Coline Serreau sous le signe de la scène
Cinéaste, dramaturge, compositrice, Coline Serreau était l'invitée de la SACD le 3 décembre dernier pour un nouveau numéro de Mots en scène. Une rencontre à (re)voir en vidéo en intégralité.De Coline Serreau, on connaît bien sûr les films, parmi lesquels Trois Hommes et un couffin, La Crise, Chaos... Mais la cinéaste est aussi active depuis ses débuts côté scène, à bien des égards. Issue d'un milieu "très très théâtre" comme elle le décrit elle-même, fille du metteur en scène Jean-Marie Serreau et de l'écrivaine Geneviève Serreau, elle s'est souvenue lors de la rencontre Mots en scène animée par Olivier Barrot à la SACD, de l'atmosphère qui régnait dans le foyer familial pendant son enfance : "Les Beckett, les Arrabal, les Kateb Yacine, les Césaire... venaient chez nous, ils étaient tous fauchés, ils discutaient tout le temps et se lançaient dans des bagarres de théâtre, sur le théâtre."
Au Conservatoire, elle découvre la musique, "une manière de s'éloigner un peu de ce milieu familial". Pourtant elle passe aussi en cachette le concours de l'Ecole de la Rue Blanche, où elle échoue d'abord car, ce sera une constante dans sa carrière, elle n'entre dans aucune case. "Au concours d'entrée, sur Musset, j'ai parlé direct, droit. C'est ce qu'il ne fallait pas faire. Jean Meyer [NDR : le directeur artistique] a dit que je ne ferai pas une bonne jeune première." Elle tape heureusement dans l'oeil du professeur Jacques-Henri Duval, qui la fait entrer. "C'était un bon auteur de boulevard, ce qui n'est pas du tout la culture de mes parents. Il se disait que je pourrais jouer des rôles comiques. Ils ne m'ont jamais distribuée dans aucune pièce. Je ne collais pas."
De la vie et de l'humour
Cela n'empêchera pas Coline Serreau de poursuivre une carrière sur les planches, comme comédienne et puis, après s'être fait un nom au cinéma, comme autrice dramatique. En 1986, elle décide d'écrire et monter sa première pièce : Lapin Lapin. Marquée par L'Atelier de Jean-Claude Grumberg, elle écrit cette pièce en une nuit à peine. "L'histoire était dans ma tête, c'est celle de notre famille avec ces parents soulagés d'avoir élevé leurs enfants et désespérés de les voir revenir." Un texte très personnel qu'elle choisit pourtant de signer sous le pseudonyme d'Elie Bourquin, et qu'elle envoie ainsi aux théâtres pour ne pas bénéficier d'un traitement de faveur en tant que cinéaste tout juste auréolée du succès de Trois hommes et un couffin. Le Théâtre de la Ville la mettra en production avant même que la vraie identité de l'autrice soit éventée. La pièce, mise en scène par Benno Besson, sera un immense succès, et sera beaucoup jouée en Allemagne par la suite.
En 1994, avec Quisaitout et Grobêta, à nouveau mis en scène par Benno Besson, cette fois au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, l'histoire de 2 clowns qui n'ont pas la même conception de la vie, elle propose une sorte d'En attendant Godot qu'elle estime moins désespéré que le texte de Beckett. "Il l'a écrite à un moment de l'histoire où l'espoir n'était pas permis. Moi je considère qu'il y a de la vie et de l'humour." Elle incarnera 5 ans durant Gobêta aux côtés de Gilles Privat, qui lui donne la réplique dans le rôle de Quisaitout. Un excellent souvenir : "C'était merveilleux de jouer ça avec lui. Il y a de la pression sur ce texte, il faut se comporter comme un banc de sardines, tout doit aller ensemble. Avec Gilles ça se répondait, ça s'écoutait..."
Sa pièce suivante, Moi, un homme… ancien marin (1996), créée au Festival Off d'Avignon dans une mise en scène de Richard Doublier est un texte qui la déstabilise elle-même. "Je suis presque embêtée d'en parler", prévient-elle. Elle le fait pourtant très bien : "C'est un discours inconscient sur la naissance, sur les angoisses, un monde intérieur. C'est plus de la poésie que du théâtre. C'est peut-être un texte qui se prête plus à la lecture qu'à être joué. Il faut un acteur très costaud." Ce monologue lui a été inspiré par les travaux de Georg Groddeck et Sándor Ferenczi, disciples dissidents de Freud, sur le désir de grossesse des hommes. Elle explique son intérêt pour le sujet et surtout le choix de la forme par une réaction aux tendances dominantes de l'époque et par un désir de revenir à ses racines dramatiques : "Le théâtre s'enfonçait alors dans le réalisme et j'en avais marre. Je suis issue de l'absurde, du surréalisme et ce texte, c'était une réaction à ça."
#inclassable
Suivront deux autres pièces, Le Salon d'été (1998), pièce musicale qui met en scène des quartettes vocaux à plusieurs époques, puis Le Théâtre de verdure (1999), texte d'inspiration poétique dans la veine de Moi un homme.... Mais pour Coline Serreau, la scène, ce n'est pas que le théâtre. Formée au trapèze à l’École du Cirque d'Annie Fratellini, Coline Serreau a présidé l'Académie Fratellini et publié avec Charlotte Erlih, l'ouvrage L'académie Fratellini - Le cirque de plain-pied chez Actes Sud. Elle est aussi directrice d'un choeur et a mis en scène des opéras et des opérettes à l'Opéra Bastille dont La Chauve-Souris de Johann Strauss fils, Le Barbier de Séville de Rossini et Manon de Jules Massenet.
Un numéro de Mots en scène est bien sûr trop court pour embrasser d'un coup d'un seul l'oeuvre d'une autrice aussi protéiforme et prolixe. Généreuse, Coline Serreau s'est racontée plus longuement encore, seule sur les planches, dans son dernier spectacle intitulé #Coline Serreau qu'elle a d'abord joué au printemps dernier à Lyon au Théâtre de la Comédie Odéon puis à Paris au Rond-Point à l'automne. Un seule-en-scène interactif dans lequel elle explorait à la demande du public des thèmes variés sous la forme d'extraits vidéo, de confidences, d'improvisations.... Un livre #colineserreau paru en octobre chez Actes Sud, est venu parachever l'expérience, ouvrage dans lequel elle passe là encore d'une forme d'expression et d'un sujet à l'autre. Les cases, très peu pour elle.