Hommage à Pierre Tchernia
Jacques Fansten et Laurent Heynemann saluent la mémoire du réalisateur et homme de télévision disparu le 8 octobre. Pierre Tchernia présida la SACD en 1997-1998.Hommage de Jacques Fansten
Comment rendre un seul hommage à tous ces "Pierre Tchernia" ?
"Monsieur Cinéma", bien sûr, qui pendant plus de 20 ans, a conçu et animé les plus chaleureuses des émissions sur le cinéma, sa passion qu'il savait si bien faire partager à tous…
"L'ami public N°1", ce titre qui lui allait si bien d'une émission où il racontait et montrait Walt Disney, un rendez-vous qui a éveillé, instruit et amusé des générations d'enfants de tous les âges…
"Magic Tchernia", ce rôle qu'il tenait à merveille dans une émission, Les Enfants de la Télé, dont on oublié qu'elle a été créée sur France 2, sur ce service public de télévision qu'il aimait tant et qu'il a si bien servi avant d'en être éjecté pour quelque obscure raison, puis d'être, heureusement, récupéré par TF1. Alors que c'était évidemment un modèle de service public, une mémoire partagée.
Mais aussi le journaliste, l'un des pionniers de la télévision naissante, dans les premiers journaux télévisés, réalisateur de dizaines de reportages, puis l'un des animateurs des mythiques Cinq colonnes à la Une…
Ou encore le complice des chansonniers de cette Boite à Sel dont l'insolence et la drôlerie feraient bien envie aujourd'hui…
On ne peut pas citer toutes les émissions auxquelles il apporta cette grâce à la fois intelligente et si simple.
Le cinéaste aussi : faire des films, c'était son rêve de jeunesse auquel il avait cru devoir renoncer. Car il avait fait "l'école de Vaugirard", puis l'IDHEC, avant de se plonger dans l'aventure d'une télévision à inventer. Plus tard, avec sa bande de joyeux acteurs, il était enfin revenu à ses premières amours, avec des films délicieux d'humour et de tendresse, du Viager à Bonjour l'angoisse en passant par Les Gaspards et La Gueule de l'autre. Au passage, il tourna aussi d'épatants téléfilms, notamment quelques adaptations de Marcel Aymé.
Sans oublier ses complicités, de scénariste, notamment avec Robert Dhéry ou Marcel Bluwal, ou d'acteur avec ses copains. Car c'était un homme d'amitiés fidèles : Michel Serrault, Jean Carmet, Yves Robert, René Goscinny et bien d'autres…
On a souvent cité cet article de Henri Jeanson disant de lui : "C'est un enfant dont le passe-temps consiste à nous faire partager ses plaisirs, ses goûts, ses amitiés. Il croit encore au Père Noël : pour y croire, il lui suffit de se regarder dans la glace."
Sans oublier le Pierre Tchernia militant de la création et des auteurs, notamment à la SACD qu'il a présidée et où il est resté présent jusqu'au bout de ses forces, amoureux du travail et des œuvres des autres.
Il aura toujours gardé ce rêve d'une télévision qu'il voulait populaire et chaleureuse et dont l'état le laissait parfois songeur avant de le faire rire, comme tout ce qui lui tenait à cœur.
Sa générosité et sa bonhommie, son enthousiasme communicatif, sa légèreté toujours amicale, sa passion rigolarde, en faisaient un compagnon que tous aimaient, même ceux qui ne le connaissaient qu'au travers de "son petit écran".
Je me souviens de ce sourire heureux sur toutes les lèvres dès que sa grande silhouette passait la porte de la SACD, signe de cette reconnaissance que nous avions tous envie de lui manifester.
Il avait cette qualité si rare d'apporter du bonheur partout où il allait.
Un sacré bonhomme.
Jacques Fansten
Hommage de Laurent Heynemann
Laurent Heynemann et Pierre Tchernia en 2011 à la SACD. (crédit : Julien Attard)
En premier lieu je voudrais évoquer le souvenir du scénariste et réalisateur Pierre Tchernia.
C'était des films formidables ! Parce que c'était des comédies intelligentes. Scénariste, il savait nous communiquer son amour éperdu du burlesque, une complicité avec la bande des Branquignols, les Robert Dhéry, Colette Brosset, Louis de Funès, Jean Carmet, Michel Serrault… et pour moi les souvenirs d'enfance de La belle américaine, du Petit baigneur.
Réalisateur de quatre films, (j'espère que le dvd-blogueur de SACD.FR vous repèrera comment retrouver Les gaspards ou La gueule de l'autre) il a marqué l'histoire du cinéma avec Le Viager, un des rares films français qui puisse soutenir la comparaison avec les maîtres italiens comme Comencini (L'argent de la vieille), ou Monicelli (Le Pigeon) et anglais (Noblesse oblige, Tueurs de dames ou les Monty Python).
Bien sûr, pour les gens de ma génération, Pierre Tchernia restera celui qui faisait connaître et aimer le cinéma de façon ludique. Il avait concilié son goût du jeu et son savoir-faire d'homme de télévision avec son érudition et sa culture. Il était l'inventeur et l'animateur de Monsieur Cinéma jeu éminemment cinéphilique, avec son ton si particulier de chaleur et de gentillesse, d'humour un peu vachard. Et, de fait, il est devenu "Monsieur Cinéma", l'homme qui incarnait le cinéma pour les téléspectateurs, qui distillait et instillait l'amour du cinéma. Il faut remarquer au passage, que lui même, pourvu d'une insatiable curiosité cinéphilique et d'une culture cinématographique imparable, savait de quoi il parlait, et connaissait souvent les réponses des questions qu'il posait à ses candidats, ce qui est devenu chose rare aujourd'hui.
Pierre a été aussi un formidable président de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, fonction qu'il a occupée avec un sens merveilleux de la négociation et de l'harmonie.
Très proche du personnel, très aimé aussi… Je dois dire que j'ai rarement vu un Président mener avec autant de gentillesse et de fermeté la Société. Il possédait un vrai don pour imaginer les solutions dans les négociations, solutions toujours conciliantes, toujours à l'avantage des auteurs, mais toujours concoctées de façon à ce que chacun sorte la tête haute sans garder l'impression d'avoir perdu ou gagné.
Je redoute ce moment de mon texte… celui où je me dois d'évoquer avec fierté la soirée au cours de laquelle j'ai reçu de ses mains la Légion d'honneur dans les salons de la société. Il ne pouvait plus marcher. Et lorsque dans la cour d'entrée, on s'apprêtait à pousser sa chaise roulante sur le plan incliné qu'on lui avait aménagé, il a fait signe des deux mains pour stopper le cortège qui l'entourait, et, en regardant l'entrée d'un air admiratif, il a déclamé: "Alors c'est cela cette fameuse SACD," en détachant bien les lettres initiales, feignant de découvrir ce lieu qu'il avait si souvent arpenté et qu'il venait honorer de sa présence pour la dernière fois.
Nous étions nombreux à cette soirée. Il a animé l'affaire avec sa gourmandise habituelle. Vous tous qui m'appelez aujourd'hui en évoquant cette cérémonie dont j'étais fortement partie prenante, vous me parlez de joie, de fierté, d'une tristesse immense qui n'a d'égal que le plaisir que Pierre Tchernia nous avait apporté depuis tant d'années pour l'amour des autres et l'amour du cinéma.
Laurent Heynemann