Rencontre 14 oct 2016

Marie Guillaumond : « Nous avons une approche instinctive »

La directrice artistique de la fiction française de TF1 est venue dialoguer avec les auteurs de la SACD, le 26 septembre. Elle a évoqué la grande liberté de l’unité dans le choix des sujets et des histoires et a insisté sur la volonté de la chaîne de mieux rentabiliser la fiction.

Marie Guillaumond et Jacques Fausten

Marie Guillaumond était déjà venue deux fois à la SACD, en février 2013, en tant que directrice adjointe de la fiction française de TF1 et en février 2015 comme directrice de l’unité. Accompagnée d’une partie de son équipe - Estelle Boutière, Michel Catz, Céline François, Paloma Martin y Prada et Daniel Sicard - , elle s’est dit très heureuse de cette nouvelle invitation, car c’est « avec les auteurs que tout commence ».

Une fois n’est pas coutume, Jacques Fansten, président de la SACD, animait la rencontre, en lieu et place du directeur général, Pascal Rogard. Il avait préparé des questions très concrètes tant sur le volet éditorial que sur les relations de travail. Mais avant de les aborder une à une, il a simplement demandé : « Où en est la fiction à TF1? » « Elle se porte mieux que jamais, nous avons des audiences en hausse, à une époque où on assiste plutôt à un effritement. C’est encourageant parce qu’on est dans l’expérimentation », a répondu Marie Guillaumond. « Nous ne faisions plus d’unitaires et nous avons fait des cartons avec des sujets difficiles et forts comme L’Emprise, Ce soir je vais tuer l’assassin de mon fils et Après moi le bonheur. Autre élément très marquant de l’année dernière: le succès des mini-séries, avec des histoires très feuilletonnantes  comme Une chance de trop, Le secret d’Elise, ou Le Mystère du lac. »

Sur le « chantier des séries bouclées », l’heure de vérité approche, puisque TF1 met ou va mettre à l'antenne quatre nouvelles séries : Emma, sur une femme androïde qui collabore avec la police, Munch, une série judiciaire avec Isabelle Nanty et Lucien Jean-Baptiste, Prof T une série construite autour d’un professeur en criminologie, et enfin Louis(e), actuellement en tournage, sur un transgenre. En termes de volume, TF1 a énormément développé depuis 2 ans, et est encore « à flux tendus pour alimenter la grille ». Marie Guillaumond pense que le retard sera rattrapé d’ici l’été, et la chaîne aura alors de nouveau un peu de marge.

Une grande ouverture sur les histoires et les personnages

Avec Emma, l’androïde, et Louis(e), le transgenre, Marie Guillaumond a confirmé ce qu’elle disait en février 2015 : « TF1 ne s’interdit rien. » 

Autre déclaration, rappelée par Jacques Fansten : la volonté de TF1 de renouer avec le monde réel. A ce sujet, Marie Guillaumond dit avoir accompli un travail sur toutes les séries, y compris les séries existantes. « La force de la fiction française est d’être un miroir fort. On travaille beaucoup sur l’identification, l’empathie. Pour cela, il faut être sincère dans les émotions et crédible dans ce qu’on raconte. »

Marie Guillaumond est avant tout en quête de « beaux projets ». Même sur les héroïnes qu’elle disait rechercher il y a 18 mois, elle a dit ne pas privilégier particulièrement les femmes aux hommes. « Nous avons une approche plus instinctive », a-t-elle indiqué. Concernant les unitaires, toutefois, le caractère événementiel est de rigueur : cela peut être à travers le casting (comme Coup de foudre à Jaipur, qui réunit Lucie Lucas et Rayanne Bensetti) ou le sujet (une jeune trisomique qui passe le Bac).

Pour autant, « la prise de risque sur les histoires s’accompagne d’une grande exigence dans la manière de raconter ». « Interventionnisme ? » a demandé Jacques Fansten, soulignant ce reproche des auteurs sous l’ère Takis Candilis (1999-2008). « C’est à vous de le dire », a répondu Marie Guillaumond. « Nous ne sommes pas là pour dire aux auteurs ce qu’il faut écrire mais pour les aider à raconter au mieux l’histoire qu’ils ont envie de raconter pour l’antenne de TF1, dont on connaît un peu le public. Les conseillers de programmes sont des lecteurs rigoureux et pointus. Je crois que les auteurs sont satisfaits des échanges. C’est aussi parce qu’on a cette qualité de relation qu’on peut prendre des risques dans les histoires, les sujets, les genres. »

Quel lien entre les auteurs et les diffuseurs ?

