Audiovisuel 04 mai 2015

Christophe Tardieu : « le droit d’auteur est le dossier des dossiers »

Christophe Tardieu, directeur général du CNC et Vincent Leclercq, directeur de l’audiovisuel et de la création numérique, tous deux fraîchement arrivés au CNC, sont venus à la rencontre des auteurs de la SACD le 24 mars dernier.

Vincent Leclercq et Christophe Tardieu

Vincent Leclercq et Christophe Tardieu
 

Christophe Tardieu a été auparavant directeur adjoint du cabinet de Christine Albanel (2007-2009), puis directeur adjoint de l’Opéra de Paris. Vincent Leclercq était précédemment directeur général de Pictanovo (ex-Crrav), fonds régional du Nord-Pas-de-Calais.
Au menu des débats animés par Pascal Rogard : la  transparence dans l’audiovisuel, les réformes du Cosip, la disponibilité des œuvres et le droit d’auteur.

La transparence dans l’audiovisuel

Premier sujet : la transparence. Un gros travail a été mené ces dernières années dans le cinéma, mais il reste à faire dans l’audiovisuel, et la ministre Fleur Pellerin a passé commande au CNC et à la DGMIC (Direction générale des médias et des industries culturelles). Il s’agit d’assurer une plus grande transparence des coûts et des recettes, d’harmoniser les pratiques et de garantir la reddition de compte aux auteurs.
Christophe Tardieu a souligné que c’était « un chantier tout neuf » (la première réunion avait eu lieu la veille) mais espère « aboutir à des lignes directrices avant l’été ».
Sophie Deschamps, présidente de la SACD, a exprimé ses « forts doutes », sachant qu’il y avait eu jusqu’ici « beaucoup de discours et peu de résultats ». Elle s’est livré à un petit sondage dans la salle : « Qui a déjà reçu les comptes de ses films TV ici ? ». Une seule main s’est levée. « Pour une maison qui a fait faillite », a précisé l’auteur. « Personne ne reçoit jamais rien, y compris les auteurs de séries qui marchent très bien », a poursuivi Sophie Deschamps.
« Le problème est loin d’être simple, a reconnu Christophe Tardieu et je ne suis pas en train de vous promettre des lendemains qui chantent, mais on va vraiment travailler dessus, car c’est une commande politique forte, et j’espère qu’avec la coopération de tous et notamment des auteurs, on trouvera un système qui peut fonctionner. Les producteurs  nous disent que c’est beaucoup de paperasse pour pas grand chose à répartir, on va voir si on peut automatiser les choses. En tout cas c’est un sujet sur lequel on n’hésitera pas à mettre de l’argent pour garantir au maximum cette transparence. »

Cosip : les réformes en cours…

Pascal Rogard a ensuite souhaité faire le point sur les différentes réformes en cours, et en premier lieu, sur le renforcement des aides à l’écriture en fiction. Vincent Leclercq a souligné que deux règles venaient d’entrer en vigueur en janvier 2015 : l’obligation pour les producteurs de fiction de consacrer 10% de leur compte de soutien à des dépenses d’écriture, et l’augmentation de l’aide au concept de 5 000 à 7 500€ pour la fiction et l’animation.
Pascal Rogard a demandé si la réforme du documentaire allait permettre de rééquilibrer la part de la fiction au sein du compte de soutien. Pour Vincent Leclercq, il est trop tôt pour le dire, une seule commission ayant eu lieu. Si la réforme consiste à ne plus soutenir « certains programmes extrêmement loin du documentaire de création » et les reportages, elle vise aussi, en effet, à renforcer le soutien au documentaire de création.

Enfin, concernant l’animation, et le vœu exprimé par Fleur Pellerin de mieux valoriser la création, Christophe Tardieu a dit vouloir déboucher sur un dispositif concret avant l’été. Face à l’augmentation importante des œuvres adaptées de livres et de bandes dessinées, notamment à France Télévisions, Pascal Rogard a suggéré d’encourager les projets originaux par un système de bonification, et de renforcer le soutien à l’écriture pour les œuvres d’expression originale française. 

… et les suggestions des auteurs

Sophie Deschamps a quant à elle plaidé pour un Cosip-Développement. Selon elle, les véritables têtes chercheuses sont aujourd’hui des petits producteurs ou des auteurs-producteurs, qui n’ont pas accès au Cosip, car ils sont obligés de s’associer à de gros producteurs, ces derniers assumant en général seuls la production déléguée. Vincent Leclercq n’a pas réagi à cette suggestion, mais a reconnu qu’il fallait « reconstruire le cheminement pour l’innovation ». Selon lui, « la fiction innovante vient surtout de producteurs moyens, qui ont des fonds propres et font de la coproduction internationale.

Autre souhait des auteurs, et notamment d’Isabelle Wolgust, vice-présidente cinéma de la Guilde des scénaristes, et Christophe Andrei, co-président du groupe 25 Images : assurer une meilleure représentativité des auteurs et des organisations professionnelles au sein des commissions du CNC.
« Le message est passé », a répondu Christophe Tardieu, ajoutant que c’était une piste d’ouverture pour les prochains renouvellements de commission. 
Enfin, des scénaristes d’animation ont critiqué les conditions du Fonds d’aide à l’innovation, qui nécessite de déposer un dossier graphique en sus du dossier littéraire, alors même qu’il n’y a pas encore de producteur. Pour Vincent Leclercq, « il est difficile de juger un projet d’animation, sans sa dimension graphique ». Pascal Rogard, sensible aux arguments des scénaristes qui ont mis en avant l’absence d’exigence équivalente pour la fiction, a suggéré de scinder l’aide en deux.

