« Il faut arrêter de dire que l’on ne peut rien faire »
A l'occasion du festival d'Avignon 2016, la SACD a organisé au Conservatoire du Grand Avignon un débat sur l'avenir du spectacle vivant donnant la parole à des responsables politiques, des artistes et auteurs, et des directeurs de lieux.Première à s'exprimer, Carole Thibaut, autrice nouvellement nommée directrice du CDN de Montluçon. Pour elle, deux constats principaux doivent s'imposer : d'une part, "l'artiste ne décide plus de sa destinée." "Ce sont des gens qui décident pour lui à travers des commissions notamment. Les artistes se trouvent de plus en plus infantilisés." D'autre part, le spectacle vivant souffre d'un entre soi autour de décideurs généralement blancs, masculins, d'une certaine caste socio-culturelle. Ils soutiennent ceux qui leur ressemblent, repoussant toute altérité. Cela génère une reproduction des esthétiques et des façons de concevoir le monde.
Carole Thibaut voit une conséquence concrète à cette éviction des artistes. Les maisons et lieux de culture ne sont plus consacrés à l'art mais à leur propre fonctionnement, qui représente en moyenne 70% de leur budget. L'urgence serait, selon elle, de réfléchir à cet état de fait pour remédier à ce déséquilibre et aux moyens de le résorber. Et la solution n'est pas uniquement financière car comme elle l'a reconnue elle-même : " même si on augmente les budgets, on ne résout pas ce problème."
Romaric Daurier, président délégué du Syndeac et directeur du Phénix, scène nationale de Valenciennes, a souligné pour sa part qu'il existait dans notre pays un mouvement de fond d'inégalités territoriales en train de se creuser et qui prend des formes diverses : baisse des subventions, montée des populismes, interventionnisme politique... En tant qu'acteur de la culture des Hauts de France, il a évoqué une année très particulière marquée à la fois par la crainte de voir l'extrême droite prendre les rênes de la région et par l'intégration totale de la culture au pacte républicain. Aussi, a-t-il tenu à indiquer que désormais, "nous sommes dans une logique de concertation avec le Conseil régional qui a la volonté politique de faire passer le budget de la culture de 70 à 110 millions d'€."
Le maintien de l'investissement des collectivités locales est-il pour autant partout garanti ? Pour Jean-Marc Roubaud, président de la Communauté d'agglomération du Grand Avignon, les élus n'ont pas d'inquiétudes particulières sur la culture mais sont en revanche inquiets du désengagement de l'Etat : l'agglomération d'Avignon perdra ainsi 15 millions de dotations de l'Etat entre 2015 et 2017. "Les collectivités territoriales sont les premiers investisseurs. Si elles n'ont plus les moyens d'investir, cela se répercute sur tout, l'emploi, l'économie, c'est un cercle vicieux." Malgré la baisse de ces dotations, la Communauté du Grand Avignon a décidé de maintenir son engagement financier en faveur de la culture soit 18,5 millions d'€ chaque année. En France, cet effort reste rare : "seules 3 agglomérations de taille équivalente ont fait le choix de développer une compétence (optionnelle) culture et spectacle vivant".
Raymond Yana, président du festival OFF d'Avignon, a aussi voulu faire retentir un message de volontarisme : "il faut arrêter de dire qu'on ne peut rien faire". Cette volonté d'avancer prend la forme d'un projet concret pour le OFF : la mise en place d'un fonds de soutien et d'une billetterie centralisée. Cela permettra de connaître notamment précisément le nombre de billets vendus et de vendre des billets partout en ville. Raymond Yana fonde beaucoup d'espoirs sur cette démarche : "avec cette billetterie centralisée, on pourra générer au minimum 600 000 € pour le fonds de soutien, avec une part de 60 ou 70 centimes sur le prix du billet. En amorçant ce fonds, il nous sera aussi possible de solliciter des mécènes, des organisations professionnelles, et, pourquoi pas, la puissance publique." Au-delà, ce fonds de soutien est, selon lui, un moyen de créer un cercle vertueux entre toutes les formes de théâtre, en s'inspirant de l'exemple du cinéma pour lequel les recettes dégagées par un James Bond servent aussi à financer une création Art et Essai.
Régine Hatchondo, directrice générale de la création artistique au Ministère de la Culture et de la Communication, veut aussi s'inspirer du cinéma dans le spectacle vivant pour mieux connaître les publics. Selon elle, un manque important dans la politique du spectacle vivant réside dans l'absence "d'un observatoire qui nous aiderait à prendre les bonnes décisions en permettant de mesurer l'activité, la fréquentation du spectacle vivant et surtout le comportement des publics". À cet égard, la loi sur la liberté de création qui vient d'être adoptée par le Parlement sera utile car elle rend obligatoires les remontées de recettes vers le Ministère.
Sur le plan du financement des lieux, elle reconnaît, comme Carole Thibaut, que maintenir les budgets des lieux revient en fait à les baisser car leurs charges augmentent. De ce fait, la part réservée à l'artistique, au souffle, à la prise de risque, tout ce qu'on appelle la marge artistique diminue d'autant. Selon elle, il est nécessaire de réfléchir à un autre modèle économique qui pourrait prendre éventuellement la forme d'un fonds de soutien à l'échelle du spectacle vivant. Cette réflexion devrait s'inscrire dans un double démarche : être capable de remettre en cause ce qui ne marche pas ; se poser la question spécifique de la diffusion du spectacle vivant qu'il faut sans doute repenser et renforcer, tant parfois le nombre de représentations par spectacle est trop faible.
En revanche, elle ne considère pas que l'artiste a perdu sa place dans le spectacle vivant et dans les lieux. Au contraire, "le nombre des compagnies indépendantes a permis le renouvellement des esthétiques et une irrigation des territoires".
L'année 2016 a aussi été marquée par 2 faits politiques majeurs pour la culture sur lesquels ont voulu insister Romaric Daurier et Patrick Bloche, président de la commission de la culture et de l'éducation de l'Assemblée Nationale et l'un des principaux rédacteurs du projet de loi relatif à la liberté de création. Après plus de 13 ans de mobilisation autour de la question de l'assurance-chômage des intermittents du spectacle, un accord a pu intervenir entre les partenaires sociaux le 28 avril dernier. Un accord que Patrick Bloche a qualifié d'historique.
Le vote récent de la loi sur la liberté de création est aussi une avancée politique très importante, pour Pascal Rogard, directeur général de la SACD qui animait ce débat comme pour Patrick Bloche. Le Parlement y a d'ailleurs joué un rôle essentiel faisant passer le nombre d'articles de 46 à 119. Sans vouloir être exhaustif, Patrick Bloche a tenu à souligner tout particulièrement l'apport de deux articles, le premier créant un délit d'entrave de la liberté de création et sanctionnant toute atteinte à cette liberté, et le second définissant les 21 objectifs de la politique du spectacle vivant. Parmi ceux-ci, figure en bonne place le soutien aux auteurs vivants francophones. Mais, cette loi n'est pas un point d'arrivée, c'est au contraire un outil qui ne vaut qu'à partir du moment où tous s'en emparent pour le faire vivre. C'est le défi de cette loi : faire l'objet d'une pleine et entière application pour soutenir le spectacle vivant et la création contemporaine.