Le financement du spectacle vivant en débat au Conservatoire
Olivier Py, le directeur du Festival d'Avignon, était présent pour introduire la discussion animée par Pascal Rogard, le directeur général de la SACD.Quel avenir pour le financement du spectacle vivant ?
Pour introduire les échanges, Olivier Py, auteur et directeur du Festival d’Avignon, a tenu à rappeler que la culture ne peut se réduire à n’être qu’un moteur économique. Elle est un élément du vivre ensemble qui donne du sens à la vie des citoyens. Pour prolonger le cri d’alarme qu’il avait poussé en mai dernier en parlant de « meurtre » au sujet de la politique d’austérité touchant la culture, il s’est réjoui de l’annonce du Premier ministre sanctuarisant pour 3 ans le budget de la Culture, pour peu que cette pérennisation des crédits concerne effectivement tous les crédits affectés à la culture, pas seulement ceux relatifs à la création.
La problématique budgétaire n’est pourtant pas le seul défi pour la culture. Pour Olivier Py mais aussi pour Louise Doutreligne, auteure et présidente de la Commission théâtre de la SACD, la décentralisation est certes utile et indispensable mais elle ne peut se développer harmonieusement et efficacement sans un centre qui soit fort. Ils ont appelé ensemble à défendre un ministère de la Culture fort et puissant.
Pauline Sales, co-directrice du Centre Dramatique Régional de Vire Le Préau, présidente déléguée du SYNDEAC, partage cette satisfaction face à la sanctuarisation du budget de la culture pour les années à venir. Pour autant, elle a insisté sur l’extrême tension qui règne dans la profession et sur la précarisation croissante d’un grand nombre d’auteurs et d’artistes.
Face à une parole politique qui n’est plus crue dans les milieux artistiques, Pauline Sales a fait part de la difficulté des théâtres publics à répondre à toutes les missions qui leurs sont assignées, et à avoir des relations paisibles avec les compagnies dans un contexte budgétaire contraint. Plus globalement, elle a regretté aussi que, trop souvent, le politique considère que l’offre éditoriale est trop élitiste et insuffisamment grand public, quand il ne va pas jusqu’à remettre en cause des politiques éditoriales déjà engagées, comme c’est le cas dans plusieurs municipalités ayant changé de majorité.
Désarroi des professionnels et des créateurs à l’égard d’une politique et de budgets contraints qui font peser de fortes pressions sur le marge artistique, désespoir aussi de la jeunesse, pour Louise Doutreligne qui a souligné la difficulté pour les jeunes compagnies et les nouveaux talents de pouvoir émerger.
Directeur général de la création artistique au ministère de la Culture et de la Communication, Michel Orier avait à cœur de faire la clarté sur la politique du gouvernement. Il a confirmé notamment que l’intégralité de la mission Culture des 3 prochains budgets serait sanctuarisée et a rappelé par ailleurs que s’il y avait une baisse du budget Culture ces 2 dernières années, cela n’avait pas été le cas des crédits affectés à la création qui, eux, avaient été maintenus.
Selon lui, les problèmes que connait le spectacle vivant ne sont pas uniquement budgétaires : les chiffres qu’il a donnés montrent notamment que, malgré les ressentis des uns et des autres, la marge artistique dans les établissements avait seulement baissé de 1% sur 5 ans. En revanche, il souhaite que l’on étudie sérieusement les changements et dysfonctionnements qui sont intervenus, notamment dans l’organisation du travail et qui se sont traduits par une fragmentation croissante des contrats, par une paupérisation de l’économie de la production et par une baisse du nombre de représentations. Une question découle de ces constats : ne vaut-il pas mieux avoir moins de spectacles et avoir, en contrepartie, l’assurance qu’ils puissent être joués longtemps ?
