Aides et commissions du CNC : quels dispositifs pour les auteurs de films ?
Une rencontre à destination des auteurs était organisée le 30 janvier à la SACD pour présenter les principaux dispositifs de soutien du CNC en présence de ses responsables Cinéma. A revoir en intégralité en vidéo.Le CNC a pu parfois manquer de pédagogie quant aux critères d'éligibilité de certaines de ses aides, regrette Xavier Lardoux, son directeur du Cinéma. C'est pourquoi avec son directeur adjoint, Laurent Vennier, et sa responsable des aides sélectives, Rafaële Garcia, il est venu à la SACD s'adresser directement aux auteurs pour leur présenter les différents soutiens qui les concernent. Devant un auditorium de la Maison des Auteurs-SACD archicomble, Xavier Lardoux et son équipe, accompagnés sur scène par Pascal Rogard, le directeur général de la SACD, ont détaillé chaque aide cinéma du CNC et répondu aux questions de la salle.
Xavier Lardoux a tenu pour commencer par présenter les deux missions de la direction Cinéma au CNC :
- distribuer des aides aussi bien automatiques que sélectives, sachant que sa direction est dotée de plus de 300 millions d'euros de budget annuel, répartis entre auteurs, producteurs, distributeurs et exploitants
- adapter la politique cinématographique aux évolutions du secteur comme l’élargissement des crédits d’impôts pour le cinéma dans la loi de finances de novembre 2015 (effectif depuis le 1er janvier 2016), l’introduction de dispositions dans la loi Création adoptée à l’été 2016, la réforme de la classification des œuvres actuellement en cours par voie de décret ou encore, tout récemment, l'adoption de la "taxe YouTube" fin 2016 au Parlement, qui vient s'ajouter aux trois grandes taxes historiques qui assurent le financement de la création (taxe sur les salles cinéma, taxe sur le chiffre d'affaires des chaînes de télé et taxe sur les opérateurs Internet et de téléphonie mobile). Cette taxe sur les plateformes vidéo en ligne, si elle présente aujourd'hui un rendement limité estimé à 2 millions d'euros par an, représente l'avenir du financement de la création : ce sera sans doute un moyen de faire participer à terme des opérateurs encore timides en matière de vidéo mais appelés à devenir des diffuseurs qui compteront demain.
Chaque aide bénéficiant directement ou plus indirectement aux auteurs a ensuite été abordée.
De gauche à droite : Laurent Vennier, Xavier Lardoux, Pascal Rogard, Rafaële Garcia
L'aide à la conception
A la différence des suivantes, celle-ci est une aide automatique. Elle est réservée aux auteurs. Son montant est fixé à 10 000 euros. Une soixantaine de projets en bénéficient chaque année pour un budget annuel de 600 à 700 000 euros.
Les critères d'éligibilité sont les suivants : l'auteur doit avoir écrit ou co-écrit un long-métrage (une oeuvre de fiction) sorti au cours de l'année précédente dont le budget était inférieur à 4 millions d'euros. A noter qu'une modification a été apportée au règlement, grâce notamment à l'action de la SACD : ce long-métrage peut désormais avoir été en partie financé par une chaîne de télévision en clair.
Lors de la demande, l'auteur devra fournir une présentation du projet (un synopsis de 2 ou 3 pages) et une note d'intention de développement (en veillant à éviter clairement les copier-coller de sujets Wikipédia...).
L'aide est versée en deux fois : 5 000 euros sont versés après examen du dossier et 5 000 euros sur présentation d'un synopsis détaillé d'une quinzaine de pages.
Les documentaires ne sont pas éligibles car couverts par le fonds d'aide à l'innovation audiovisuelle du CNC, qui dépend d'une autre direction. Xavier Lardoux a avoué réfléchir à simplifier ce système.
Plusieurs questions ont été posées par le public de la Maison des Auteurs. L'aide à la conception est-elle cumulable avec l'aide aux cinémas du monde du CNC ? Oui, si le film a reçu l'agrément et si le budget demeure sous le seuil des 4 millions d'euros. Un film étranger en coproduction française peut-il en bénéficier ? Oui si le français est la langue principale.
