Mondialisation et droit d'auteur en débat à Séries Mania
A l’occasion du Festival Séries Mania à Lille, la SACD a organisé un débat autour du thème « Droit d’auteur et diversité culturelle à l’heure du marché global ».De gauche à droite : Tony Grisoni, Séverine Jacquet, Doreen Boonekamp, Pascal Rogard, Nicolas Curien
Comme point de départ aux échanges, une conviction partagée par les différents intervenants : le monde de la fiction a vécu deux changements majeurs avec l’avènement des séries et la révolution numérique. Dans ce nouvel environnement, l’avenir de la régulation, du soutien à la création, de la rémunération des auteurs est central.
Doreen Boonekamp, directrice générale de Nederlands Filmfonds, le CNC hollandais, a insisté sur les évolutions profondes de l’économie du cinéma et de l’audiovisuel dans son pays. D’une part, le nombre de coproductions a massivement augmenté ces dernières années ; d’autre part, il y a eu un transfert massif du soutien vers la série. Face à ces évolutions, elle a plaidé pour la mise en place d’un nouvel écosystème afin de conserver à la fois la diversité de la création et une politique qui soutienne autant la création que la diffusion. A ce jour, Netflix ne participe pas ni ne contribue aux fonds nationaux d’aide à la création dans son pays. Mais, Doreen Boonekamp espère un changement prochain. D’ores et déjà, elle s’est réjouie de deux décisions récentes prises par l’Europe et qui pourront être des coups de pouce utiles.
La Commission européenne vient en effet de présenter un projet de budget 2020-2026 qui augmentera de manière très forte les crédits du programme MEDIA et qui se situera à hauteur d’1,2 milliards d’euros. Par ailleurs, les institutions européennes viennent d’adopter la directive sur les services de médias audiovisuels, une directive qui va permettre d’ancrer les obligations de diffusion et d’investissement dans la création dans l’ère numérique.
Même satisfaction du côté de Nicolas Curien, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel français, qui voit dans cette nouvelle directive un accord sans précédent et inespéré. L’association des régulations européens de l’audiovisuel a soutenu un certain nombre de dispositions finalement adoptées par les institutions européennes : mise en place d’un quota minimum de 30% d’œuvres européennes sur les plateformes numériques ; obligations d’investissement dans la création versées dans les pays où les plateformes exercent leurs activités ; extension des principes clés de la régulation audiovisuelle aux services numériques…
Pour préparer l’avenir, le CSA a lancé un CSA Lab chargé de réfléchir au paysage audiovisuel et numérique de demain. Pour Nicolas Curien, une chose est certaine : la création de qualité doit être au centre du dispositif, tout en ajoutant que la situation des auteurs était une préoccupation forte du régulateur. Penser l’avenir, c’est aussi rééquilibrer les contraintes qui peuvent exister pour les opérateurs historiques et intégrer les nouveaux opérateurs du numérique. C’est aussi anticiper l’arrivée d’un monde fait d’hybridation des contenus, de réalité virtuelle, d’intelligence artificielle et de délinéarisation de la chaîne de valeurs.
Envies et inquiétudes des créateurs
Les créateurs étaient aussi présents dans ce débat. Tony Grisoni, scénariste anglais, a partagé avec le public des inquiétudes, des envies et des joies. Du côté des inquiétudes, il a pointé le risque qu’avec la globalisation, les diffuseurs, parfois centrés sur les audiences, aient moins envie de prendre des risques et notamment d’investir dans des projets qui sont des drames et qui peuvent être très spécifiques. Pourtant, les projets spécifiques sont aussi ceux qui peuvent rencontrer de grands succès en voyageant. Du côté des envies, Tony Grisoni aimerait renouer avec les séries très longues comme pouvait le faire la BBC dans les années 70 avec des séries de 70 à 80 épisodes. Enfin du côté, des joies, il retient l’enthousiasme du public d’Amiens à qui il a pu montrer les deux premiers épisodes de sa série, The City & The City, un enthousiasme qu’il n’aurait peut-être pas pu trouver ailleurs qu’en France.
Séverine Jacquet a beaucoup apprécié l’organisation de la phase d’écriture aux USA, qu’il s’agisse de l’organisation des writers' rooms, de la répartition précise des postes ou de la définition des fonctions. Pour elle, cela tient autant aux conventions collectives des scénaristes aux USA qu’à la culture américaine qui tient à donner le meilleur spectacle possible au spectateur.
Alors qu’aux USA, l’auteur est centre, en France, c’est plutôt le producteur qui occupe la place centrale. C’est d’ailleurs pour elle une frustration car n’être qu’auteur en France ne permet pas d’avoir la garantie de l’intégrité artistique de l’œuvre. Aujourd’hui, le seul moyen reste de rentrer à la table des producteurs.
Sortir du flou artistique
L’heure est venue de changer la donner pour permettre un meilleur partage des valeurs mais aussi de la valeur créée par la série. En sortant du flou artistique actuel, cela permettrait de favoriser de nouveaux rapports et de créer les conditions pour que les auteurs se sentent pleinement en confiance et donnent tout sur le plan artistique.
Pour rééquilibrer les relations auteurs-producteurs, Pascal Rogard, directeur général de la SACD, qui a animé ce débat, a rappelé l’urgence à instaurer dans la directive sur le droit d’auteur en cours de discussion à Bruxelles un droit à rémunération proportionnelle pour les scénaristes et les réalisateurs partout en Europe quand leurs œuvres sont exploitées sur les plateformes numériques. Ce serait un progrès social indispensable pour que le développement numérique ne laisse pas les auteurs au bord du chemin.
L’autre avancée qui pourrait être faite dans la directive serait également de prévoir que les plateformes délivrent aux ayants droit les informations précises sur l’exploitation de leurs œuvres.