Pour Michel Orier, il faut faire preuve de responsabilité. La France est un pays où le maillage culture territorial est unique et très important. Le nombre de compagnies subventionnées, plus de 440 aujourd’hui, a fortement crû ces dernières années alors que les enveloppes budgétaires n’évoluent pas. Dans cette situation, il souhaite que 2 principes guident l’action des financeurs : tout n’a pas vocation à être soutenu ; pas de soutien illimité et inconditionnel sans qu’il y ait un rendez-vous et qu’un bilan ne soit fait.
La politique du Ministère de la Culture sera aussi de mettre à l’ordre du jour du Parlement un projet de loi sur la création artistique qui tracera les grandes lignes de la politique en faveur du spectacle vivant et qui comptera également une réforme des caisses de retraite des artistes et auteurs. Un créneau parlementaire est prévu au premier trimestre 2015.
Enfin, pour répondre à la problématique de l’émergence artistique, Michel Orier envisage de réformer les dispositifs de soutien qui existent aujourd’hui.
Le financement du spectacle vivant, c’est l’Etat mais aussi les collectivités locales (communes, départements et régions). C’est le sens de l’intervention d’Emmanuel Constant, vice-président Culture du Conseil général de Seine-Saint-Denis, qui, tout en se félicitant de la sanctuarisation du budget de l’Etat en faveur de la culture, n’a pas manqué de rappeler que l’Etat est un partenaire mineur du financement du spectacle vivant en France. Plus exactement, 70 % de l’intervention publique pour le spectacle vivant provient des collectivités, a-t-il ajouté.
Aujourd’hui, les collectivités, et en particulier, les départements nourrissent deux inquiétudes majeures.
Premièrement, le plan d’économies budgétaires demandé par l’Etat aux collectivités va les soumettre à de nouvelles contraintes. Ces dernières années, les départements ont dû assumer des transferts de charges qui n’ont pas été compensés et qui se sont élevées à 48 milliards d’euros. Sur les 5 prochaines années, l’Etat leur demande 12 milliards d’euros d’économies supplémentaires. Dans le même temps, leur possibilité d’ajuster la fiscalité locale a été sérieusement limitée. La question que se poseront les exécutifs locaux sera la suivante : comment financer des dépenses culturelles qui sont indispensables mais qui ne sont pas des compétences obligatoires de ces collectivités, comme peuvent l’être les dépenses sociales par exemple ?
Deuxièmement, la réforme territoriale envisage la disparition des conseils généraux d’ici 2020. Au-delà de la suppression de ces institutions, Emmanuel Constat est inquiet de l’avenir des politiques qui ont été menées localement, comme en Seine-Saint-Denis, en tenant compte des territoires et de ses spécificités, quand elles seront absorbées dans des ensembles plus grands et plus lointains.
La réponse apportée par la ministre de la Culture et de la Communication la veille à Avignon lors d’une rencontre avec les représentants des collectivités semblait s’engager dans une bonne direction : inscrire plus fortement la place de la politique culturelle dans la réforme territoriale. Michel Orier a également rappelé qu’un nouveau rendez-vous entre l’Etat et les collectivités locales aurait lieu à la rentrée pour dessiner les contours d’un pacte en faveur de la culture.
Marcel Rogemont, député d’Ille-et-Vilaine, a plaidé en faveur des financements croisés. Non seulement, dans un contexte de baisse globale des dépenses qui sera d’environ 5 % pour les collectivités locales, l’intervention de plusieurs collectivités se justifie. Mais il y voit également un intérêt pour les projets artistiques qui deviennent alors plus collectifs et partagés. Selon lui, le spectacle vivant doit aussi vivre sous d’autres formes artistiques : événementiel, performances…
La permanence de l’acte artistique dans notre pays dépend naturellement du financement public, d’une organisation du territoire qui devrait renforcer le poids et le rôle des intercommunalités mais aussi du système de l’UNEDIC. Les années 2003-2013 ont montré une paupérisation très nette des artistes. Pour Marcel Rogemont, il est impératif de regarder la question de l’assurance-chômage dans son ensemble pour parvenir à pérenniser un système aussi singulier que fondamental.