L'aide à la conception peut-elle concerner des projets des série ? Non, uniquement des films de cinéma. Pour les oeuvres de télévision, il faut s'adresser au fonds d'aide à l'innovation audiovisuelle. "C'est très cloisonné au CNC, a expliqué Pascal Rogard. Nous ferons prochainement une autre réunion ici-même avec les responsables de l'audiovisuel du CNC à destination des auteurs de télévision."
Le scénariste et réalisateur Jérôme Soubeyrand a demandé si un film qui, comme le sien, Ceci est mon corps, n'avait pas obtenu l'agrément du CNC mais générait de la billetterie, pouvait se voir accorder une dérogation pour bénéficier de l'aide à la conception. Xavier Lardoux a expliqué que ce n'était pas possible mais a reconnu que l'agrément méritait d'être sérieusement repensé. "Il n'a pas été réformé depuis 1999 et il nous semble aujourd'hui désuet. Nous voulons faire coller ce barème à la réalité des dépenses et réfléchissons en particulier à une procédure d'agrément de distribution. Ce sera sans doute traité avant l'été."
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L'aide à l'écriture et à la réécriture
Il s'agit de deux aides sélectives, c'est -à-dire attribuées sur concours par décision d'une commission. Leur montant est pour l'aide à l'écriture de 30 000 euros par projet et pour l'aide à la réécriture de 21 000 euros par projet. Chaque année, une cinquantaine de projets sont ainsi aidés pour un budget de 1,1 million d'euros.
L'aide à l'écriture est réservée aux auteurs. Principal critère d'éligibilité pour le 1er collège de cette commission : avoir participé à l'écriture de 2 court-métrages diffusés sur des chaînes de télévision ou sélectionnés dans des festivals importants au cours des 7 dernières années.
L'aide à la réécriture peut être demandée soit par l'auteur, soit par le producteur. L'éligibilité est très ouverte : il suffit de "pouvoir justifier d’une expérience artistique dans le domaine cinématographique ou audiovisuel".
Xavier Lardoux a fait part de sa préoccupation concernant la faible part du budget des films consacrée en France au scénario : on parle de 4 % contre 10 % aux Etats-Unis. Le directeur du Cinéma du CNC dit réfléchir à des contraintes plus fortes à faire peser sur les producteurs pour améliorer le travail d'écriture.
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L'aide au développement
Cette aide sélective qualifiée de "décisive" par Xavier Lardoux a la particularité de s'adresser aux producteurs mais d'être clairement fléchée en direction des auteurs. En effet ce dispositif de soutien couvre principalement les différentes phases du travail d'écriture : option et achat de droits d'adaptation cinématographique d'œuvre littéraire ou de scénario original, écriture et réécriture, et, pour les œuvres appartenant au genre animation, travaux de création graphique.
Son montant est généralement de 20 000 euros par projet mais l'aide peut aller, notamment pour les films d'animation, jusqu'à 50-70 000 euros. Le budget global annuel de cette aide est compris entre 2,5 et 3 millions d'euros.
Xavier Lardoux a expliqué qu'une hausse de ce budget pourrait être à l'étude au regard de l'utilité de l'aide au développement. Il s'est d'ailleurs félicité que l'ensemble des aides distribuées en amont par le CNC entraînent pour leurs bénéficiaires un taux de transformation (passage du stade de projet à film effectivement tourné) éloquent : à titre d'exemple, 30 % des projets aidés en amont par le CNC reçoivent l'avance sur recettes alors que la sélectivité de l'avance sur recettes est de 7 à 8 % en temps normal.
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L'avance sur recettes
L'aide à la production la plus emblématique distribuée par le CNC jouit d'un budget de 30 millions d'euros par an. Sélective, elle peut être attribuée avant réalisation ou après réalisation.
Chaque année, une cinquantaine de projets en bénéficient avant réalisation. Son montant se situe avant réalisation en moyenne entre 450 et 500 000 euros, même s'il arrive que des projets d'ambition bénéficient d'un montant revu à la hausse tel le dernier projet de Pierre Schoeller sur la Révolution française qui s'est vu allouer à l'unanimité 800 000 euros d'avance sur recettes.
