Sylvie Pierre-Brossolette : « On peut trouver le cœur et le sel des scénarios au-delà du stéréotype féminin »
Sylvie Pierre-Brossolette, membre du CSA et présidente du groupe de travail Droit des femmes est venue à la rencontre des auteurs de la SACD, lundi 1er décembre, pour évoquer l’application de la loi relative à l’égalité entre les femmes et les hommes, dans l’audiovisuel. Un sujet qui a souvent débordé sur le dossier France Télévisions.La place des femmes dans la culture est un sujet cher à la SACD, qui vient de publier la dernière version de la brochure « Où sont les femmes » incluant désormais l’audiovisuel. On y apprend notamment que 7,3 % seulement des séries de 52’ sont réalisées par des femmes. Le sujet est également cher à Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du groupe de travail Droit des femmes au CSA, où elle a été nommée en janvier 2013. La conseillère, qui avait démarré sa carrière avec Françoise Giroud au Secrétariat d’Etat à la condition féminine, assume d’être « une emmerdeuse » sur ce sujet.
Sylvie Pierre-Brossolette est actuellement en pré-négociation avec les chaînes pour appliquer la loi relative à l’égalité entre les femmes et les hommes, promulguée le 4 aout 2014. Sa mission comprend deux volets : la représentation des femmes à l’antenne, ce qui est selon elle relativement facile car il suffit de compter (les experts, les journalistes…) et la lutte contre les stéréotypes, qui est plus compliquée à mettre en œuvre.
La loi donne aussi au CSA un pouvoir de sanction. En cas d’image particulièrement dégradante de la femme, associations et particuliers peuvent désormais saisir le CSA (qui peut aussi s’auto-saisir). Ses moyens d’action sont les mêmes que pour la protection de l’enfance ou la déontologie, à savoir une observation, puis s’il y a récidive, une mise en garde, puis une mise en demeure. Si ça ne suffit pas, la plainte est transmise au rapporteur du Conseil d’Etat, qui peut proposer au CSA des sanctions plus graves : coupure d’antenne, sanction financière, déclaration à l’antenne. Sylvie Pierre-Brossolette ne pense pas toutefois que le CSA puisse en arriver là en matière de fiction. Et elle espère faire bouger les lignes dans les domaines où l’image de la femme est la plus malmenée : la téléréalité, la publicité et les clips musicaux.
Des stéréotypes d’un nouveau genre
Avant le vote de la loi, le CSA a travaillé avec le Haut Conseil à l’égalité, notamment avec Brigitte Grésy, qui avait déjà proposé des grilles de stéréotypes. Ces grilles ont servi de base pour analyser les programmes de la télévision française et ont donné lieu à trois études (séries de fiction, émissions de divertissement, animation), publiées en juillet dernier.
Sylvie Pierre-Brossolette a donné quelques exemples des stéréotypes des séries analysées, en pointant un cliché d’un nouveau genre : « Il y a l’idée qu’une femme ne peut pas tout avoir, et quand elle réussit sa vie professionnelle, sa vie privée est un désastre ». Les nouvelles héroïnes qui ont un métier reconnu ont bien du mal à concilier leur travail et leur vie familiale. « On pourrait de temps en temps avoir une femme intelligente, heureuse, qui fait bien son boulot et qui a un mari qui partage un peu les choses. C’est peut-être moins drôle, mais on peut trouver le cœur et le sel du scénario au-delà du stéréotype féminin. C’est mon espoir en tout cas… » a lancé Sylvie Pierre-Brossolette.
Pour lutter contre les stéréotypes, le CSA, en partenariat avec les Haut Conseil de l’Egalité hommes-femmes, a élaboré une grille d’évaluation, avec des indicateurs à la fois quantitatifs et qualitatifs. Pour la fiction par exemple : le nombre de rôles féminins, le type de conversation entre femmes… Ce sont des grilles d’auto-évaluation puisque ce sont les chaînes elles-mêmes qui les rempliront.
