Michel Orier : « Les artistes et les auteurs ont besoin d’être protégés »
Le directeur général de la création artistique était l’invité de la SACD, le 6 octobre. Il a évoqué le projet de loi sur la création et les questions budgétaires avant d’échanger avec les auteurs sur la parité femme/homme, la diversité et la politique des Drac.La loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine a été votée en première lecture, à l’Assemblée nationale, l’après-midi même de la venue de Michel Orier à la SACD. Soit deux ans après sa première invitation à la SACD, où il avait détaillé le projet de loi. Michel Orier s’est félicité de ce vote mais aussi des débats à l’Assemblée qu’il a trouvé « relativement consensuels ». Il a également loué l’action de la SACD sur ce texte, notamment pour la définition des notions d’auteur et de francophonie.
Trois articles lui semblent particulièrement importants. Première avancée : l’article 1 qui stipule que « la création artistique est libre » et qui va permettre d’inscrire la création dans les libertés fondamentales. « La société est aujourd’hui beaucoup moins tolérante qu’il y a 20 ou 30 ans. Les artistes et les auteurs sont dans une situation beaucoup plus tendue et ont besoin d’être protégés. Le premier vice-président du Conseil d’Etat, Jean-Marc Sauvé, nous a d’ailleurs dit qu’il y aurait de la jurisprudence sur cet article avant un an », a souligné Michel Orier.
Deuxième avancée : la mise en place d’une billetterie centralisée, qui nécessitait une disposition législative. Michel Orier avait été frappé à son arrivée au ministère, il y a 3 ans, par l’absence de données sur la fréquentation du théâtre en France, contrairement au cinéma, où le chiffre est connu à l’entrée près. « On peut faire des agrégats, mais il y aura toujours des trous. Or quand on élabore des politiques publiques, la question de l’observation est essentielle ».
Enfin, l’article sur les pratiques amateurs a nécessité deux ans de concertation. « Il fallait à la fois protéger une profession d’une éventuelle concurrence déloyale des amateurs, et libérer la pratique amateur de l’illégalité. Aujourd’hui, si un amateur qui se produit sur scène, fait de la publicité, utilise du matériel professionnel et/ou met en place une billetterie, il peut être produit en justice pour travail illégal ». Michel Orier espère que cet article va aussi contribuer à atténuer la césure entre pratique amateur et pratique professionnelle, et permettre de démocratiser et d’élargir les publics. Un décret, pour lequel la concertation est en cours, doit fixer le nombre maximum de représentations, par lieu et par spectacle pour les spectacles mêlant des amateurs aux professionnels dans un cadre lucratif.
Quel soutien pour les compagnies ?
Deuxième sujet lancé par Pascal Rogard : l’état de santé des compagnies indépendantes, très affectées par les coupes budgétaires. Sur ce point, Michel Orier distingue le budget du ministère de la Culture, qui est conforté, et les crédits des collectivités territoriales, qui sont en baisse. Au sein du budget du ministère de la Culture, 15M€ de mesures nouvelles seront en 2016, alloués à la création, dont 13M€ au spectacle vivant (2M€ seront dédiés aux arts plastiques) ; sur ces 13 M€, 8 M€ sont spécifiquement fléchés sur les compagnies. Selon Michel Orier, cela va permettre de respecter le seuil de conventionnement des compagnies (actuellement 50 000€ en théâtre et 80 000€ en danse) et de relever ainsi les aides aux projets. Le directeur de la création artistique a d’ailleurs demandé aux Drac de faire en sorte que cette aide ne soit pas inférieure à 10 000€ par compagnie. « Nous voulons éviter que les compagnies s’appuient sur les annexes 8 et 10 pour monter des projets. Si une Drac a envie d’aider une compagnie, il faut que ce soit professionnalisant en termes d’emplois et de contrats».
En ce qui concerne les collectivités territoriales, les dotations sont en baisse de 11 milliards sur 3 ans. Les crédits des collectivités alloués aux compagnies et institutions en partenariat avec l’Etat sont en baisse de 2,7% cette année. Une première depuis 1977 ! Ce sont surtout les institutions qui dévissent : - 1M€ à l’opéra de Bordeaux (-3M€ sur 3 ans), - 260 000€ au Théâtre national de Toulouse, - 300 000€ à la Maison de la culture de Chambéry. « Gauche et droite ? » a demandé Pascal Rogard. « Les grandes coupes sont plutôt à droite, mais cela ne signifie pas que la gauche ne coupe pas. Dans mon tableur, j’ai également des communes de gauche qui descendent ».
Michel Orier précise que les compagnies sont moins touchées car elles sont principalement aidées par l’Etat. Une auteure fait toutefois remarquer que lorsque les budgets des institutions baissent, ils impactent directement les compagnies.
Parité : « la photo et le mouvement »
Premier sujet pour la séance de questions : la parité, déjà au cœur des débats il y a deux ans. La présidente de la SACD, Sophie Deschamps, souligne que rien n’a bougé depuis, comme en témoigne la 4e édition de la brochure « Où sont les femmes ? ».
