L'Europe et la diversité de la création au cœur des enjeux majeurs du financement et de la diffusion du cinéma
A l'occasion du festival de Cannes, la SACD organisait le 16 mai avec le CNC un débat sur le sujet.Dans son intervention liminaire, Frédérique Bredin, présidente du CNC, a rappelé que la force du cinéma français a toujours été sa capacité à s'adapter aux mutations et aux évolutions avec pour base une idée simple qui reste d'une grande actualité : celui qui diffuse les œuvres doit contribuer au financement de la création. L'aval finance l'amont.
Les résultats de cette politique ont été très positifs : une production tres abondante dans sa diversité, une part de marché du film français pérenne et conséquente, un important parc de salles aujourd'hui totalement numérisé et une fréquentation qui demeure beaucoup plus élevé qu'ailleurs.
Parmi les enjeux qu'il faut relever, l'intégration des nouveaux acteurs du numérique et de l'Internet est sans doute le plus important. Ce constat est également partagé par Marie Masmonteil, présidente du Syndicat des producteurs indépendants, pour laquelle il faut être à la fois pragmatique et déterminé. D'une part, il faut savoir faire évoluer des régulations, notamment la chronologie des débats, qui peuvent s'avérer décalées par rapport à un monde qui change vite. D'autre part, il faut aussi être en mesure de soumettre ces nouveaux opérateurs du Net aux instruments de la politique de soutien au cinéma qui ont fait leurs preuves : obligations d'investissement dans la création ; exclusivités qui sont consenties en contrepartie des préfinancements des films.
Équité de régulation
Selon Frédérique Bredin, il faut travailler sur les faiblesses européennes qui ont pour nom : l'absence d'harmonisation fiscale qui favorise le dumping fiscal, la capacité pour les grandes entreprises de pouvoir s'exonérer de leurs obligations à l'égard de la création en s'établissant dans les pays les moins-disants. Comme exemple de ces lacunes européennes, elles a évoqué les taxes votées en France et en Allemagne sur les services de Vidéo à la demande (VaD) qui y proposent des offres, que les services soient localisés ou non sur le territoire national. Même si elle voit des motifs d'espoir, il n'en reste pas moins que ces taxes sont aujourd'hui inapplicables car non validées par la Commission européenne.
Finalement, l'idée qui doit être défendue selon elle doit être celle d'une équité de régulation. On ne peut avoir des acteurs historiques vertueux et de nouveaux entrants qui ne seraient soumis à aucune règle.
C'est la même logique que Nathalie Sonnac, conseillère au Conseil supérieur de l'audiovisuel a souhaité défendre. Le club des régulateurs européens de l'audiovisuel, l'ERGA, sous la présidence du CSA pendant 2 ans, a d'ailleurs soutenu la nécessité pour toute entreprise qui tire des revenus de la mise à disposition de contenus, dont les œuvres audiovisuelles et cinématographiques, de contribuer au financement de la création. Pour elle, deux phénomènes majeurs ont accompagné le développement de l'économie numérique : une révolution des usages avec un déploiement très significatif des services en ligne ; un rôle croissant des intermédiaires en ligne qui s'immiscent entre le programme et l'utilisateur pour venir capter une part de la valeur créée. Face à ces changements, Nathalie Sonnac souligne qu'il faut rester volontariste pour faire adopter par tous les acteurs du marché des dispositifs permettant d'assurer la promotion, la circulation et la disponibilité des œuvres. Au-delà de la régulation, elle fonde aussi ses espoirs sur la conviction que le cinéma, en payant comme en gratuit, reste un élément fort de l'attractivité des offres.
Refus de se soumettre à une logique de la demande
Pour David Kessler, directeur général d'Orange Studio, "nous sommes dans une phase complexe de transition". "L'univers que nous connaissions et dans lequel toutes les activités pouvaient être saisies au niveau national n'existe plus." Ce nouveau monde se caractérise par des pertes de valeur importantes dans le mécanisme de financement du cinéma : diminution des revenus de la publicité pour les chaînes, érosion des audiences, effondrement du marché des DVD, accroissement des contrefaçons... Selon lui, la principale difficulté réside dans la capacité - ou non - à articuler un système massif de soutien au cinéma avec la réalité de ces nouveaux géants du Net qu'il faut toutefois prendre garde à ne pas caricaturer. Pascal Rogard, directeur général de la SACD, souligne, à cet égard, que si les grandes plateformes américaines se soustraient souvent à leurs obligations en faveur de la création, elles paient aussi les droits des auteurs.
