Hommage à François Dupeyron
Bertrand Tavernier rend hommage au cinéaste disparu le 25 février 2016.
J'écris ce texte sous le coup d'une grande tristesse, d'une peine infinie. Je ne suis pas près, on n'est pas près d'oublier le choc ressenti devant DRÔLE D'ENDROIT POUR UNE RENCONTRE, ces affrontements émotionnels traités avec une sensibilité à vif où les personnages sur une aire d'autoroute, s'écorchaient à même l'écran. Ce concerto pour deux acteurs sublimes, Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, avec en plus quelques solistes comme Nathalie Cardone, surprenait par ses changements d'humeur, de ton, ses brusques dérapages qui triomphèrent d'un tournage éprouvant. C'était un début de carrière foudroyant que François Dupeyron ne cessa de remettre en jeu, choisissant des sujets intimistes, délicats ou loin des modes, des diktats culturels. Son exigence, sa discrétion le fit rester souvent en marge, à côté.
J'avais adoré C'EST QUOI LA VIE et contribué à lui faire remettre deux prix au Festival de San Sebastian. Dupeyron, qui abordait avec rigueur et finesse le monde paysan, nous faisait toucher du doigt ses angoisses, ses douleurs, se fit bien sûr traiter de pétainiste par la presse cléricale. Il dut affronter des réactions inouïes de sottise comme celle du critique du Monde qui affirma que la preuve que le film était pétainiste, c'est que Jacques Dufilho qui interprétait un des rôles principaux, avait joué Pétain. Cet état d'esprit contribua à ce que soient sous-estimées les qualités de ses film qui abordaient des sujets souvent sensibles comme LA CHAMBRE DES OFFICIERS, œuvre pudique et tendre, et le très méconnu AIDE TOI LE CIEL T'AIDERA, sur le racisme au quotidien avec un Claude Rich royal.
Justement dans une série de films sur le racisme, nous avions produit un court métrage qu'il co-réalisa avec Yves Angelo où l'on voyait un Français très frontiste se réveiller en ne parlant qu'arabe. Jean-Pierre Daroussin était formidable et le propos témoignait d'un humour qui perce dans nombre de ses œuvres. Meurtri, désabusé, ayant un mal de chien à faire financer ses films, il écrivit une tribune amère et poignante. Personne ne répondit. C'est un triste jour pour le cinéma français qui perd aussi Valérie Guignabodet.
Bertrand Tavernier