Véronique Cayla : « Développer la fiction franco-allemande est un axe politique »
La présidente d’Arte, Véronique Cayla, a rencontré les auteurs de la SACD pour parler fiction, le 18 novembre dernier. Elle était accompagnée de Judith Louis, directrice de l’unité Fiction et d’Alexandre Piel, directeur adjoint en charge de l’international.Véronique Cayla a annoncé, en préambule, le départ en janvier prochain de Judith Louis, qui souhaite se consacrer à des « activités plus créatrices ». C’est Olivier Wotling, actuellement directeur du cinéma au CNC, qui lui succèdera. « Un passage en douceur puisque Judith continuera de suivre les séries qu’elle a lancées jusqu’à l’été 2015 », a précisé Véronique Cayla.
Relance éditoriale et développement numérique
Véronique Cayla a d’abord donné « des nouvelles d’Arte », qu’elle dirige depuis 2011. De bonnes nouvelles puisque les deux axes fixés à son arrivée sont bien engagés : une relance éditoriale pour inverser la tendance à la baisse de l’audience et un développement numérique conséquent pour faire d’Arte une structure bi-média.
Selon Véronique Cayla, le bilan de la politique éditoriale est très positif, en termes d’image comme en termes d’audience. D’après l’étude annuelle de l’Ifop, « Arte est plus européenne, plus branchée sur le présent, capable d’incarner l’avenir et pas seulement le passé, et a introduit plus d’humour, notamment dans les programmes courts ».
Depuis janvier 2012, la part d’audience a augmenté de 33% en France et de 26% en Allemagne, où elle devrait atteindre 1% de part de marché d’ici la fin de l’année, un chiffre symbolique, encore jamais atteint. Depuis un an, la croissance a toutefois ralenti, et Véronique Cayla a émis deux explications possibles : « la difficulté de continuer à se développer quand on veut rester audacieux et créatif », et « la baisse du budget programmes qui a forcément un impact sur l’innovation ».
En ce qui concerne le développement numérique, Véronique Cayla a rappelé qu’il était déjà bien avancé à son arrivée, Arte ayant été la première chaîne à faire de la catch-up. Elle a poursuivi et accéléré ce travail en déployant sur internet les fondamentaux de l’antenne, afin qu’antenne et web se complètent et se renforcent mutuellement. Le site comprend désormais cinq plateformes : Concert (ex-Arte Live Web) dédiée à la musique et la danse ; Arte Creative consacrée aux arts visuels et numériques en lien avec les écoles d’art ; Arte Future sur la science et le monde de demain, dont Véronique Cayla a précisé qu’elle était bien alimentée par les programmes allemands ; Arte Info qui reprend les spécificités de l’antenne à savoir « une info très internationale sans faits divers et sans micro-trottoirs » et enfin Arte Cinema, qui vient d’être lancée en septembre, et qui est axée sur la programmation des films à l’antenne, et les coproductions de la Filiale cinéma.
L’européanisation de la diffusion
Le troisième axe de développement d’Arte est l’européanisation. Et à ce titre, Véronique Cayla est venue avec une bonne nouvelle, fraiche du matin même: l’aide obtenue à Bruxelles pour sous-titrer ses programmes en anglais et espagnol. Pour la présidente d’Arte, il est en effet plus pertinent de viser 2% de part de marché dans toute l’Europe que chercher trop systématiquement à augmenter l’audience en France et en Allemagne.
Si, pour l’heure, l’européanisation d’Arte est bien engagée dans les contenus - 85% des programmes viennent d’Europe -, ce n’est pas le cas de la diffusion. La chaîne est en effet essentiellement regardée par les pays francophones et germanophones. Pour autant, le potentiel est là comme l’a illustré la diffusion de L’étrangère de Feo Aladag, prix Lux 2010 , en 24 langues sur le site d’Arte, en mars dernier. « L’audience a fait un bond de 30%, alors même qu’on n’avait fait aucune promotion » a souligné Véronique Cayla.