Se faisant l’écho d’une demande récurrente des auteurs, Jacques Fansten a demandé s’il était possible d’avoir un lien direct avec la chaîne afin de proposer des choses qui ne passent pas les différents filtres, par peur ou anticipation d’un refus. « C’est compliqué » a répondu Marie Guillaumond. « Il y a bien sûr des affinités entre les conseillers de programme et les auteurs, mais on ne peut pas travailler en direct. Imaginons qu’un projet nous intéresse, à quel producteur va-t-on s’adresser ? Par ailleurs, cela revient à considérer que le producteur est un obstacle ou qu’il ne serait pas au fait de ce qui peut nous intéresser. » Selon elle, il faut envisager les choses différemment  et « travailler la relation auteur-producteur et producteur-diffuseur afin que le producteur soit en capacité de prendre des risques et d’accompagner un auteur en développement et en capacité de relayer les demandes d’un diffuseur ».

Formats, développement, pilotes et fidélité

Sur le sujet sensible de l’adaptation de séries étrangères, Marie Guillaumond a indiqué : « Nous n’avons pas de politique d’adaptation mais nous sommes pragmatiques ; les formats circulent énormément, il y a des séries excellentes à l’étranger, et quand le format est bon, c’est tentant d’y aller. Ce n’est pas le même exercice que la création originale pure, mais certains projets laissent aussi une grande liberté aux auteurs. Je pense notamment au Secret d’Elise, ou à Sam. » Répondant à une question d’une scénariste, elle a aussi souligné que l’idée émanait toujours d’un producteur, et jamais de la chaîne.

Marie Guillaumond ne connaît pas le chiffre exact des projets développés et abandonnés, mais l’estime aux alentours de 20 à 30%. « On prend beaucoup de soin à la sélection des projets, et quand on s’engage, on a envie d’aller jusqu’au bout. » La chaine essaie de ne plus s’arrêter sur une n-ième version de traitement mais d’aller jusqu’à la version dialoguée pour que l’auteur puisse aller au bout de son travail et éviter les incompréhensions.

Quant à la question de l’arrivée du réalisateur, la directrice artistique a dit ne pas avoir d’avis tranché: «  J’ai tendance à dire le plus tôt possible pour les nouvelles créations, à condition que chacun garde son rôle, mais cela dépend aussi des projets. Ce qui nous importe c’est que chacun s’entende au mieux pour livrer le meilleur projet possible. »

Enfin, la méthode pour les séries bouclées est de tester un double pilote (2 x 52’). Si la décision de poursuivre la production dépend de la réception par le public, la suite de l’écriture est lancée dès le tournage des pilotes. « Cela permet en cas de succès de partir en production rapidement et d’être en mesure de proposer la série, un an après. Cela nous permet aussi de fidéliser les auteurs. On sait que les séries qui fonctionnent le sont avec des auteurs investis aux manettes ; et une manière d’avoir des auteurs investis c’est de nous engager sur la durée et de prendre le risque de cette écriture. »

Le grand enjeu : la rentabilité de la fiction

La thématique récurrente de cette rencontre fut sans conteste « la rentabilité de la fiction », soulignée à plusieurs reprises comme le grand chantier en cours. « Si on veut continuer à mettre de la fiction dans les volumes que l’on souhaite il faut qu’on puisse se la payer », a notamment déclaré Marie Guillaumond. 

En effet, les séries procédurales bouclées, « le modèle le plus rentable », ont moins la cote, tandis que les mini-séries feuilletonnantes, très prisées du public et des auteurs, seraient « beaucoup moins rentables, proches du modèle de l’unitaire, pas très rediffusables et avec un casting cher ».

La chaîne explore donc toutes les voies pour mieux rentabiliser la fiction : l’exploitation des séries de TF1 sur les chaines du groupe en 2e ou 3e fenêtre, le replay, l’export, l’implication des nouveaux entrants (Netflix, Amazon…) dans le financement, la vente de diffusions en amont, comme avec la série Marseille…

TF1 cherche aussi à capitaliser sur ses mini-séries. A défaut de suite, elle a lancé un « spin-off» du Mystère du lac avec 3 personnages (Le tueur du lac)

Et adapte un autre roman de Harlan Coben, l’auteur du livre et de la série éponyme, Une chance de trop.

S’agissant de l’exploitation sur les différents supports de diffusion, Marie Guillaumond a donné l’exemple de La vengeance aux yeux clairs. L’intégralité de la série a été proposée en téléchargement payant pour 9,90€ le jour de la diffusion. Le premier épisode avait été proposé cinq jours avant en gratuit sur mytf1, et la première soirée a été rediffusée le lendemain sur HD1. Au total, 8,3 millions de personnes ont vu le 1er épisode - dont 6,8 millions sur l’antenne de TF1, qui reste la première cible visée.

Enfin, la chaîne s’intéresse aussi aux séries de 26’, même si les 4 épisodes de Presque parfaites, terminés il y a plus d’un an, n’ont toujours pas trouvé leur place à l’antenne: « On y viendra sans doute car c’est le format de la comédie et c’est une manière de faire du bouclé rediffusable. » TF1 est aussi preneuse de séries à coûts maîtrisés. « On ne réussira que si on a une fiction variée, à la fois dans les genres, les histoires, les formats mais aussi dans les budgets. Il faut à la fois développer une fiction moins chère et savoir payer plus cher pour des séries de prestige et d’image. »   

Béatrice de Mondenard