Les auteurs inquiets de l’interprétation des chaînes
Celles-ci sont très inquiètes, selon Pascal Rogard, qui a indiqué avoir reçu de nombreux appels en ce sens. Les auteurs le sont aussi, mais pour d’autres raisons : ils craignent que les recommandations du CSA se traduisent par de la censure envers eux. Une scénariste a pris un exemple : « Si j’ai envie de créer une femme soumise et idiote, les chaînes vont pouvoir dire non, en invoquant les prétendus diktats du CSA ? ». La scénariste a ainsi suggéré au CSA la création d’une commission pour observer la façon dont la loi sera appliquée et interprétée.
Pour Sylvie Pierre-Brossolette, ce type de risque est à priori exclu puisque –sauf saisine pour cas grave- la production sera évaluée annuellement, et non programme par programme. Elle a toutefois enjoint les auteurs à la contacter à chaque fois qu’ils le jugeront nécessaire : « Plus vous me donnerez des exemples, mieux je pourrai dialoguer avec les chaînes. Je ne peux pas m’immiscer, mais je peux rappeler la loi. Et si les chaînes prennent de mauvais prétextes, j’essaierai d’arranger les choses. L’objectif n’est pas de brider la création mais au contraire d’ouvrir de nouveaux horizons, d’inciter les chaines à produire des séries plus modernes, plus novatrices, plus en phase avec les réalités d’aujourd’hui ».
La loi oblige le CSA à agir, et selon elle « c’est justice et c’est faisable ». Sa démarche se veut pragmatique : « faire prendre conscience aux chaînes de ce qu’elles font, et leur demander de faire chaque année un peu mieux ; on n’éliminera jamais les stéréotypes, on est tous faits de ça, mais on peut lutter contre ».
« La TV sous le joug du marketing »
Une auteure indique que selon des études états-uniennes, « plus il y a des femmes aux trois postes clés, que sont le scénario, la réalisation et la production, plus il y a de personnages féminins ».
Sylvie Pierre-Brossolette approuve, mais souligne qu’elle ne peut avoir qu’un rôle incitatif: « J’ai beaucoup encouragé Remy Pflimlin, et il a d’ailleurs annoncé aujourd’hui lors d’un débat au Forum de la mixité que France Télévisions aurait désormais pour objectif 30 % de femmes réalisatrices. Je ne peux faire que de l’incitatif, mais je le fais à chaque contact avec les chaînes, et je rappelle que c’est un bonus dans leur bilan ».
Selon un auteur, la clé est ailleurs : « Il ne s’agit pas d’un problème d’hommes et de femmes. Sinon Bergman et Woody Allen n’auraient pas fait leurs films magnifiques sur les femmes, et Nicole Garcia les siens sur les hommes. Le problème est que la télévision est aux mains du marketing. Or le marketing, c’est le principe même du cliché : il faut aller là où ça ne dérange pas, où ça flatte un peu. Les conseillers de programmes de France Télévisions sont d’ailleurs à 60 % des femmes, mais ça ne change rien, car elles sont sous le joug du marketing ». Selon lui, il faut rendre le pouvoir aux créateurs : « On ne prétend pas comme les chaînes savoir ce que veut le public, mais on a des envies, des coups de cœur ».
France Télévisions critiqué
Assez vite, le débat sur la place des femmes est devenu un débat sur France Télévisions. Le groupe, qui finance 50 % de la création, cristallise les critiques de l’auditoire : direction trop masculine, étroitesse de la ligne éditoriale, manque d’audace et de prise de risques, volonté de contrôler la création au lieu de l’accompagner, répartition des crédits au volume et non au projet...
