Olivier Schrameck veut resserrer les liens avec les auteurs
Venu à la rencontre des auteurs de la SACD le 13 février dernier, le président du CSA a affirmé l'attachement du Conseil au soutien à la création et exprimé le souhait de voir ses pouvoirs étendus, notamment en matière économique.C’est d’abord « intimement et personnellement » qu’Olivier Schrameck croit en « l’importance déterminante de la création culturelle ». Il l’a affirmé, en préambule, sous la statue de Beaumarchais, et a salué le combat de la SACD pour la défense des droits des auteurs, et la « pugnacité » de son directeur général, Pascal Rogard.
Selon le président du CSA, le lien entre auteurs et public est l’ « une des raisons d’être fondamentales de la communication audiovisuelle », et il entend « resserrer les liens avec les auteurs afin que leurs intérêts et préoccupations soient pleinement pris en compte ».
Pour une « exploitation permanente et suivie »
Le président du CSA a abordé successivement plusieurs points d’actualité - soutien à la création, circulation des programmes, chronologie des médias, mutualisation des obligations- témoignant de sa volonté d’être associé à toutes les discussions, « en amont et en aval des éditeurs de services de télévision ».
Il a réaffirmé l’attachement du CSA au soutien à la création, notamment aux œuvres patrimoniales, et a salué la proposition de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, de renforcer les dispositifs de soutien à l’écriture, en matière de fiction. Sur la réalité scénarisée (« scripted reality », en anglais), il a rappelé qu’une série de critères avait été établie en 2012, à la suite d’une concertation avec l’ensemble des acteurs, et a souhaité une collaboration renforcée avec le CNC sur ce sujet. Il a pointé un problème d’harmonisation entre le CSA (décret 1990) et le CNC (décret 1995), et souligné que la définition de l’œuvre patrimoniale relevait d’abord de la compétence du législateur.
Sur la circulation des programmes, autre thème cher à la SACD, il a déclaré que le CSA y veillerait particulièrement dans le cadre de sa nouvelle mission de conciliation entre éditeurs de services et producteurs, mission dont il souhaite d‘ailleurs que le champ d’application soit étendu aux auteurs (qui pourraient ainsi saisir le CSA) et aux œuvres cinématographiques. Il a aussi soutenu l’initiative de la SACD pour « une exploitation permanente et suivie des œuvres cinématographiques et audiovisuelles», obligation qui existe dans l’édition.
A propos de la chronologie des médias, il a rappelé les propositions du CSA, énoncées dans le cadre du rapport sur les SMAD : avancement du délai SVàD (avec des délais différents selon la présence d’un préfinancement), dérogations pour les films à budget limité ou ayant fait l’objet d’un échec commercial, limitation du gel des droits Vàd pendant les fenêtres Canal+ et chaînes en clair.
Autre préconisation, contenue aussi dans les rapports de Laurent Vallet et de René Bonnell : la mutualisation des obligations au sein d’un groupe audiovisuel, afin de laisser plus de souplesse aux groupes, tout en maintenant les obligations et en évitant les pratiques de fractionnement des services pour échapper aux seuils déterminant les obligations.
Enfin, Olivier Schrameck a évoqué la nécessité d’adapter les obligations d’exposition des œuvres françaises et européennes à l’ère numérique en prenant en compte les possibilités de personnalisation de la page d’accueil (outils de recommandation). Il faut aussi, selon lui, entamer une réflexion sur le statut juridique du distributeur numérique, la présentation même des offres étant devenue un véritable enjeu pour les distributeurs, qu’ils soient FAI, câblo-opérateurs, magasins d’applications ou plateformes de vidéo.
Pour un renforcement du rôle du CSA, en France et en Europe
Tout au long de son intervention, Olivier Schrameck a témoigné de sa volonté de renforcer tous azimuts le rôle économique du CSA. Il a donné deux exemples : des analyses de marché, notamment celui de l’acquisition des droits de diffusion des œuvres, et des missions de conciliation élargies favorisant le dialogue entre toutes les parties prenantes, comme cela a été le cas avec OCS (Orange Cinéma Séries) sur le cinéma. D’une manière générale, il souhaite évoluer vers moins de réglementation et plus de conventionnement, apporter plus de souplesse aux acteurs régulés et inclure les nouveaux. Au niveau national, mais aussi au niveau européen.
Il entend en effet porter la vision française à Bruxelles, avec comme perspective la refonte des deux directives européennes (SMA et commerce électronique).