Coup de chapeau à Judith Louis
Avant de passer la parole à Judith Louis, la présidente d’Arte a tenu à lui tirer un coup de chapeau pour la qualité de son travail : « Sous son influence, Arte a montré qu’elle était capable d’attirer beaucoup de talents, de faire des mélanges de genres, et de faire preuve d’audace et la créativité ». La présidente d’Arte a notamment cité la collection « Théâtre », « qui renouvelle les propositions de théâtre à l’antenne », ou la série P’tit Quinquin, « qui a permis d’accompagner un auteur dit sérieux vers la comédie en lui faisant aussi rencontrer un public plus large ».
Avant d’évoquer le travail de l’unité Fiction, Judith Louis a souhaité expliquer les raisons de son départ : « Je me suis rendu compte que deux énergies sont nécessaires : l’énergie de faire et l’énergie de tenir. Je me suis concentrée sur l’énergie de faire, et ça a un peu bouffé l’énergie de tenir. Aujourd’hui un certain nombre de programmes, de lignes, d’envies ont été lancés, et je pense qu’il faut aujourd’hui une nouvelle énergie pour continuer, reprendre… faire ce qui reste à faire ».
Pascal Rogard a immédiatement rebondi avec une question : « Est-ce que vous pensez que ce type de poste ne peut durer que 3 ou 4 ans ? ». « Non, ça dépend des personnalités, mais c’est toujours bien d’avoir des regards qui changent » a répondu Judith Louis.
Achats et coproductions en synergie
Selon Judith Louis, le poste de directeur de l’unité Fiction d’Arte a l’avantage rare de chapeauter aussi bien les coproductions françaises que les achats et préachats à l’étranger, ce qui permet de construire une ligne éditoriale cohérente et de s’inspirer du meilleur des fictions étrangères pour « poser les bases et les envies » des futures coproductions françaises. Ainsi la série suédoise Real Humans a permis à Arte de mettre le pied dans l’anticipation, et de développer par la suite Trepalium, une série de 6 X 52’ actuellement en tournage.
Arte a l’ambition de se renforcer à l’international, et a recruté Alexandre Piel, en tant que directeur adjoint chargé de l’international, en septembre 2013. Alexandre Piel a sensiblement développé les préachats dans le but de « contribuer au financement de la fiction européenne mais aussi de prévenir la concurrence et de repérer des talents pour des coproductions futures ». Il a continué à « travailler le pôle britannique et le pôle nordique », et a initié de nouveaux contacts avec la Finlande (une série vient d’être achetée), l’Islande (acquisition en cours) et la Norvège (coproduction en cours).
Son objectif est de « travailler tous les genres, tous les formats et de découvrir d’autres territoires, notamment dans le bassin méditerranéen et en Europe de l’Est ». Il a aussi pour mission d’aider les producteurs et auteurs français à développer des projets internationaux, en s’appuyant sur son expérience de vendeur à l’étranger (FTD, Zodiac Rights).
En réponse à une question de la salle, Alexandre Piel a souligné qu’il n’y avait pas d’auteur français dans Occupied (10 x 45’), la série norvégienne que coproduit Arte, mais que ce travail permettait d’envisager dans l’avenir des co-développements. Pour Véronique Cayla, une chaîne culturelle doit de toutes façons respecter la langue dans laquelle l’histoire prend place.
Une ligne contemporaine ouverte aux hybridations
Judith Louis a opté pour une ligne éditoriale contemporaine pour des raisons de coût mais aussi pour ancrer la fiction dans la vie d’aujourd’hui et de demain. Elle a aussi travaillé sur le genre (polar, comédie, mélo, fantastique, comédie sentimentale) et cherché à créer des passerelles entre les arts. Elle a cité en exemple Pilules bleues, qui comprend des séquences d’animation, et Ceux qui dansent sur la tête, né de l’envie de mélanger la danse hip hop avec la fiction. Selon elle, « Arte est une chaîne qui donne envie de créer ces passerelles ». Des appels du pied ont d’ailleurs été adressés aux unités documentaires pour développer des projets de docu-fiction. L’unité Fiction a également développé deux téléfilms en animation, un film de Raphaël Nadjari, et l’adaptation de la bande dessinée, Un homme est mort d’Etienne Davodeau.
