Mathieu Gallet : « la troisième révolution numérique sera celle de la voix »
Le PDG de Radio France était invité à la SACD, le 11 octobre dernier, avec Sandrine Treiner, directrice de France Culture et Laurent Guimier, directeur aux antennes et aux contenus de Radio France. Ils ont dressé un panorama global de Radio France et évoqué le nouveau fonds Fiction pour les podcasts natifs.Pascal Rogard, Sandrine Treiner et Mathieu Gallet
Trois ans et demie après son arrivée à la tête de Radio France, la plus grande fierté de Mathieu Gallet est le chemin effectué avec les directeurs et directrices de la maison pour moderniser ce vieux média de masse qu’est la radio, et le transformer en média global. Le tout en gagnant 1,1 million d’auditeurs supplémentaires en 3 ans. « L’audience, ce n’est pas tout, mais quand l’audience ne va pas, la maison va mal… ». Le PDG de Radio France a précisé que les sept chaînes de Radio France se portaient bien, parce qu’elles sont « sept promesses clairement identifiées, et sept chaînes différentes ensemble ». Le groupe a en effet clairement fait « le choix d’élargir l’offre et la palette de propositions pour élargir le public, en veillant à ce que chaque chaîne réponde ou anticipe des besoins différents ».
Mathieu Gallet a souligné que cette transformation s’était faite dans un cadre financier très contraint, puisqu’il a eu la désagréable surprise, à son arrivée en 2014, de voir que « l’Etat avait siphonné les caisses de Radio France en 2012 et 2013, en n’étant pas au rendez-vous de sa promesse sur le contrat d’objectif et de moyens ». L’Etat, qui devait financer les travaux du bâtiment de Radio France aux deux tiers, a en effet demandé au groupe de combler lui-même le déficit, ce qui ne pouvait passer que par des économies. Le contexte était inhabituel pour Radio France qui avait jusqu’ici vu son budget augmenter de 2 à 3% par an. « Cela a été une prise de conscience brutale pour l’entreprise, mais on a fait avec et on a entrepris des chantiers lourds de transformation, en n’étant pas seulement dans une logique de gestion mais en restant tourné vers nos métiers, vers nos publics. Cela nous a amené à faire des choix, à arbitrer, à hiérarchiser. Et finalement, cela ne nous a pas fait de mal ». Aujourd’hui, Mathieu Gallet a réussi à convaincre l’Etat de préserver son budget de fonctionnement, aidé, il est vrai, par le report de certains travaux et donc de dépenses d’investissement.
Il entend ainsi poursuivre son travail de transformation, lequel s’incarne aussi par le souci de toucher un public nouveau au-delà des antennes hertziennes, à savoir le public de demain. Depuis 2 ans, le groupe a développé des web radios, d’abord pour Fip puis pour France Musique, et vient de lancer un nouveau service en ligne : Un monde de Radio France. Les podcasts du groupe ont triplé en trois ans, passant de 15 à près de 50 millions par mois. France Culture est le fer de lance de ce succès, avec 20 millions de podcasts à elle seule, et selon Sandrine Treiner « les résultats les plus exceptionnels sont dans son cœur de mission : la philosophie, les sciences, l’histoire, et bien sûr la fiction ».
« Une réalité positive pour le son »
Mathieu Gallet est très optimiste pour l’avenir de Radio France car selon lui « la prochaine révolution numérique sera celle de la voix ». Il en a acquis la conviction lors d’un voyage aux Etats-Unis avec Sandrine Treiner et Laurent Guimier, en février dernier, à la rencontre des GAFA. Ils ont découvert « une réalité très positive pour le son » avec deux évolutions majeures. C’est d’abord l’énorme succès des podcasts, dont 80% sont des créations natives, émanant de toutes les structures de production du savoir : presse, universités, mais aussi de professeurs à titre personnel, qui commentent chaque semaine l’actualité de leur discipline.
Le deuxième élément est le succès des assistants vocaux personnels (Amazon Echo, Google Home…), qui repositionnent la radio au cœur de cette troisième révolution numérique, dans la mesure où les contenus sonores deviennent accessibles sans interface (clavier, écran), seulement à la voix. Et de citer un chiffre : 20% des requêtes sous android aux Etats-Unis sont des requêtes vocales.
Pour Laurent Guimier, cette révolution dans le domaine de la voix est comparable à celle qu’a connu l’écrit il y a 10 ou 15 ans lorsque le Web est arrivé. « Cela a généré beaucoup de craintes, beaucoup de déstabilisation, de destruction d’activité et d’entreprises, mais cela a aussi libéré beaucoup d’énergie, d’enthousiasme, de création, de capacité à inventer. Les blogs notamment ont permis de développer de nouveaux modes de narration. Ce qui s’est passé avec l’écrit il y a 10 ans se passe avec la voix aujourd’hui, et cela nous oblige à repenser nos modes de production, au-delà des grilles et des formats. »
Le fonds France Culture/SACD
C’est dans l’énergie du voyage aux Etats-Unis que le groupe a décidé de créer des podcasts natifs. En fiction. « On s’est dit que ce serait vraiment disruptif de prendre un format identitaire du service public avec une image un peu poussiéreuse, même si on sait, nous, à quel point elle peut être moderne et créative, et d’inventer complètement une nouvelle manière d’écrire, de réaliser, de diffuser. Sans contrainte de format liée aux antennes », a expliqué Mathieu Gallet.