Il a organisé des réunions de préfiguration en vue de constituer un groupe des régulateurs européens, initiative que l’Union européenne a fait rapidement sienne, ce qui a permis d’accélérer les choses. La première réunion du groupe aura lieu le 4 mars prochain. Olivier Schrameck a indiqué qu’il y serait personnellement présent afin d’y porter avec force la parole française.
Deux inquiétudes au sujet de France Télévisions
Premier point du débat lancé par Pascal Rogard, et relancé par plusieurs auteurs : le manque d’ambition et de ligne directrice du service public audiovisuel. Absence de diversité selon Jean-Louis Lorenzi qui a pointé la disparition des films historiques, des adaptations de grands auteurs, et des grands débats contemporains. Manque d’esprit « service public » dans les programmes jeunesse selon André Grall. Même les plus jeunes, comme Aldric Mercier, qui n’ont pas connu l’ORTF - mais l’ont découvert à travers l’Ina -, en ont la nostalgie !
Olivier Schrameck, a souligné d’emblée refuser toute critique personnalisée. Toutefois, il entend et comprend les préoccupations relatives à la personnalité des chaînes de France Télévisions qui n’apparaît pas assez clairement, et à la gestion de l’entreprise parfois perçue comme opaque. S’il a participé à la réunion publique de soutien au peuple grec en juin au Théâtre du Châtelet, c’est pour faire valoir que « rien n’est jamais acquis en matière de service public». Il a estimé que le besoin d’une plus grande clarté concernait non seulement la gestion financière mais également la programmation. « C’est une maison complexe, trop complexe, sujette à de nombreuses mises en causes, alors qu’une plus grande transparence pourrait les lever ».
Pour autant, la marge du CSA est étroite car si le Conseil est garant de la qualité et de la diversité des programmes ainsi que du respect des obligations de service public, le suivi de la gestion économique et financière relève prioritairement du ministère de la culture et de la communication. Quant à « l’esprit service public », il a souligné que « la loi est claire sur les ambitions, mais le mode d’emploi reste la responsabilité du président de France Télévisions ». Ainsi, selon Olivier Schrameck, la nomination du président est « un levier fondamental mais insuffisant »car il faut encore que « l’impulsion se transmette à tous les échelons de la production ».
C’est pourquoi le CSA entend exercer pleinement tous les pouvoirs qui lui ont été conférés par le législateur : avis sur le Contrat d’objectifs et de moyens et ses avenants, nomination des administrateurs (trois d’ici juillet), bilan à la 4e année du mandat.
La régulation numérique
L’autre série de questions de cette rencontre a porté sur la Hadopi et la régulation numérique, Netflix (qui n’a pas encore demandé à rencontrer le CSA, contrairement à d’autres acteurs du Net) et Google.
Selon Olivier Schrameck, deux conceptions se font jour. La première est d’accorder la liberté pleine et entière sous le seul contrôle du juge pénal, - conception qu’il respecte mais récuse compte tenu des risques d’une judiciarisation excessive de la société . « L’affaire M’Bala M’Bala a montré l’utilité de l’intervention de la justice administrative, pour pallier les limites de la réponse pénale ». La deuxième est de mettre en place de nouveaux modes de régulation collectifs, dans le but d’éviter justement le recours au pénal.
Interrogé sur Google et la maigre amende infligée par la Cnil, il a insisté sur la volonté du géant américain d’une « acclimatation à notre milieu socio-culturel ». Olivier Schrameck a ajouté avoir rencontré beaucoup d’acteurs du Net, à leur demande. « Le débat sur le transfert de la Hadopi est un moyen de se ménager un contact régulier avec ces interlocuteurs qui avaient jusqu’ici une attitude évasive, voire fuyante, voire même franchement hostile à l’égard du CSA ». Accueillir la Hadopi au sein du CSA permettrait selon lui de développer des synergies dans les deux sens : « L’expérience accumulée au CSA servira à donner une résonance et une assiette plus large à l’action d’Hadopi, et à l’inverse, les compétences en matière d’offre légale, d’analyse et de veille des marchés, de compétences numériques seront bénéfiques au CSA ».
Selon lui, une régulation de l’audiovisuel qui n’est pas une régulation numérique n’a pas de sens. « Un organisme régulateur qui ne fait pas face à la complexité et à l’évolution du réel est condamné à terme. Cet effort nous met en danger, soulève des questions légitimes et nous met en confrontation avec des puissances supérieures à la nôtre mais il vaut d’être tenté », a-t-il déclaré avant de conclure à l’adresse des auteurs de la SACD : « Nous n’y arriverons qu’avec votre soutien ».
Béatrice de Mondenard