Audiovisuel 30 nov 2017

Philippe Haïm : « Il n’y a pas de règles, que des rencontres »

Scénariste, réalisateur et compositeur, Philippe Haïm était reçu mardi 21 novembre à la SACD en tant que Vice Président Creative de Blackpills, une application pour mobile qui propose des séries courtes pour les 18-24 ans.

La rencontre avec Philippe Haïm a suivi le déroulé habituel, à ceci près que la présentation fut brève et l’échange avec la salle relativement long et dense. Sans doute parce que Philippe Haïm est lui-même auteur. Sans doute aussi parce que l’application Blackpills a été lancée il y a 6 mois et que le modèle se précise en avançant. 

Blackpills a été créé par deux figures du Web : Patrick Holzman, cofondateur de Allocine et Daniel Marhely,  cofondateur de Deezer. Son actionnaire principal est Xavier Niel. 18 mois après sa création, la société compte une centaine de personnes, réparties sur trois sites : un « QG à Paris », un bureau à Tel Aviv, pour le côté laboratoire d’idées, et un bureau d’une vingtaine de personnes à Los Angeles pour la dimension internationale. En tant que Vice-président Creative, Philippe Haïm  supervise le choix des sujets et les productions jusqu’au montage.

La  promesse de Blackpills, c’est une série de 10 x 10’par semaine. Blackpills a ainsi produit 50 séries la première année et 36 la deuxième année afin de dégager une enveloppe pour une partie « unscripted » avec du magazine, du documentaire, du talk, des formats très courts. Ce rythme effréné a conduit, selon Haïm, à quelques ajustements. Aujourd’hui, « les critères clés sont le sujet, le point de vue d’un auteur sur ce sujet et le talent du metteur en scène. La puissance ou la notoriété d’une maison de production reste importante mais jamais au-dessus des sujets ».

10’x10’ : un nouveau format narratif ?

Le format des séries Blackpills est 10 x 10’, et si un épisode peut varier de 4’ à 16’, « le modèle de base » reste le 10 x 10’.

Selon Haïm, l’erreur est de croire qu’on peut utiliser les mêmes techniques narratives que pour le long métrage ou les séries classiques. « On n’a pas de recette, mais on a une approche, et on travaille beaucoup au début, en lien constant avec les auteurs. C’est un travail cruel car on se rend compte que tout ce qu’on a appris est caduque, mais c’est aussi très joyeux car on invente tous ensemble.»

« Pourquoi Blackpills, à l’instar de Studio+, a choisi ce format, qui n’existe nulle part ailleurs et qui n’a pas fait ses preuves ? Est-ce une formule marketing ? » questionne un auteur du web. « Pas du tout, répond Haïm, mais en dessous de 10’, c’est de la websérie, or la série digitale revendique le même professionnalisme que les séries classiques. Et au dessus de 10’, c’est trop long pour le mobile, car le pari de Blackpills c’est que non seulement les gens vont regarder des séries sur leur téléphone mais qu’ils le feront en mobilité, en déplacement. »

Un auteur demande un exemple de technique qui ne fonctionne pas en 10’. Pour Philippe Haïm, la dramaturgie d’une série est opposée à celle du long métrage. « Dans un long métrage, un héros - qui peut être une personne, un groupe, une nation- est confronté à un incident déclencheur et ce voyage le fera changer ou non. Dans une série, le héros est généralement porteur de son propre problème et ne le résoudra jamais. Et c’est ce problème qui crée le rendez-vous de la série ».

Sur le format spécifique de 10’, Haïm estime qu’il ne peut y avoir trop de personnages, qu’ « il vaut mieux mettre l’accent sur un personnage, avec des satellites ». Haïm a aussi évoqué la dramaturgie propre aux scènes. « Depuis des décennies, toutes les scènes sont écrites comme des mini films avec un début, un conflit, et une résolution. Aujourd’hui, de nouvelles écritures, inventées par les romanciers américains, nous plongent dans des instants de vie : on arrive dans une scène qui a déjà commencé, et on la coupe avant qu’elle ne se termine. La succession de ces scènes force le spectateur à tisser des liens, et il nourrit lui-même la dramaturgie. »

Une ligne éditoriale en trois axes

Blackpills est ouvert à toutes les propositions en termes de genre, y compris la comédie, proscrite chez Studio+, l’appli concurrente de Canal+.  Philippe Haïm reconnaît que l’humour est un genre local, profondément culturel, qui s’exporte parfois mal, mais il ne veut rien interdire. « Il y a toujours des comédies qui font rire le monde entier, et on cherche tous des exceptions ».

Comédie musicale, Animation, Found footage, série entièrement tournée en extérieur nuit ? La réponse est toujours « oui ». « On n’est ni un studio, ni une chaine de télévision. On n’a pas d’interdits ».Toutefois, Philippe Haïm note que les séries qui intéressent Blackpills sont de trois types :

  • les séries en colère : « on revendique le droit de juger et d’être absolument radical sur des sujets comme Trump, Monsanto, la Corée du nord, le fascisme. On ne veut surtout pas être tiède, on a envie de mettre le doigt dessus et de souligner trois fois »
  • les séries positives : « à l’opposé, on est dans un monde où tous les jours des gens inventent, imaginent, pensent l’avenir, rêvent pour nous, et on a envie de parler de ça aussi »
  • les séries qui parlent de la vie de tous les jours : « on veut parler de la vie des gens et notamment des préoccupations des 18-25 ans : se découvrir sexuellement, quitter ses parents, devenir un citoyen, avoir un job, voter…»

Dans la discussion, Philippe Haïm ajoute une règle: « plus un sujet est clivant, dérangeant, compliqué, plus la forme doit être simple. A l’inverse, un sujet divertissant nécessite une forme élaborée ». Et de donner deux exemples. Get Out : un sujet très clivant et une forme ultra codée de family slasher (ie film d’horreur au sein d’une famille); Fast and Furious : « une licence pas vraiment consistante sur le fond, mais une forme qui repousse les limites de l’imagination. »

Des séries internationales en langue anglaise

Blackpills travaille beaucoup avec des partenaires américains, mais pas seulement. En  France, la société a notamment travaillé avec Guillaume Lacroix (Together), Philippe Gompel (Manny Films),  Antoine Disle (Rockzeline) ou encore le studio Bobbypills (Kassos).