Sur la question des équipes dirigeantes, la conseillère du CSA a souligné que son arrivée avait eu des effets immédiats à commencer par Radio France où Mathieu Gallet s’est senti obligé, lors de son audition, d’annoncer que la moitié des directeurs seraient des femmes. Ce qu’il a fait. Les candidats à France Télévisions se sentiront sans doute obligés de prendre le même type d’engagement. Les équipes quasi exclusivement masculines, ce n’est plus possible. »
Un cinéaste soutient qu’avoir plus de femmes décisionnaires est un moyen de lutter contre les stéréotypes : « ce serait vraiment indécent de proposer à des femmes des scénarios avec une image dégradante de la femme ». La présidente de la SACD, Sophie Deschamps, souligne que France Télévisions produit 70% de policier et de judiciaire. Une ligne éditoriale qui ne permet pas de faire surgir suffisamment de projets créatifs et originaux.
Une réalisatrice a évoqué le cas de deux films, tous deux produits en 2011 et programmés trois ans plus tard, en deuxième partie de soirée. Quant à son propre film, terminé depuis plusieurs mois, il n’a pas encore été diffusé.
Sylvie Pierre-Brossolette avoue se soucier de ce manque d’audace, d’autant que les fictions étrangères ont montré que le public y était très réceptif : « Les dirigeants disent qu’ils ne peuvent pas prendre plus de risques, parce qu’ils n’ont pas assez d’argent. Personne ne leur en voudra d’essayer de faire des choses originales, mais ils craignent de perdre de l’audience».
Quel profil pour les responsables de fiction ?
Le problème des équipes de fiction a été clairement pointé par des auteurs présents : « ils n’ont pas d’audace, pas d’envie… ». Sophie Deschamps a rappelé qu’une rencontre avait eu lieu deux semaines auparavant avec Arte qui, « malgré son petit budget, prend tous les risques ». Elle a aussi rappelé les propos de Judith Louis, directrice de la fiction d’Arte, qui après trois ans à donner sans compter, n’a plus l’énergie de poursuivre et a eu le courage d’annoncer sa démission.
Les avis exprimés durant cette rencontre sont tranchés : les conseillers de programme de France Télévisions sont, quant à eux, étrangers à toute notion de risque et de concurrence, et peuvent rester à leur poste ad vitam aeterman, quoiqu’ils fassent. Cette « fonctionnarisation » du métier est perçue comme l’une des clés du problème.
La dernière chance de France Télévisions
Sylvie Pierre-Brossolette a écouté attentivement les auteurs, exprimé le plus souvent son soutien, mais aussi rappelé les limites de ses compétences: le CSA ne nomme pas les directeurs de fiction !
Pascal Rogard a rebondi en soulignant que le CSA aurait pleinement son rôle à jouer dans les prochains mois avec la nomination du prochain président de France Télévisions : « il faut nommer un président (et une équipe), qui met la création et la gouvernance de la création au cœur de son projet. C’est un peu la dernière chance de France Télévisions. Sa dégradation est tellement importante que les politiques vont finir par se dire que 3 milliards par an, c’est cher pour pas grand-chose ». Sylvie Pierre-Brossolette s’est déclarée également attentive à ce que la prochaine mandature soit à la hauteur des attentes.
Pascal Rogard a demandé ce qui serait mis en place pour permettre à des candidats du privé de postuler sans risquer leur poste ? Pour l’heure, les modalités de candidature n’ont pas été décidées. Le CSA attend janvier pour y réfléchir. Sylvie Pierre-Brossolette a précisé que la loi n’imposait rien, si ce n’est que les candidats déposent un dossier, et que le vote se fasse à la majorité.
En conclusion de ce débat dans lequel les auteurs, femmes et hommes, ont exprimé leurs plus vives difficultés à faire aboutir des projets audacieux et créatifs, Sylvie Pierre-Brossolette a montré sa détermination à faire bouger les choses : « Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que cette loi égalité hommes-femmes vous aide et non vous bride, et pour que vous ayez la gouvernance de votre cœur : une équipe qui aime la création, et qui prenne des risques. Si cela va dans ce sens, le CSA la soutiendra, et si ça ne va pas dans ce sens, je le dirai aussi fort que j’en suis capable. »
Béatrice de Mondenard