Droit d'auteur 26 sep 2014

Bertrand Tavernier interpelle le futur président de la Commission européenne

Le cinéaste et président de la commission Cinéma de la SACD signe sur le site EurActiv une tribune adressée à Jean-Claude Juncker.

La tribune est à lire sur le site EurActiv.fr et en anglais sur EurActiv.com.

M. Juncker, ne fragilisez pas le droit d’auteur !

« La culture ne se prête pas à l’harmonisation, ne se prête pas à la standardisation, ne se prête pas à la réglementation stupide ». Bravo. Trois fois bravo à Jean-Claude Juncker pour cette déclaration faite à Paris en 2005 à l’occasion des rencontres pour l’Europe de la Culture.

On aurait aimé applaudir ses premiers pas à la tête de la Commission européenne. Mais, nous sommes malheureusement tombés sur cette phrase, cette injonction quasi-guerrière donnée au futur commissaire au numérique : il faut « briser les barrières nationales en matière de réglementation du droit d’auteur » !

Briser, casser, détruire le droit d’auteur pour quoi faire d’ailleurs ? On attend encore la réponse mais on en devine déjà les intentions et les conséquences : fragiliser les rémunérations des auteurs ; déstabiliser le financement des œuvres et des films, en particulier, dans les pays qui ont des politiques ambitieuses ; flatter le consommateur dans le sens du poil.

Fragiliser les auteurs est encore plus aberrant lorsque l’on sait que cela aboutira à renforcer les grands commerçants de nos œuvres et les géants du Net qui bénéficient d’une hyper-bienveillance de la Commission puisqu’on accepte qu’ils payent des impôts au rabais et qu’ils contournent toutes les règles de soutien au financement et à l’exposition des œuvres européennes.

La calamiteuse présidence Barroso avait installé l’ère du soupçon à l’égard des politiques culturelles mais aussi du droit d’auteur, toujours fragilisé, toujours accusé de ne pas s’insérer dans le moule du libre-marché. Au prix souvent de mensonges affligeants répétés année après année : non, ce que la Commission appelle « la segmentation du marché des droits » n’a rien à voir avec l’application du droit d’auteur. Si les films ne peuvent pas être vus partout au même moment, c’est essentiellement lié aux logiques (et parfois à la frilosité)  des diffuseurs qui s’adaptent aux réalités de chaque marché national, aux mécanismes de financement des œuvres, aux traditions culturelles et à la diversité linguistique.

Alors, que ceux qui accusent le droit d’auteur de tous les maux et qui le manipulent cessent cette entreprise malsaine et indigente, avec toujours en arrière-fond cette logique absurde qui voudrait que l’Europe ne soit qu’une machine à harmoniser, que les œuvres culturelles soient des biens comme les autres et que les auteurs soient les ennemis de leurs publics.

Je ne connais pas un auteur qui n’ait pas envie que son œuvre soit vue, diffusée, commentée mais je ne connais pas non plus de plus grande injustice que de savoir cet auteur spolié, privé d’une juste rémunération et de son droit moral.

Soyons clair : nul ne dit que le droit d’auteur doit être une vache sacrée. Ce droit génial, qui associe l’auteur d’une œuvre à son succès et qui doit tant à Beaumarchais, est un droit d’une modernité absolue qui a beaucoup évolué avec le temps et avec les évolutions techniques. Il peut encore bouger. Il le doit même pour faire du droit d’auteur le droit des auteurs et un droit qui ne se réduit pas à la protection des acteurs économiques.

Mais, la modernité, qu’on attribue souvent à tort à ceux qui pensent que tout doit être permis parce que tout est possible, n’est pas du côté de ceux qui veulent casser ou détruire. Elle est à mettre au crédit de ceux qui veulent défendre la culture, soutenir la création européenne et consolider le droit des auteurs.

C’est un combat dont nous avions compris en 2005 qu’il rallierait M. Juncker. Qu’il nous prouve que son engagement passé en faveur de la culture en Europe soit aussi celui qui guidera son avenir, le sien et celui de l’Europe.

Bertrand Tavernier

 

(English version)

Mr Juncker, please do not undermine authors’ rights!

“Culture is not to be harmonized, not to be standardized, not to be restrained by stupid rules”. Bravo. Three times Bravo to Jean-Claude Juncker for this declaration, made in Paris in 2005 on the occasion of the “Rencontres pour l’Europe de la Culture”.

How we would have preferred to welcome his arrival as President of the European Commission.   But unfortunately, there was a sentence, a quasi warlike injunction to the future Commissioner for the digital industry:  break down national barriers to the regulation of authors rights!

Break down, shatter, destroy authors’ rights – and to do what then? The answer is still coming, but one can already guess the intentions and consequences:  to further weaken authors’ remuneration; to destabilize the financing of works and films, particularly in countries benefiting from ambitious policies; to comply with the consumers’ demands.

Endangering authors is all the more insane when we know it will only benefit the major traders of our works and the Internet giants, already treated with great benevolence by the Commission as it accepts that they pay lower taxes and that they circumvent all rules on the financing and dissemination of European works.

The disastrous Barroso presidency initiated a cycle of defiance towards cultural policies and authors’ rights, always weakened, always under attack for not fitting into the mould of the free market. Often with appalling lies repeated year after year: no, what the Commission calls “segmentation of the rights market” has nothing to do with the application of authors’ right.  If films are not made available everywhere at the same time, it is primarily due to the functioning (or cautious approach) of distributors who juggle with the specificities of each national market, to the various financing systems for works, the cultural traditions and the diversity of languages.

So, may those who blame authors’ rights for all our digital ills put an end to these unacceptable practices, based on the absurd idea that Europe is a harmonization machine, that cultural works are just like any other goods and that authors are enemies of their audience.

I do not know of any one author who does not wish to see their work broadcasted, seen, commented upon, but neither do I know of a greater injustice than knowing an author to be robbed and deprived of his fair remuneration and moral right.

Let’s be clear: no one says that authors’ rights are a “sacred cow”. This wonderful right, which associates the author to the success of their work, and which owes so much to Beaumarchais, is a terribly modern right which has evolved again and again over time and with the developing techniques.  It can still evolve. So it should even, in order to let authors’ rights become the rights of authors and a right not only restricted to the protection of economic stakeholders.

Modernity is all too often and wrongly attributed to those who think anything should be allowed because it is possible. Yet it does not belong to those who want to shatter and destroy.  It belongs to those who defend culture, encourage European creation and consolidate authors’ right.

In 2005, we understood that M. Juncker supported this fight. We hope he will prove that his past commitment in favour of Culture in Europe will guide him into the future, both his and Europe’s future.

Bertrand Tavernier