L'avance sur recettes après réalisation concerne 25 à 30 projets par an et est comprise en moyenne entre 75 000 et 150 000 euros. Elle est attribuée sur visionnage du dernier montage du film, avant la sortie en salle. Elle vise souvent à "combler des gaps de financement". Xavier Lardoux a, là encore, révélé que le CNC réfléchissait à la renforcer car elle permet de rattraper des films qui n'ont pas été repérés par les commissions de l'avance sur recettes avant réalisation. Exemples récents cités par le directeur du Cinéma : les documentaires La Sociologue et l'Ourson d'Etienne Chaillou et Mathias Thery et Voyage à travers le cinéma français de Bertrand Tavernier.
"Ce n'est peut-être pas le meilleur système, mais c'est le moins mauvais de tous", a plaidé Xavier Lardoux pour la défense de l'avance sur recettes, souvent critiquée. En 56 ans d'existence, détaille-t-il, chaque édition du festival de Cannes a primé au moins un film bénéficiaire de l'avance sur recettes. "En termes artistiques, c'est fort. L'avance sur recettes est présente dans tous les grands festivals et cérémonies." Cette année, 4 des 7 films nommés au César du meilleur film en ont bénéficié : Elle de Paul Verhoeven (car l'avance sur recettes n'est pas réservée aux réalisateurs français, pourvu que le film soit en langue française), Victoria de Justine Triet, Divines de Houda Benyamina et Ma Loute de Bruno Dumont. Cette année, 19 long-métrages nommés aux César ont reçu l'avance sur recettes et totalisent à eux seuls 57 nominations, ce qui est exceptionnel.
Une des critiques les plus fréquentes historiquement adressées à l'avance sur recettes n'a aujourd'hui plus lieu d'être selon Xavier Lardoux : celle de perpétuer une endogamie ou, pour reprendre son expression, de perpétuer une tradition "des copains et des coquins". Les bénéficiaires de l'avance sur recettes sont désignés non pas par le CNC mais par des commissions nommées par le CNC et pour la constitution desquelles, un effort est fait pour diversifier les profils. "Nous avons récemment privilégié le recours à des personnalités de l'édition comme Teresa Cremisi (à l'avance) ou Martine Saada et Delphine de Vigan (à l'aide au scénario) qui ont une appétence pour le cinéma mais ne connaissent pas tous les auteurs et producteurs du cinéma." "L'entre-soi est terminé, confirme Pascal Rogard. Les commissions sont renouvelées régulièrement et le choix des présidents est plutôt bon."
Le renouvellement des commissions et une attention portée à la désignation des personnalités qui les composent a eu une autre vertu : apporter des regards différents sur les genres abordés par les films désignés. Inclure dans les commissions des réalisateurs de comédies comme Eric Lartigau, des producteurs de films d'animation ou des metteurs en scène de théâtre amène un peu d'air à l'avance sur recettes. "Si vous pensez qu'on soutient toujours les mêmes films, allez voir Grave, le film de Julia Ducournau, a conseillé Xavier Lardoux. On y parle cannibalisme. Il a eu l'avance sur recettes !"
Dans la salle, une auteure a regretté que le 2e collège de l'avance sur recettes (pour les auteurs ayant déjà réalisé au moins un long-métrage) vire souvent selon elle à la "foire d'empoigne". Xavier Lardoux a reconnu qu'il est parfois difficile pour les 2e et 3e films de réalisateurs d'exister face à des films de réalisateurs expérimentés mais que les commissions étaient justement très attentives à cela. "Nous protégeons les 2e et 3e films et demandons à la commission un regard bienveillant sur ces films." Ils sont par ailleurs examinés au stade de la pré-sélection, dans des comités spécifiques, distincts de ceux qui examinent les projets de cinéastes confirmés.
En savoir plus sur l'avance sur recettes avant réalisation sur le site CNC
En savoir plus sur l'avance sur recettes après réalisation sur le site du CNC
Xavier Lardoux et Pascal Rogard ont terminé cette rencontre en mettant tous deux l'accent sur la nécessité pour le CNC de soutenir davantage les distributeurs (même si des aides à la distribution existent). Maillon de la chaîne fragilisé en ce moment, "coincé entre producteurs et exploitants", le distributeur doit être aidé pour que les films survivent, même à Paris, à la 3e semaine d'exploitation. Tout le monde y gagnera, y compris les auteurs, qui seront les premiers à bénéficier d'une meilleure exposition de leur film."Il faut soutenir les films quand ils se font mais aussi après, pour leur laisser une chance de s'installer et d'avoir une vie", a conclu Pascal Rogard.