Pour David Kessler, la solution, c'est l'Europe, non seulement pour la régulation qui doit être appréhendée à ce niveau mais aussi pour favoriser l'émergence de nouveaux services et de nouvelles plateformes de vidéo à la demande européennes.
Viviane Reding, ancienne vice-présidente de la Commission européenne et députée européenne, livre une analyse assez proche. Elle a notamment fait part de ses regrets face au manque de vision politique en Europe. Initiatrice de la réforme de la directive Télévisions Sans Frontières devenue en 2007 directive sur les services de médias audiovisuels à la demande afin d'intégrer les services non-linéaires dans le champ des obligations de financement et d'exposition de la création européenne, elle considère aujourd'hui qu'on a perdu du temps. C'est pourquoi elle plaide pour une adaptation rapide des règles européennes afin que les plateformes soient soumises aux mêmes règles que les services linéaires.
Pour Delphine Ernotte-Cunci, présidente de France Télévisions, le numérique est un enjeu majeur. Face à une mondialisation des contenus qui peut faire craindre une hégémonie américaine, elle défend une stabilisation du financement du cinéma français. France Télévisions y participe d'ailleurs en investissant chaque année 60 millions d'euros dans une soixantaine de projets extrêmement divers.
L'enjeu numérique, c'est aussi de savoir s'adapter pour accompagner les nouveaux usages de la télévision. D'ici 5 ans, 50% des spectateurs regarderont la télévision en linéaire, les autres visionneront les programmes en télévision de rattrapage. C'est dire si l'absence du cinéma des offres en télévision de rattrapage, faute d'un accord avec les organisations professionnelles peut être un sujet d'inquiétude pour l'avenir. Dès la rentrée de septembre, l'audience des programmes sera calculée sur plusieurs écrans. De fait, l'inexistence du cinéma en télévision de rattrapage aura pour conséquence directe une diminution de sa part d'audience par rapport aux autres programmes. Il sera par ailleurs inaccessible pour les spectateurs qui ne regarderont plus la télévision en linéaire.
Dans les réponses qui doivent être apportées au défi du numérique, elle a dessiné plusieurs pistes : le développement de la monétisation des œuvres, via notamment l'achat à l'acte ou des offres par abonnement ; le refus de se soumettre à une logique de la demande en matière d'offre culturelle. Au contraire, pour Delphine Ernotte, la diversité de la création ne peut naître que d'une politique de l'offre.
"La base, ce sont les films"
Gérard Krawczyk, cinéaste et administrateur cinéma de la SACD, a souligné également que le public ne peut demander quelque chose que par définition, il ignore. La garantie d'une offre cinématographique diversifiée, dont l'Europe et la France peuvent être fiers, doit être la pierre angulaire de toutes les politiques culturelles : "La base, ce sont les films." Cela implique des efforts pour garantir une réelle protection des œuvres face à la contrefaçon et pour mettre en œuvre des dispositifs permettant de soutenir la diversité du cinéma et une meilleure exploitation des œuvres. Selon lui, quand un auteur cède ses droits à un producteur, c'est pour que son film soit exploité et disponible. L'exploitation suivie des œuvres devrait être la règle.
En guise de conclusion, la plupart des intervenants ont rappelé que la prochaine échéance européenne essentielle était la révision de la directive sur les services de médias qui pourrait apporter une avancée majeure : assurer l'application du principe du pays de destination afin que les plateformes assument leurs obligations d'investissement et d'exposition des œuvres dans les pays dans lesquels ils proposent leurs offres.
Ce serait là assurément un grand pas en faveur de la pérennité du soutien à l'audiovisuel et au cinéma à l'ère numérique en Europe. Cela permettrait également de faire écho à cette dernière phrase prononcée par Viviane Reding : " Notre richesse, ce sont nos créateurs."