Gérard Pesson : « Donner à l'orchestre la licence de la déprise »
Le compositeur était le 13 mai l'invité de La Musique comme théâtre, le rendez-vous de la SACD consacré aux auteurs de musique de scène. Il a évoqué en compagnie de David Lescot, son travail sur l'opéra "Trois Contes".La rencontre animée par les compositrices Catherine Verhelst, présidente de la commission Musique et danse de la SACD et Florence Baschet, était précédée de la diffusion d'un extrait de la captation de l'opéra Trois Contes, composé par Gérard Pesson et créé à l'Opéra de Lille cette année sur un livret et dans une mise en scène de David Lescot. Trois Contes se compose de trois mouvements inspirés pour le premier par La Princesse au petit pois d’Andersen, pour le deuxième par Le Manteau de Proust de Lorenza Foschini, et pour le troisième par Le Diable dans le Beffroi de Poe.
La genèse du projet remonte à 2011 et la proposition faite à Gérard Pesson par la directrice de l'Opéra de Lille, Caroline Sonrier, de créer ce qu'il voulait. Les trois oeuvres qu'il va choisir de combiner lui trottent dans la tête depuis longtemps. Il avoue avoir pensé à La Princesse au petit pois dès le début des années 90. Pour Le Diable dans le Beffroi, il avait toujours été "titillé" comme il dit par l'idée de reprendre le flambeau de Claude Debussy qui essaya sans donner suite d'adapter le texte pour le Met de New York. Il se dit enfin "proustien de manière non-opérable" pour ce qui est du troisième segment. C'est Caroline Sonrier qui présentera David Lescot au compositeur. Les deux hommes ne se connaissaient pas et l'expérience fut pour le moins singulière.
Une "idée de la musique"
"Comme David est lui-même musicien, il m'a posé des questions de solfège", se souvient Gérard Pesson qui n'en revient toujours pas. "Je n'ai jamais travaillé avec un metteur en scène qui faisait ça. Le premier acte de Trois Contes est articulé un peu à la manière d'une histoire de la musique en timelapse. Et David a remarqué les citations dans les partitions d'orchestre : la scène d'amour du Madame Butterfly de Puccini, le thème d'Un Homme et une femme de Lelouch..." De quoi cimenter une collaboration étroite entre les deux hommes. Et ce, dès les toutes premières étapes de la création de cet opéra.
"Dès l'écriture du livret, il y a eu énormément d'allers-retours entre nous deux avant même que Gérard écrive une seule note", se souvient David Lescot. "J'ai écrit à l'aveugle ou plutôt "à la sourde", sans musique et lui me demandait des réécritures jusqu'à ce qu'il finisse par me dire qu'il était prêt à commencer à composer. Je m'attendais alors à devoir procéder à nouveau à de nombreuses réécritures, mais non, il n'y en a quasiment pas eu. Le texte a donc été modelé par une idée de la musique que Gérard avait en tête et pas par une musique déjà existante. C'est peu commun."'
David Lescot se retrouve à penser très en amont à la mise en scène. "A l'opéra on est obligé d'anticiper la mise en scène dès l'écriture, ce que je ne fais d'habitude au théâtre. Mais là, il faut présenter le projet de scénographie un an avant les répétitions." Or le dispositif scénique est particulièrement ambitieux sur Trois Contes. David Lescot veut livrer trois spectacles en un mais sans entracte. "Aucune interruption, cela signifait couper le plateau en trois littéralement : d'abord on joue sur la profondeur, puis sur la latéralité et enfin dans le dernier mouvement, on ajoute un castelet, une petite scène au milieu de la scène."
Une "direction poétique générale"
Vient ensuite la collaboration avec le chef d'orchestre, qui peut parfois être compliquée. Sur Trois Contes, David Lescot loue la relation qu'il a pu avoir avec Georges-Elie Octors. Et Gérard Pesson de saluer la manière dont David Lescot a fait passer ses idées auprès des musiciens : "Georges-Elie était très enthousiaste face à la manière dont tu les nourrissais, dont tu leur fournissais des pistes.Ca donnait une sorte de direction poétique générale."
Plus difficile fut la dernière étape, celle qui consiste pour le compositeur à faire passer ses intentions à lui à l'orchestre. "A un moment, j'ai demandé à réunir tout le monde avant la générale pour demander un petit effort de couleur. Je leur ai dit que c'était à portée de main mais qu'il fallait accepter de jouer différemment de ce qu'on leur avait toujours appris. Je leur ai donné la licence de la déprise." David Lescot : "Je me souviens de l'expression de Gérard, "il faut que vous acceptiez d'entrer dans quelque chose que vous n'avez jamais entendu.""
La question pour les deux hommes désormais, c'est de faire voyager leur opéra. Après Lille, Trois Contes va être joué Rouen, Angers, Nantes et même à Rennes, la plus petite scène d'opéra de France. Ce qui ne va pas sans interrogation pratique pour la mise en scène. Paradoxalement c'est Gérard Pesson qui semblait le plus s'inquiéter des possibles adaptations à trouver, quand David Lescot, lui, semblait très philosophe. "Oui, il y aura des redécoupages", a-t-il admis avant de se tourner, rassurant, vers Gérard Pesson : "Mais sans toucher à la musique. Promis."