La disponibilité des œuvres

Pascal Rogard a salué l’initiative du CNC consistant à recenser, via son moteur de recherche (vod.cnc.fr), les films disponibles en VàD, et a demandé si le CNC comptait faire de même pour les œuvres audiovisuelles. Christophe Tardieu a dit vouloir mener la réflexion, même si le grand nombre d’œuvres audiovisuelles rend l’entreprise plus compliquée. Pascal Rogard a souligné au passage la faible part de films disponibles (environ 10 000 sur 30 000) et a suggéré d’ajouter dans la future loi sur la création, l’architecture et le patrimoine (annoncée pour l’automne 2015), « l’obligation d’une exploitation permanente et suivie », comme dans l’édition.

La réalisatrice Caroline Huppert a, quant à elle, abordé la question de la disparition des supports physiques de certaines œuvres audiovisuelles, faute de dépôt légal . Elle a cité l’exemple d’un de ses films réalisé en 1988, Marie-Antoinette, reine d’un seul amour , avec Emmanuelle Béart et Dominique Besnehard, dont Les Brûlures de l’Histoire lui a récemment demandé des extraits : « Les droits appartiennent à Studio Canal, le négatif image est chez Eclair et le négatif son a été perdu. On n’a plus que ma VHS. Il existe des procédés pour restaurer le son, à partir d’une VHS, mais cela coûte 20 000€. StudioCanal n’est pas prêt à faire cette dépense, car il n’est pas sûr de vendre le film à une autre chaîne que La Chaine Histoire, qui l’achèterait pour 3 000€. Et malheureusement, il n’y a aucune aide pour la restauration et la numérisation des œuvres audiovisuelles, contrairement au cinéma. »

Christophe Tardieu a répondu vouloir réfléchir, avec la direction du patrimoine du CNC, à la création d’un fonds, qui ne serait pas pour toutes les œuvres, mais pour quelques cas spécifiques, notamment en cas d’absence de dépôt légal.
Pascal Rogard a, quant à lui, rappelé sa proposition, reprise par le rapport Cerutti - Zelnik, d’instituer une redevance sur l’utilisation des films du domaine public pour financer la conservation des films. « Sinon des entreprises privées vont s’emparer des films du domaine public, et c’est le CNC qui en financera la conservation ».

L’offensive de Bruxelles sur le droit d’auteur

Autre sujet lancé par Pascal Rogard : « l’offensive très forte de Bruxelles sur le droit d’auteur, qui veut mettre fin à la possibilité de vendre par territoires, ce qui ferait le lit des grands groupes internet américains au détriment des télévisions européennes ».
Pour le directeur général du CNC, « c’est le dossier des dossiers », et l’association des CNC européens, les Efad (European Film Agency Directors) est montée au créneau : « Il y a une osmose parfaite entre les Français, les Anglais et les Allemands, et nous attirons à nous les autre pays. Nos amis allemands ont pris la présidence du groupe et font un travail de lobbying remarquable. Nous allons organiser de grands événements à Cannes avec tous les créateurs qui font œuvre de l’esprit, des cinéastes, des écrivains, des plasticiens… ».
Christophe Tardieu s’est montré encore un fois confiant : « Mon sentiment est que le président Junker s’est aventuré sur un terrain qu’il maîtrisait mal. Et la commission qui était partie tout feu tout flamme en se disant qu’elle allait tout réformer du sol au plafond est en train de se rendre compte de la difficulté de la tâche. Beaucoup de notions échappent aux grands dirigeants européens, ils mélangent territorialité et portabilité et demeurent de toute façon très marqués par une logique ultralibérale. Mais, du côté de l’administration, ils écoutent. Au parlement européen, la provocation inutile de confier un rapport sur le sujet à une représentante du parti Pirate montre que tout ça n’est pas très sérieux. On voit en revanche une belle mobilisation, notamment de parlementaires français, de tous partis. On est en train de constituer une belle force de riposte, et je pense qu’on en verra les premiers résultats à l’automne ».

Deux autres sujets ont été brièvement abordés au cours de cette rencontre. Interrogé par Pascal Rogard sur la chronologie des médias, Christophe Tardieu s’est dit optimiste : « Il ne peut y avoir de réforme avant la conclusion d’un accord entre Canal+ et les organisations professionnelles du cinéma. Aujourd’hui, si on fait abstraction des postures, leurs positions ne sont pas si éloignées, et je pense qu’on peut aboutir avant l’été à un accord avec Canal+, un accord avec TF1 et un accord sur la chronologie des médias. »

Enfin, Caroline Huppert a évoqué les délocalisations, « qui se font au détriment de l’emploi des techniciens français mais aussi de la qualité des scénarios, adaptés de façon à ce qu’on puisse les tourner n’importe où ». La réalisatrice a demandé pourquoi le crédit d’impôt français était toujours en retard sur les dispositifs luxembourgeois ou belges. Christophe Tardieu a expliqué la difficulté de convaincre l’administration fiscale. S’il s’est dit lui-même convaincu par le crédit d’impôt, il a ajouté qu’il n’y avait pas que des problématiques fiscales, et qu’il fallait aussi examiner les problématiques d’organisation et de coût de production.

Béatrice de Mondenard