Enfin, elle a lancé des webséries feuilletonnantes pour la plateforme Arte Creative. L’idée est d’en produire trois par an. Actuellement trois sont en développement, dont deux vont rentrer en production. Arte investit 200 000€ par web-série.
Questions sur les budgets, les formats, les procédures
Les questions de la salle ont concerné essentiellement le budget, les formats et les procédures.
Le budget de l’unité Fiction est d’environ 25 M€, dont 4,5 M€ pour les achats et préachats. Arte a donc environ 21 M€ à répartir sur 20 soirées (soit un 90’, soit 2 épisodes de 52’, soit 3 épisodes de 52’).
En matière de 26’, il n’y a malheureusement ni budget, ni case. Toutefois, l’envie était tellement forte que l’unité a pris le risque de développer un projet, en accord avec un producteur et des auteurs. Elle a finalement convaincu tout le monde jusqu’à la direction des programmes à Strasbourg, mais il est encore trop tôt pour envisager d’autres séries de 26’. Les programmes courts (La minute vieille, Silex and the city…) dépendent d’Hélène Vayssieres, à l’unité Cinéma.
En matière de genres, l’unité est ouverte à toutes les propositions. Une thématique de comédies unitaires a été proposée à la conférence de programmes de Strasbourg pour des tournages l’année prochaine, mais cela n’a pas encore été validé.
Le budget développement a été augmenté depuis l’arrivée de la nouvelle équipe, ce qui signifie qu’il y a davantage de projets arrêtés. Selon Judith Louis, le ratio est d’environ trois projets développés pour un produit.
Une auteure s’est étonnée qu’Arte envoie des lettres types en cas de refus. Judith Louis s’en est excusée : « On reçoit environ 1000 projets par an, et il y a trois chargés de programmes. On essaye au maximum d’appeler les producteurs et de motiver les refus, mais parfois on n’a pas le temps ».
Quant à transmettre les notes de lecture, Judith Louis précise qu’ils ne sont pas toujours d’accord avec les lecteurs, mais ces fiches restent utiles pour garder la mémoire du projet et avoir un premier regard. Tous les projets sont lus par au moins deux personnes, et si le projet retient l’attention de deux personnes, il passe au tour suivant.
Aucune forme n’est privilégiée, les projets peuvent être envoyés à tous les stades d’écriture (traitement, scénario…).
Et la fiction franco-allemande ?
En conclusion, Véronique Cayla a dit un mot de la difficulté de faire aboutir des projets de fiction franco-allemande. « La fiction est le genre qui circule le moins bien en Europe, et en particulier entre la France et l’Allemagne. Après trois ans à Arte, je suis convaincue que ce sont les deux pays les plus différents en Europe. Et quand on arrive à trouver un point commun entre les deux, l’Europe suit derrière ».
Pour la présidente d’Arte, développer la fiction franco-allemande est un axe politique. L’an dernier, un fonds a été créé au sein d’Arte, Tandem, dans le but de faire travailler, chaque année, deux équipes sur un même sujet, quitte à aboutir à deux films différents. C’est le cas avec le premier thème - l’énergie nucléaire – qui a donné lieu à un thriller allemand (Fessenheim d’Anna Justice) et une comédie française (Mon cher petit village de Gabriel Le Bomin) ! Les deux films seront programmés début janvier sur Arte.
Par ailleurs, Véronique Cayla a indiqué que le CNC et les Länder envisageaient la création d’un fonds de développement pour la fiction franco-allemande, dans la lignée du mini-traité cinéma en 2001. « Avant cet accord, il n’y avait pratiquement pas de coproductions franco-allemandes. Aujourd’hui, l’Allemagne est le deuxième partenaire cinéma de la France, derrière la Belgique ».
Béatrice de Mondenard