la diversité de France Télévisions. Il m’a donné le contact des trois personnes à aller voir à l’Elysée, à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Et le 9 janvier 2013, Jean-Pierre Bel, que je ne connaissais pas, m’a appelée pour me dire qu’il me nommait au CSA ».
Heureux dénouement ? Non, la chute de l’histoire est arrivée juste après: « Je me suis fait de belles illusions, parce que ça fait cinq ans que j’y suis, et on est pratiquement au même point que quand je suis arrivée. Le CSA n’est pas la meilleure maison pour faire bouger les choses. » Selon le dernier baromètre de l’observatoire de la diversité du CSA*, la représentation « des personnes perçues comme non blanches » (formule consacrée) est de 16%, un pourcentage en très légère augmentation (14% en 2015), en partie grâce à la fiction américaine… Surtout, ces personnes perçues comme non blanches sont surreprésentées dans les activités marginales ou illégales à hauteur de 34% !
Précision de Mémona Hintermann-Afféjee : « Le baromètre de la diversité pour 2017 est en cours d'analyse. Première indication : l'aiguille bouge ...dans le bon sens, mais le pourcentage des personnes "vues comme non blanches dans des activités marginales" ne change guère. Pour que les écrans soient un peu moins pâles, un peu plus ressemblants au visage de la France, seule la vitalité de la société civile peut donner un élan décisif. Je pense aux auteurs, réalisateurs, aux cinéastes de la jeune génération qui arrivent à raconter des histoires que d'autres ne pourraient pas raconter de la même manière. Messieurs les producteurs, encore un effort SVP ! »
Ces chiffres permettent de faire prendre conscience des réalités et de discuter avec les chaînes de télévision, mais le CSA n’a aucun pouvoir de sanction. L’article 1 de la constitution de 1958 (« la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ») lui interdit toute statistique ethnique, et donc tout quota.
Mémona Hintermann-Afféjee poursuit toutefois le combat. Au fur et à mesure, l'analyse des discriminations s'enrichit de nouveaux items pour mieux identifier celles qui passent sous le radar du CSA (origine, âge, social, handicap, hommes/femmes). En 2017, le CSA a introduit un nouveau critère :" la pauvreté" après audition d’ATD-Quart Monde, Caritas et Emmaüs. En 2018, le CSA a pris la responsabilité de compléter les critères en y ajoutant "l'adresse". La présidente de l’Observatoire de la diversité dans les médias audiovisuels a aussi proposé une grande étude sur les stéréotypes, afin de mettre en lumière la façon dont sont perçus les pauvres par exemple : « des poids, des problèmes, jamais des gens sympas avec de l’imagination ». Enfin, elle soutient des associations comme le Club XXIe siècle, qui vient de lancer « le guide des expertes et experts » avec 21 personnes représentant la diversité de la société française et susceptibles de venir s’exprimer dans les médias.
Une génération qui ne se reconnaît pas sur les écrans en France
Au fil des débats, il apparaît que toute une génération d’auteurs ne franchit pas la porte du CNC, ne se reconnaît pas sur les écrans et ne se pense pas en France. Les auteurs se plaignent de ne pas être entendus, d’être continuellement poussés vers la comédie, voire d’être récupérés… Comme l’a exprimé Patience Priso, qui très émue, a évoqué Aïcha Bélaïdi : « elle ne voulait pas rentrer dans les mafias, elle ne voulait pas baisser son pantalon, c’est pour ça qu’elle n’avait pas une thune. En France, on nous apprend la soumission. On nous dit de rentrer dans le système, et on finit par faire des choses tièdes. » Cette génération souffre de l’image véhiculée dans les médias : « On voit les 30% qui tiennent le mur, mais où sont les 70% restants ? » interroge Patience Priso. Claire Diao s’est justement rendu compte que les cinéastes de la Double Vague sont tous de la génération post 2005. « Le traitement médiatique des révoltes sociales de 2005 a fait très mal à l’image de soi de toute une partie de la population et pas seulement en France mais aussi à l’international puisqu’on a fait appel à des reporters de guerre pour couvrir les évènements dans les quartiers. C’est là qu’on a figé l’image du jeune de banlieue avec capuche, qui caillasse et qu’on va flouter. »
Se battre en groupe
Alors que faire pour faire bouger le baromètre de la diversité ? Pour Pascal Rogard, « il faut se battre en groupe car la France est un pays très institutionnel, et pour pouvoir passer les portes, mieux vaut être organisé, avoir des porte-parole et se servir de ceux qui sont connus ». Selon lui, c’est le moment idéal pour aller voir le CNC : « ils vont déménager et ils vont en profiter pour revoir leurs structures et être plus près des auteurs et des projets. Il faut aller voir Frédérique Bredin, Christophe Tardieu, Julien Neutres ».
Mémona Hintermann-Afféjee est allée dans le même sens : « C’est le moment de bouger ensemble. Il ne faut surtout pas tomber dans le piège et se dire : les Français ne nous aiment pas, rassemblons-nous entre Noirs ou Marrons. On est Français, on a des droits. Ecoutez Pascal Rogard, profitez de sa connaissance et de son expérience, c’est le roi du pétrole ! ». Elle s’est adressée aussi à Maïmouna Doucouré (Maman) pour lui dire que son discours à la cérémonie des César avait donné du courage à d’autres.
Pour tous, c’est là où se prennent les décisions qu’il faut changer les choses. « Avoir des cinéastes, des acteurs, des scénaristes, c’est une chose. Mais il faut aussi des directeurs de casting, des producteurs, des personnes au sein des chaînes de télévision, dans les commissions, les jurys qui comprennent cet univers, a renchéri Claire Diao. C’est le plus difficile car aujourd’hui, les propositions et les auteurs sont là, mais ils vont s’épuiser. La plupart des cinéastes de la Double Vague ont entre 30 et 45 ans, une vie de famille, un parcours professionnel, une démarche, une pensée, quelque chose à défendre. Leur préoccupation ce n’est pas de démarrer mais de continuer à faire du cinéma. »
Béatrice de Mondenard
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