Pour Michel Orier, toutefois, « il y a la photo et le mouvement », et selon lui les choses progressent. « Quand je suis arrivé, les gens ne bougeaient jamais et quand on les remplaçait, on les remplaçait par des hommes. On a constitué des jurys paritaires, et des short lists avec deux hommes et deux femmes ; on l’a fait sur les CDN, les centres chorégraphiques nationaux, les scènes nationales, on l’a fait partout où l’Etat est associé au processus de nomination. Le résultat est assez inégal selon les labels, mais sur la totalité, 38% des nominations sont des nominations de femmes. »
Une auteure dans la salle souligne qu’aucune femme ne dirige un théâtre national et qu’il faudrait 100% de nominations féminines pour rattraper le retard. Michel Orier explique alors à quel point il est déjà difficile de faire respecter la règle de l’égalité de traitement. « Autour de la table, il y a toujours 3 ou 4 institutions publiques, qui viennent chacune avec des noms. On a déjà du mal à limiter à 4, mais quand on dit 2 hommes et 2 femmes, c’est encore plus compliqué. Parfois, je sors du jury en disant c’est la ministre qui tranchera. On a parfois réussi à rattraper des candidatures féminines, mais on a eu aussi le cas inverse avec un blocus qu’on n’a pas réussi à dénouer, alors que le meilleur candidat était une candidate ».
Au-delà des nominations, les auteurs souhaitent aussi voir augmenter le pourcentage de femmes auteures et metteuses en scène jouées. Sophie Deschamps s’inquiète de savoir ce qu’est devenue la résolution de la ministre d’instaurer des indicateurs avec une progression obligatoire de 5% par an pendant 3 ans. « C’est en cours. Ce sont des objectifs qu’on doit inscrire dans les conventions avec les établissements, on le fera à chaque nouvelle signature de convention. Mais il faudra un peu de temps pour voir les résultats », souligne Michel Orier. Selon lui, le travail de la SACD allié à celui du ministère, de HF, de la Barbe, fait que la question des femmes a pris de l’ampleur et progresse. La salle ne semble pas convaincue…
Une auteure demande à ce qu’il y ait des objectifs avec des mesures coercitives. « A titre personnel, je suis favorable à une part variable sur les subventions, mais il faut faire attention car avec les difficultés budgétaires, ça peut être une excuse pour sabrer dans les subventions », met en garde Michel Orier. Une autre proposition retient son attention : l’anonymat des candidatures au CNT pour l’aide aux projets.
En revanche, il n’est pas favorable à l’idée d’examiner le contenu même des pièces jouées (à savoir s’il est « féministe » ou non) et souligne que « la liberté de programmation est un principe intangible ».
Les Drac, sujet houleux
Au-delà de la parité, Michel Orier souligne que la diversité fait aussi défaut au théâtre français, très « wasp ». Alain Foix, dramaturge et metteur en scène, confirme, tout en soulignant qu’il n’a eu aucun soutien du ministère. « J’ai postulé plusieurs fois, non pas en tant que mâle, noir et antillais, mais en tant qu’individu porteur d’un projet, et j’ai été plusieurs fois victime d’injustices. A l’Aéronef de Lille, j’ai eu 3 voix pour moi, - la Drac, la région, et le département -, mais la Drac m’a dit que la ville de Lille ne voulait pas « quelqu’un comme [moi] », et l’Etat s’est couché. A la Maison de la culture de Bourges, j’étais dans la short list, et pourtant je n’ai jamais été convoqué, ce qui est la règle, pour présenter oralement mon projet ».
Michel Orier dit vouloir mener le même travail sur la diversité que sur la parité. « On a commencé avec l’accès aux écoles supérieures de formation d’artistes, en modifiant les concours d’entrée. Mais il y a aussi un problème d’appétence, le problème est en amont des écoles ».
Pour Bernard Bloch, acteur, auteur et metteur en scène, « ces conversations sont hors sol par rapport à l’état mental et idéologique du pays, dans lequel deux régions sont susceptibles de passer au FN, et qui montre une frilosité insupportable à des gens qui sont en train de crever à nos portes ». « Raison de plus pour que le théâtre soit irréprochable » a répondu Michel Orier.
Une auteure souligne que cette irréprochabilité politique doit aussi être menée par la Drac. « Aujourd’hui, on ne l’entend pas quand il y a des déprogrammations politiques. La Drac n’a aucune politique : ni en faveur d’un théâtre citoyen, ni en direction des publics, ni autour de l’éducation artistique, ni auprès des compagnies qui font un travail sur le territoire ».
L’intervention déclenche de nombreux commentaires critiques à l’égard des DRAC. Michel Orier demande si ce sentiment tient à la composition des comités d’experts. Il propose alors d’organiser une rencontre à la SACD avec des conseillers Drac. Pascal Rogard note l’idée, tout en soulignant qu’il faudra un modérateur.
Béatrice de Mondenard