Hommage à Jean d'Ormesson
Jean d'Ormesson, de l'Académie française, est décédé le 5 décembre. Nous republions, en hommage, l'intégralité de l'entretien qu'il nous avait accordé pour sa première pièce.En octobre 2012 se jouait au Théâtre Hébertot la première pièce de Jean d’Ormesson, La Conversation. Une expérience inédite pour l'écrivain qu'il nous racontait dans le numéro d'avril 2012 du Magazine de la SACD.
Jean d'Ormesson, jeune auteur de théâtre
Comment vous est-venue l’idée de La Conversation mise en scène par Jean-Laurent Silvi au théâtre Hébertot, votre toute première pièce de théâtre ?
En lisant des mémoires, celles Madame de Rémusat, de la Marquise de la Tour du Pin, de Madame de Chastenay, toutes truffées de savoureuses répliques. À ses débuts, Napoléon était très à gauche, notion anachronique, en ce sens qu’il était jacobin et l’ami de Robespierre surtout de son frère, Augustin. Lorsque Maximilien Robespierre est guillotiné le 9 Thermidor, il redoute le déclin de sa carrière. Il m’intéressait de décrire comment cet homme bascule vers l’Empire. J’ai d’abord songé à le faire dialoguer avec Talleyrand, autre homme d’esprit du XVIIIe siècle, aussi brillant que Chateaubriand et Fouché. Sauf que Talleyrand figurait dans Le Souper de Jean-Claude Brisville. J’ai donc choisi Cambacérès. Il est intéressant, en effet, que Napoléon parvienne à convaincre un régicide d’adhérer à l’Empire. De surcroît, Cambacérès est le deuxième personnage de l’État sous le Consulat. Il le restera sous l’Empire. Or il est assez méconnu. Cambacérès est un homme fidèle mais changeant. En témoigne Les 7 girouettes de M. Cambacérès de Jean-Louis Bory.
J’ai pris soin de mettre dans la bouche de Bonaparte des choses qu’il a dites - certes parfois sur une période de vingt ans - ou aurait pu dire. L’historien Jean Tulard n’a pas relevé d’erreurs historiques.
Par sa forme il s’agit d’un livre atypique dans votre œuvre.
J’écris en général de longs livres qui requièrent trois ou quatre ans de travail. Celui-ci, en revanche, est très court. Je l’ai rédigé en trois semaines. Félicien Marceau, romancier et homme de théâtre, disait qu’une pièce de théâtre s’écrit comme un article, « dans le mouvement ». Ce fut le cas. Je l’ai laissé dans un tiroir et l’ai ressorti le jour où ma fille Héloïse, m’a demandé si je n’avais pas quelque texte qu’elle pourrait éditer.
Pourquoi une telle fascination pour Napoléon ?
Je ne suis pas bonapartiste. Napoléon est un dictateur qui a écrasé les libertés et fait couler beaucoup de sang. Il a fait exécuter le duc d’Enghien, le dernier des Bourbons, en Allemagne, non par cruauté mais par ambition afin de donner un gage à la gauche. C’est l’homme qui achève la révolution au deux sens du mot : il y met fin et la mène au bout. Il se rattache à Jules César et Alexandre le Grand. Comme Premier Consul, il est éblouissant. En quatre ans, il accomplit un travail formidable : le Code civil, les départements, le Concordat, le cadastre, la Comédie-Française, le franc. Nous vivons encore dans le cadre qu’il a créé. Il était très populaire, autant qu’Henri IV. Ne croyez pas qu’il fomente un coup d’État contre le peuple. Celui-ci le réclame. Chaque fois qu’il propose un référendum, qu’il s’agisse d’approuver le Consulat à vie ou l’Empire, il obtient quatre millions de voix contre quelques milliers pour l’opposition. Il se bat contre les Vendéens ? Ceux-ci votent pour lui en masse. Il s’attache à la fois les gens de droite qui le plébiscitent pour avoir mis fin à la révolution et les gens de gauche qui redoutent un retour de la royauté et la confiscation des biens nationaux qui leur ont été vendus. Jean Tulard m’a appris que depuis la mort de Napoléon il paraît chaque jour dans le monde un livre sur lui. C’est fabuleux .
Est-ce par Chateaubriand que vous vous êtes intéressé à Napoléon ?
