Maria et André Jacquemetton : « Les projets de série infructueux sont plus nombreux que ceux qui voient le jour »
Les deux scénaristes et producteurs américains (Mad Men, The Romanoffs) donnaient le 24 mars 2019 une masterclass dans le cadre du Forum Séries Mania, à l'invitation de la SACD.Olivier Joyard, Maria et André Jacquemetton
Invités du Forum professionnel du festival Séries Mania Forum, les scénaristes Maria et André Jacquemetton ont présenté leur travail à un public majoritairement composé d'étudiants en audiovisuel invités par la SACD. Ils répondaient aux questions du journaliste Olivier Joyard (Les Inrocks). La série qui leur a vraiment permis de se faire un nom, c'est bien sûr Mad Men, à laquelle ils ont consacré plusieurs années. Mais ils ont également coécrit et produit ensemble de nombreux épisodes d'autres séries, chapeauté de grosses productions et développé de nombreux projets y compris à l'international dont celui qui allait devenir Versailles sur Canal+.
Des plages d'Hawaï à l'espace
Avant de devenir des plumes ultra-courtisées par les studios et diffuseurs du monde entier, leur parcours à tous deux fut extrêmement classique. Il a débuté pour elle par un tutorat de scénario décroché sur concours chez ABC et pour lui par un premier job de relecteur de scripts de films chez Paramount Pictures ("J'y ai vu qu'ils avaient à l'époque fait l'impasse sur Le Parrain et je me suis donné dès lors pour mantra : dans ce métier, les certitudes ne valent rien"). C'est à Paramount, qu'elle rejoint bientôt, qu'ils se rencontrent et nouent un partenariat de travail fructueux qui, disent-il en plaisantant, est la seule source occasionnelle de tensions dans leur couple. "Ecrire à quatre mains, c'est soulever et résoudre des conflits, alors on s'engueule, mais c'est toujours constructif, on a l'habitude et je dirais même que c'est notre petit secret pour durer", s'amuse André. "Par contre, travailler à des bureaux qui se font face, ça non, il ne faut jamais l'accepter" ajoute Maria, catégorique.
A l'origine tous deux se destinaient à l'écriture de films. C'est par un concours de circonstances et une opportunité saisie à la volée qu'ils se retrouvent à travailler sur leur première série, L'Immortelle, coproduction internationale dérivée de la série Highlander qui recherche des auteurs étrangers et où la double nationalité d'André (né en France, à Lyon) leur sert de sésame. On leur confie ensuite davantage de responsabilités comme staff writers sur une autre série dérivée, mais beaucoup plus regardée celle-là, Baywatch Hawaï. Puis ils rejoignent la writing room du blockbuster télé Star Trek Enterprise.
"Mad Men, une série de showrunner"
C'est à cette époque qu'ils prennent l'habitude de se retrouver avec d'autres scénaristes travaillant sur les plateaux environnants pour partager leurs expériences. Ils font la connaissance d'un certain Matthew Weiner, alors embauché sur la sitcom Becker, qui leur soumet son script pour un projet de série sur des publicitaires new-yorkais dans les années 60. Enthousiastes, les Jacquemetton font tout de suite part de leur envie de travailler sur le projet. Cinq ans seront nécessaires à Weiner pour trouver acquéreur. André et Maria Jacquemetton intègrent la writing room de Mad Men. Une salle d'"écriture au fonctionnement singulier : "Je ne me souviens plus de la proportion de scripts que Matthew a fini par co-signer mais ça doit être de l'ordre de 70 ou 80 %, analyse André. C'est son show, c'est une pure série de showrunner et même si ce n'est pas tout à fait ma conception, c'est comme ça que Matt fonctionne. Et en tant que staff writers, nous devions lui apporter un indéfectible soutien." Weiner a sa réputation. Qu'aucun des deux ne conteste mais que Maria a tenu à tempérer : "Dire que c'est quelqu'un avec qui il est difficile de travailler est exagéré. Il est créatif et ouvert à la collaboration mais la pression sur ses épaules est énorme." D'ailleurs, les Jacquemetton ont récemment travaillé à nouveau avec lui sur sa dernière création en date, The Romanoffs.
Développer 5 ou 6 projets de front
Entre temps, ils ont enchaîné les projets, notamment les grosses productions. Ce sont eux qui, les premiers, ont développé Versailles pour Canal+, avant qu'un accord avec un autre studio ne les contraigne à abandonner le navire en route, à contrecoeur. Pour eux, ils le disent en toute franchise à l'Américaine, proposer sans cesse de nouveaux projets est la condition sine qua none pour maintenir à flot leur carrière : "Nous sommes une entreprise et comme toutes les entreprises, nous nous devons de proposer de nouveaux produits constamment", avance André. Eux fonctionnent avec 5 ou 6 projets développés de front et l'espoir que parmi eux, au moins un trouve preneur. "Dans ce métier, les projets infructueux sont plus nombreux que ceux qui voient le jour" poursuit Maria. André et elle se font l'écho de ce que beaucoup de leurs homologues auteurs-producteurs disent aux Etats-Unis : avec tout ce travail de prototype à mettre sur pied, ils se retrouvent à avoir peu le temps de vraiment écrire.
Finis les pilotes
Interrogés sur les process de validation, les Jacquemetton parlent de vrais chamboulements apportés par Netflix qui ont un impact sur toute l'industrie. Fini le développement couteux de pilotes antérieurs à la commande d'une première saison, y compris du côté des diffuseurs historiques que sont les networks (ABC, CBS, FOX, NBC). Dans la foulée des pratiques popularisées par Netflix, les séries sont désormais signées sur script. La contrepartie, ce sont des pitches beaucoup plus détaillés, avec un travail en amont bien supérieur. "Maintenant, les pitches durent 1h30 et plus 10 minutes, il faut pouvoir présenter un pilote, une saison et des pistes pour les saisons suivantes", explique André. "Le principal, c'est de parvenir à convaincre le diffuseur que tu es le meilleur scénariste possible pour ce projet. Mais il ne faut pas se survendre non plus : tu dois être certain que ton point de départ est suffisamment costaud pour être source d'histoires sur plusieurs saisons, autrement à un moment ça risque de coincer." Des conseils reçus avec attention par le public de la salle du Nouveau Siècle qui accueillait la rencontre.
Sylvie Bailly, André et Maria Jacquemetton