La langue de tournage est principalement l’anglais, mais les auteurs viennent du monde entier. Pour Philippe Haïm, la mixité des cultures est une chance pour la création, comme en témoigne « la série bouleversante » de la réalisatrice israélienne Hagar Ben Hashar sur les femmes condamnées à mort aux Etats-unis. « Elle a écrit en hébreu et son texte a été adapté en anglais par un américain. La série est basée aux Etats-Unis, mais elle a quelque chose de plus, elle n’est pas formatée comme une série de studio.»

Plusieurs auteurs, appuyés par Pascal Rogard, soulignent que le modèle de la série scandinave montre que la langue n’est pas forcément une barrière. Pour Haïm toutefois, « le marché du short form est principalement anglosaxon, et l’industrie américaine est décisive dans la croissance de Blackpills ». Pour autant,  il dit ne pas être fermé. « Aujourd’hui, nous sommes déployés dans une vingtaine de territoires et on réfléchit à des stratégies locales ; la question de la langue y est évidemment déterminante ». Philippe Haïm souligne aussi quelques exceptions, comme le documentaire de JR, Chroniques de Montfermeil, diffusé en français (sous-titres anglais pour l’international).

Proposer un projet à Blackpills 

Les projets sont à envoyer à n’importe quelle étape d’avancement (cf mails ci-dessous). « Il n’y a pas de règles, que des rencontres », dit Philippe Haïm. Si le sujet intéresse Blackpills, l’étape suivante est justement une rencontre avec les talents, à savoir l’auteur, le réalisateur et le producteur. Les auteurs seuls sont aussi les bienvenus. Blackpills ne rencontre personne avant d’avoir lu quelque chose, mais tous les projets sont lus.

Si Blackpills décide de financer la série, le travail commence par de longues discussions autour du projet.  « Il est urgent de ne pas commencer à écrire immédiatement, ironise Haïm. Une fois qu’on est d’accord sur une story line très précise, chaque épisode doit être écrit en une semaine ». Des créatifs exécutifs, soit une dizaine de personnes dédiés à cette phase d’écriture, font un retour semaine après semaine. « Nous avons pris soin d’engager des gens jeunes, cultivés, qui ont eux-mêmes écrit et qui ont la capacité de pas se soustraire aux auteurs », souligne Haïm. Les auteurs sont rémunérés dès la validation du projet afin qu’ils puissent se consacrer exclusivement à la phase d’écriture.

Le travail de pré-production commence dès l’écriture des cinq premiers épisodes. « Quand on nous soumet une proposition, le temps de réponse est entre 6 et 8 semaines, et si c’est oui, 10 mois plus tard la série est finie. Quand un talent a envie de faire une série, c’est comme s’il était très amoureux, c’est cruel de le faire attendre », note Philippe Haïm.

Ce rythme, cette vitesse reviennent souvent dans le discours de Philippe Haïm, qui y voit une nécessité pour le public comme pour les créateurs. « J’ai découvert que dans tous les pays du monde, des créateurs souvent très jeunes cherchent des nouvelles formes narratives, des nouvelles manières de réaliser, de produire, et cherchent en gros à s’affranchir du droit de faire. Parce que quand on veut faire un projet dans le monde classique, il faut demander la permission et attendre longtemps ».

Un modèle économique à deux bandes

L’application, aujourd’hui entièrement gratuite, proposera dans un avenir proche deux modèles alternatifs : un modèle gratuit avec publicité, et un modèle payant sans publicité. Philippe Haïm n’a pas révélé le montant du microabonnement.

Blackpills finance actuellement 100% des séries qu’elle coproduit, mais elle entend aussi tester d’autres modèles : un cofinancement avec d’autres partenaires pour certaines séries et la production en interne (test sur six séries).

Le budget moyen d’une série varie entre 400 000€ et 2,5 M€.

Philippe Haïm est peu prolixe sur le type de contrat : « on a des modèles qu’on n’aime pas négocier. En donnant 100% de l’argent et une réponse en 8 semaines, on considère qu’on a certains droits ».

Au terme de la rencontre, une auteure pose la question de la responsabilité vis a vis des jeunes, déjà très absorbés par les écrans, et du caractère éventuellement dangereux de regarder des séries en marchant. « C’est une question complexe, et je vais vous faire une réponse complexe », rétorque Haïm, qui prend la question à rebours et évoque sa responsabilité face aux artistes.  « Il ne peut y avoir pire attitude que de dire à un artiste ce qu’il doit faire. L’art a une grande responsabilité dans certains maux comme le formatage de notre culture. Et contre ces maux, il faut des grands artistes, des gens qui ont une voix singulière, un regard, une vision, et c’est rare. Le propre du génie c’est de faire des choses qui étaient impensables avant. On ne peut mettre des gardes fous qu’avec des mauvais artistes. Il n’y a que les mauvais artistes qui ont besoin d’être protégés d’eux-mêmes. Notre responsabilité c’est de trouver de vrais artistes et de les laisser s’exprimer le plus librement possible. »

Béatrice de Mondenard

 

Les projets sont à envoyer simultanément aux trois adresses suivantes :

submissions@blackpills.com

yek@blackpills.com

phaim@blackpills.com