Absolument ! Chateaubriand a émigré en Angleterre. Il rentre en 1800 sous un faux nom : Lassagne, citoyen de Neuchâtel. A Pâques 1802, Bonaparte rouvre les églises fermées depuis dix ans. Trop jeunes, ses généraux, ses lieutenants ne savent pas ce qu’est une messe. Ce n’est pas le cas de Talleyrand, évêque défroqué d’Autun, et de Fouché, ancien séminariste. La veille est paru Le génie du Christianisme dédié à Napoléon. Napoléon lisait énormément. Lorsqu’il partit pour l’Egypte en 1797, il emporta quarante caisses de livres. Là-bas, il est tombé amoureux d’une femme mariée. De cet épisode, Stefan Zweig a tiré une pièce en trois actes, Un caprice de Bonaparte. Napoléon possédait une mémoire formidable. Il admirait Chateaubriand mais n’est jamais parvenu à se l’attacher. Chateaubriand vouait aussi une grande admiration au Premier consul. Il détestera l’Empereur. Ce qui causera leur rupture est l’exécution du duc d’Enghien .
Songiez-vous en écrivant La Conversation qu’elle pourrait être portée à la scène ?
Non, pas à ce stade. Exception faite de Montherlant et Félicien Marceau, les romanciers connaissent des difficultés avec le théâtre. Michel Déon et Jean-Marie Rouart ont essayé, ils ont échoué. Lorsque mon livre a été publié, je l’ai envoyé à la Comédie-Française, au théâtre Montparnasse, à Olivier Py, à Pierre Franck du théâtre Hébertot, à Bernard Murat du théâtre Edouard VII. Pierre Franck s’est montré intéressé, ainsi que deux jeunes acteurs, Alain Pochet et Maxime d’Aboville, nommé aux Molières pour Journal d’un curé de Campagne en 2010 et en 2011 pour Henri IV le bien aimé. Pour la pièce, j’ai étoffé le personnage de Cambacérès. Il est conduit à poser des questions à Napoléon sur le fait que celui-ci puisse être éventuellement battu. Ce qui n’est pas dans le livre.
Êtes-vous familier du théâtre ?
Non c’est un monde que je ne connais pas. Je n’y vais pas car je suis un peu sourd et ce depuis ma jeunesse. Si vous murmurez, j’entends bien mais dès qu’il y a du brouhaha et qu’on parle de loin, c’est compliqué. Un jour, j’ai confié à mon ami Bernard Murat du théâtre Edouard VII, que j’aurais adoré être acteur. Il m’a télé- phoné quelques mois plus tard. Il envisageait de monter Mon père avait raison de Sacha Guitry. Il me voyait dans le rôle du père. J’ai appris le texte pendant l’été. En septembre, j’étais prêt. Murat m’a appris que je devrais jouer pendant trois mois d’affilée, avec deux représentations le samedi, deux autres le dimanche. Et, alors que je disparais à la fin du premier acte, je devrais rester jusqu’au bout, pour saluer. Je n’étais déjà pas tout jeune. De peur d’être fatigué, j’ai renoncé. Ça m’aurait amusé. Vous savez, romancier et acteur, c’est un peu la même chose : on se met dans la peau de quelqu’un d’autre.
À 83 ans, vous faites justement vos débuts d’acteur. Vous interprétez François Mitterrand dans Les saveurs du palais de Christian Vincent qui sortira en septembre prochain.
Oui, mais je ne peux pas en parler .
L’écriture est-ce un besoin vital, un plaisir, une torture ?
Vous souvenez-vous du Dernier Métro ? À la fin Gérard Depardieu dit à Catherine Deneuve : « Vous aimer c’est une joie et une souffrance. »
Une réplique qu’on retrouve dans tous les films de Truffaut.
Oui. Eh bien l’écriture, c’est ça : une joie et une souffrance. Je passe pour écrire avec facilité, c’est faux. Si vous voyiez les manuscrits, ils sont retravaillés. C’est très dur.
Écrivez-vous à l’ordinateur ?
J’ignore ce que c’est. Je ne possède pas non plus de fax et de télé- phone portable. Pas de montre, rien. Je suis un dinosaure. J’écris au crayon à papier. Lorsque ma fille avait six ans, on l’a interrogé sur mes activités. Elle a répondu : « S’il écrit très vite avec un stylo, il s’agit d’un article. S’il ne fait rien avec un crayon, c’est qu’il écrit un livre. » Je suis partisan du numérique mais la technologie empêche la concentration. Surfer est épatant mais dangereux de ce point de vue-là.
Avant j’écrivais le soir ou le dimanche lorsque je travaillais à l’Unesco puis lorsque je dirigeais Le Figaro. Quand j’ai quitté le journal, j’ai basculé. Je me suis mis à écrire très tôt le matin. Je peux m’y adonner partout. À la mer, à la campagne, dans des chambres d’hôtel.
Propos recueillis par Macha Séry