Marie Guillaumond-Tenet : « TF1 ne s’interdit rien »
La nouvelle Directrice artistique de la fiction française de TF1 est venue à la rencontre des auteurs de la SACD le 10 février pour évoquer la ligne éditoriale de la chaîne et la façon dont elle travaille avec les auteurs et les producteurs.Avec 18 fictions françaises présentes dans le top 100 des audiences de 2014 (contre 9 l’année précédente), le contexte est plutôt favorable pour une nouvelle rencontre avec la direction artistique de TF1. Sa nouvelle responsable, Marie Guillaumond-Tenet, diplômée de Sciences-Po Paris, a été journaliste à Capa, France 2 et TF1, avant de rejoindre Alma comme productrice en 2005. Elle a fait ses débuts à la fiction de la première chaîne en 2009, a chapeauté l’ensemble des séries policières avant d’être nommée directrice artistique à la rentrée 2014. Pour cette rencontre, elle est venue accompagnée d’une partie de son équipe : Thomas Boullé (Section de recherches, Mes chers voisins), Michel Catz (Une chance de trop, Peps), Sabine Barthélémy (Les disparues du lac, Tu es mon fils) et Stéphane Eveillard, chargé des finances.
TF1 a l’obligation d’investir 12,5% de son chiffre d’affaires dans la fiction française, soit le budget le plus important des chaînes hertziennes. La projection de bandes annonces en introduction de la rencontre illustre l’évolution de la ligne éditoriale de la chaîne : de nouveaux projets prêts pour la diffusion comme l’unitaire Tu es mon fils et Presque parfaites, une série de comédie (4X26’), ou des projets en tournage comme Les disparues du lac, Une chance de trop, et Le Secret d’Elise, trois mini-séries de 6X52’.
Diversité des projets
Marie Guillaumond-Tenet évoque en premier lieu l’ouverture dont fait preuve la direction artistique : « Nous luttons contre les idées reçues sur ce que nous cherchons. Proposez tout ce qui vous semble intéressant, on ne s’interdit rien. » Par exemple la chaîne tente le fantastique avec Le Secret d’Elise, série sur trois époques parallèles reliées par le fantôme d’une petite fille. « La qualité de notre offre réside d’abord dans sa diversité : développer tous les genres et tous les formats pour être performants ». Mais le point commun éditorial reste « un lien fort avec notre société ». Si TF1 semblait avoir perdu ce lien avec le monde et son public ces dernières années, la fiction s’en rapproche aujourd’hui.
La chaîne reçoit vingt projets de fiction par semaine environ, soit entre 800 et 1000 par an. Les conseillers se réunissent chaque vendredi : chaque projet est lu par deux conseillers qui proposent ensuite aux autres ceux qui leur paraissent intéressants. La réponse au producteur prend entre deux et trois mois. Sur ces 1000 projets reçus, 30 environ partent en développement. Combien sont produits ? « Sur 70 cases inédites chaque année, les nouveaux projets occupent une quinzaine de cases » évalue Stéphane Eveillard.
Producteurs et auteurs
La chaîne préfère que les auteurs passent par des producteurs pour présenter leurs projets, plutôt qu’en solo. « Ce n’est pas à nous de décider quel producteur peut conduire ou non un projet. » En revanche les conseillers soulignent être en contact direct avec les auteurs pendant la phase de développement, « main dans la main, en dialogue constant ». Là où certains auteurs parlent d’interventionnisme, Marie Guillaumond-Tenet préfère les termes d’exigence et de collaboration harmonieuse. Elle souligne aussi la volonté d’aller plus vite vers une première version dialoguée pour juger plus facilement la pertinence des projets. « Nous souffrons aussi de la lenteur des processus. »
Un réalisateur demande comment la chaîne intervient avec les réalisateurs et à quel moment ? A priori la chaîne aime que le réalisateur intervienne le plus tôt possible, avant la fin de l’écriture et accompagne son film jusqu’au bout. Mais les situations varient en fonction des projets, des formats, et des saisons de séries. « La grande difficulté réside dans les séries de 52 minutes où les réalisateurs se succèdent.» De même, quand on lui demande pourquoi les réalisatrices sont peu nombreuses à travailler, Marie Guillaumond-Tenet acquiesce : « Il n’y en a pas assez à mon goût, mais c’est à elles d’approcher les producteurs avec qui elles ont envie de travailler. »
Sur l’année écoulée TF1 a travaillé avec de nouveaux producteurs comme Scarlett pour Presque parfaites, Sydney Gallonde (VAB) pour Une chance de trop, Jean-Benoît Gillig (Léonis) pour L’Emprise, Autentik pour le développement de Sam, adaptation d’une série danoise, ou encore Iris Bucher (Quad) pour Le secret d’Elise et Elephant pour Les disparues du lac.