Le fonds Podcast Native Fiction est un fonds annuel de 50 000€, doté à parité par France Culture et la SACD. Il a donné lieu à un appel à projets professionnel, début juillet. 160 projets ont été proposés ; tous répondaient aux critères. Après une première sélection de 24 projets, le jury présidé par Sandrine Treiner et le président de la SACD, Jacques Fansten, a retenu sept projets* le 9 octobre dernier, soit le maximum prévu. « Ce sont des projets qui nous réjouissent parce qu’ils sont complètement nouveaux pour nous ; ce sont des projets de séries, de policier, de fantastique. Les auteurs ont investi la possibilité de faire des choses qu’on n’aurait peut-être pas osé proposer pour l’antenne, des projets très ambitieux, dont un en son immersif », a souligné Sandrine Treiner. Quant à Jacques Fansten, il s’est dit frappé par le fait que les lauréats n’avaient pas l’habitude de travailler pour la radio et par l’enthousiasme du jury, deux éléments qui témoignent selon lui d’un « grand désir d’écrire et d’un grand désir d’auteurs ».
Les deux premiers projets ex-aequo ont reçu 7 500€, les 5 autres 7 000€. Les premiers projets vont être mis en production et seront mis en ligne en janvier. Par ailleurs, une dizaine d’autres projets ont retenu l’attention du jury pour des formats plus longs, plus traditionnels…
Le directeur général de la SACD, Pascal Rogard, a souligné la grande réactivité de la SACD et de Radio France. Il aura ainsi fallu moins d’un an entre les premières discussions du mois de février et la mise en ligne en janvier prochain.
Quelques inquiétudes chez les auteurs
Les auteurs présents ont accueilli favorablement ce nouveau fonds qui permet une plus grande liberté notamment dans les formats, mais ont exprimé aussi certaines inquiétudes quant au maintien d’une fiction plus traditionnelle. « Le fonds va-t-il amputer le reste du budget Fiction, selon le principe des vases communicants ? » a demandé une auteure. Pour Sandrine Treiner, il n’y a pas de raison de distinguer ce fonds du reste de la fiction de France Culture, dont le budget de fonctionnement est de 3 M€. « En jouant le paradoxe, je pourrais dire que c’est peut-être ça qui va relancer la fiction en radio ».
A propos de la disparition de La Vie moderne, Sandrine Treiner a expliqué que la case programmait plus de 5O% de rediffusions, à cause d’un manque de textes adaptés, et qu’elle ne rencontrait pas son public. En outre, l’arrêt de La Vie moderne sera compensé dès janvier par les nouveaux podcasts natifs de fiction, ce qui n’aura constitué qu’un « trou de 4 mois ».
La question des droits d’auteur et la rémunération globale des auteurs de ces nouveaux formats a aussi été abordée, et Sandrine Treiner a été formelle : « A aucun moment, ce projet n'a reposé sur l’idée de faire quoi que ce soit au rabais. C’est exactement l’inverse, et les administrateurs de la SACD et de Radio France planchent pour trouver le modèle. »
Toujours concernant les podcasts, une auteure a demandé si le groupe pourrait faire appel à des réalisateurs indépendants pour pallier l’embouteillage dans la réalisation des projets. Sandrine Treiner a clairement répondu que non. « Après un nouveau recrutement de réalisateurs l’an dernier, l’équipe est désormais suffisante, et les tensions observées sont surtout liées aux travaux. On a désormais externalisé l’essentiel des productions et retrouvé notre rythme. »
L’autre grand questionnement des auteurs concernait la fiction sur France Inter, tant sur les antennes que sur le numérique. Le réalisateur Michel Sidoroff a regretté notamment qu’il n’y ait que deux tranches de fiction historique, et pas de case de fiction libre. Mathieu Gallet a dit espérer que l’expérience de France Culture stimule France Inter sur les podcasts natifs. Il a souligné que cette dernière avait du retard sur le numérique, à l’exception des formats d’humour qui ont permis un vrai décollage des audiences numériques, via les réseaux sociaux et les plateformes de partage. L’humour semble d’ailleurs une bonne piste pour des podcasts natifs à France Inter, « pour des raisons à la fois de forme et de fond ». Une journée consacrée à l’humour est aussi en préparation, avec la SACD.
Béatrice de Mondenard
* Probation de Mahi Bena, Le paradis des ombres d’ Arny Berry, Projet Orloff, de Tanguy Blum, Christian Brugerolles et Antoine Piombino, Hasta dente ! de Léon Bonnaffé, DreamStation de Sébastian Dicenaire, Des profondeurs de Juliette Rose et Cyril Legrais et Bolobo d’Emmanuel Suarez.