La comédie, un genre difficile
« Comme tout le monde, nous avons du mal avec la comédie, reconnaît Marie Guillaumond-Tenet. C’est un genre très difficile à écrire, qui fait partie de nos préoccupations : on cherche de la comédie pertinente, sensible et sincère, qui ait du sens. » Elle cite la série Presque parfaites, produite par Scarlett, adaptation de la série israélienne à succès Little Mom. Les quatre premiers épisodes tournés, montrés à Luchon, ne sont pas encore diffusés : « C’est drôle, moderne et contemporain, avec des problématiques féminines universelles. Aujourd’hui le 26 minutes en prime time fait un peu peur à l’antenne. Mais en une soirée, on sait si ça marche. »
A un auteur qui demande quelle est la proportion des adaptations par rapport aux créations, Marie Guillaumond-Tenet répond que « TF1 reçoit davantage de propositions d’adaptations qu’avant. Mais cela reste un travail important pour les auteurs : le diffuseur pense gagner du temps, mais pour moi cela relève aussi de la création originale. » Ainsi Le secret d’Elise est une adaptation de Marchlands, série produite par la Fox en 5 épisodes, qu’il a fallu transformer pour la France, notamment en créant un sixième épisode.
Diversité de formats
Des séries très installées comme Camping Paradis ou Section de recherches permettent de tenter d’autres genres. Côté formats, la fiction de TF1 cherche aussi des séries de 52 minutes bouclées, des diffusions événementielles sur trois soirées, « Le tout 52’ n’est pas une obligation. » La stratégie de renouvellement de l’image de la chaîne consiste à installer et consolider les marques qui marchent, pour prendre des risques à côté. Quant au format court, la présence de Peps et de Nos chers voisins, en diffusion alternée, ne laisse plus de place à ce format, à part éventuellement sur les autres chaînes du groupe. De même, il n’y a pas de place pour de nouvelles séries de 26 minutes hors prime time.
Unitaires et mini-séries
L’Emprise, unitaire de Claude-Michel Rome, portrait d’une femme battue, a été un sujet difficile à imposer à l’antenne, car il faisait peur. Mais le succès d’audience l’a validé : « On sait qu’il est difficile d’obtenir un succès d’audience avec un unitaire, cela nécessite un sujet et un casting forts, résume Marie Guillaumond-Tenet. Une alchimie d’ailleurs encore plus difficile à obtenir en comédie. C’est notre rôle de tenter des choses et celui de l’antenne de nous éclairer sur les risques. »
Un auteur fait remarquer qu’une mini-série événementielle représente un effort important pour l’auteur, le producteur et la chaîne. « C’est dommage de ne pas pérenniser ce travail, cherchez- vous parfois une suite possible ? Ou acceptez-vous qu’un succès en reste là ? » Pour Marie Guillaumond-Tenet, la mini-série est un univers que les auteurs aiment explorer car elle permet des partis pris artistiques forts. C’est le cas des trois présentées au début de cette rencontre, qui ont en commun leur originalité. « Certaines donneront lieu à une deuxième saison. On s’est interrogé sur Une chance de trop par exemple ». L’avenir des mini-séries en développement dépendra de l’audience de celles qui sont en tournage.
L’antenne avant l’export
L’expérience récente de Taxi Brooklyn, série de TF1 tournée à New York amène un auteur à demander si d’autres projets internationaux sont prévus ; mais à ce jour, ce n’est pas le cas. A la question, est ce que le potentiel à l’export d’un projet de fiction française est pris en compte au moment du développement ? Marie Guillaumond-Tenet répond : « Ma préoccupation première c’est le prime time, avant l’international », en citant le projet Une chance de trop d’après Harlan Coben, pour lequel le potentiel à l’export a été pris en compte très tôt, en particulier sur le casting. Mais c’est le choix de l’antenne française qui a été privilégié. « Pour l’international c’est le mieux disant financièrement qui l’emporte, que ce soit TF1 DA, notre filiale de distribution, ou des sociétés extérieures comme Lagardère ou NeweN. TF1 finançant 80 à 90 % du budget des projets, le prime time en France prévaut », précise Stéphane Eveillard. « Le public français est plus important que les ventes à l’international » résume Pascal Rogard parce que, de toute façon, un projet qui ne marcherait pas sur l’antenne de TF1 n’aura pas de suite et a peu de chance de se vendre à l’international.
Avant la fin de la rencontre, deux derniers sujets sont évoqués. D’abord la création sur le web : la stratégie sur le web ne dépend pas du service de la fiction et consiste surtout à accompagner la diffusion de projets via des promotions et bonus, les liens avec les réseaux sociaux et Twitter. Mais aujourd’hui il n’y a pas de création en tant que telle sur le web de TF1. Puis la place des héroïnes féminines dans les fictions. Un auteur fait remarquer que les bandes annonces présentées mettaient en scène des héros très féminins, quand un autre souligne que ces héroïnes sont souvent mortes, en deuil ou disparues ! « C’est plutôt le hasard qu’une volonté. Il y a aussi à l’antenne des séries comme Falco, No limit et des séries polars en développement qui impliquent des héros des deux sexes. Les séries comme Joséphine et Camping marchent sur le public des femmes et enfants, tandis que No limit et Profilage sont sur un public plus jeune. Mais c’est certain, la fiction française de TF1 cherche des héroïnes féminines. » Qu’on se le dise.
Pascal Rogard conclut cette rencontre en soulignant ce renouvellement d’image et en rappelant que du succès de la fiction française de TF1 dépend le succès de la fiction française en général…
Valérie Ganne