"Les croisements artistiques s’accélèrent"
Régine Hatchondo, directrice générale de la création artistique du ministère de la Culture et de la Communication était invitée par la SACD à discuter avec les auteurs, jeudi 1er mars.
Régine Hatchondo a succédé à Michel Orier à la tête de la Direction de la création artistique (DGCA) au ministère de la Culture en janvier 2016. Elle était précédemment conseillère culture et médias à Matignon et a fait toute sa carrière dans la culture (Théâtre national de Chaillot, Quinzaine des réalisateurs, Forum des Images, Unifrance, Mission Cinéma de la Ville de Paris, Direction des affaires culturelles de la ville de Paris).
Vingt ans après son passage à Chaillot, quel regard porte-t-elle sur le spectacle vivant ? Au rang des bonnes surprises, c’est "le renouvellement des écritures dans le spectacle vivant, notamment au travers des collectifs, l’écriture de plateau, souvent en prise direct avec une réalité sociétale". Régine Hatchondo souligne d’ailleurs que "ça se sait assez peu, sans doute parce que le spectacle vivant, par essence moins confronté à un marché mondial, est moins bon communicant que les industries culturelles, comme le cinéma ou la musique".
La moins bonne surprise concerne les modes d’évaluation et d’observation des projets et des structures, à faire évoluer : "le ministère s’est beaucoup administré et à force de créer des indicateurs d’évaluation et de contrôle, on a créé des cases dans le théâtre, la musique, la danse, et l’action culturelle, qui ne correspondent ni à la réalité artistique ni aux pratiques culturelles des Français". Régine Hatchondo estime notamment que "les modes de conventionnement et de financement sont assez cloisonnés et ne prennent pas en compte les croisements artistiques qui s’accélèrent et sont portés par les artistes". Selon elle, c’est le défi majeur du ministère de la Culture dans les années à venir : "accepter des projets culturels qui sont nulle part mais qui sont partout".
12 labels inscrits dans la loi
Régine Hatchondo est revenue sur la loi Création, et notamment l’article 1 ("la création artistique est libre" ), "raillé injustement et qualifié de droit mou". Selon elle, "le droit mou peut devenir dur, via la jurisprudence", et dans un contexte difficile envers la création (Anish Kapoor à Versailles, Paul McCarthy à la Fiac), certains principes doivent être affirmés. Concrètement, en matière de spectacle vivant, les labels - au nombre de 12 (Centre Dramatique National, centre de diffusion chorégraphique, scène nationale, opéra national, orchestre national…) - sont désormais inscrits dans la loi. Ces labels structurent la politique culturelle : à chaque label correspond en effet un cahier des charges, avec des obligations de création, de production, de diffusion et d’action culturelle. Le décret qui va asseoir ces labels va paraître dans les prochains jours, et la DGCA est en train de rédiger la circulaire qui va donner vie à ce décret, avec notamment les planchers d’intervention (en cours d’arbitrage) et les conditions de nomination, de renouvellement et de sortie des directeurs.
A ce propos, une première question émane de la salle : "Est-il prévu un temps de sommeil entre deux mandats, pour éviter le jeu des chaises musicales ?" Régine Hatchondo répond que cela ne peut pas être le cas, puisque les structures ont des statuts juridiques différents et qu’il existe notamment des CDN (Centres dramatiques nationaux) avec un statut associatif, dans lesquels le directeur est forcément en CDI. Toutefois, les conditions de sortie - garantie d’une certaine somme allouée à la compagnie du directeur, obligation pour son successeur de lui assurer une production - sont de nature selon elle à pallier ce type de problèmes.
Parité : agir sur la programmation
Deuxième question de la salle : la short-list paritaire (renommée "liste courte" après l’intervention de Pascal Rogard !) est-elle inscrite dans la loi ? "Pour qu’il y ait une obligation de parité, il faut que des femmes se présentent", a répondu Régine Hatchondo, soulignant le manque de candidatures féminines, notamment par manque de confiance.
Une autrice dans la salle propose de relancer l’appel, quand il n’y a pas assez de candidatures de femmes. Cela a été fait avec succès pour la direction de l’Odia en Normandie. Régine Hatchondo explique que le nombre de femmes candidates est moins important que celui des hommes pour un CDN de 20 ou 30 personnes, mais dit retenir la suggestion.
Comme le précise Pascal Rogard, la parité est inscrite dans les objectifs de la loi et doit être accompagnée d’une volonté politique. "Je pense que cette volonté existe et les choses ont bien progressé en matière de nominations, mais il reste du chemin à faire dans les obligations de programmation. Or pour postuler aux CDN de haut niveau, il faut déjà arriver à l’échelon inférieur. La légitimité ça se construit dans le temps, c’est un combat continu avec des mesures concrètes, ça se joue sur une génération." Régine Hatchondo ajoute que la DGCA étudie aussi la question des moyens, soit les sommes accordées dans les conventionnements aux compagnies, selon qu’elles sont dirigées par des femmes ou des hommes. Sans surprise, les premiers résultats mettent en avant une différence au détriment des femmes…
La précarisation de l’emploi artistique
Un comédien, auteur et metteur en scène, demande si le ministère de la Culture peut inclure dans les cahiers des charges des CDN une partie de l’emploi sous forme de troupe ou de permanence artistique, à l’instar du modèle allemand. « Beaucoup d’emplois ont été précarisés – grâce ou à cause de l’intermittence - alors qu’ils s’exercent tous les jours, dans la durée », souligne-t-il, arguant que cette idée bénéficierait au théâtre contemporain, dans la mesure où « lorsque le public suit une troupe, il va voir ses différentes créations, quel qu’en soit le genre ».
Pour Régine Hatchondo « c’est le revers sombre de l’intermittence. Et s’il y a des troupes en Allemagne, il y a moins de compagnies et pas de statut de protection pour les artistes ». Pascal Rogard souligne qu’à défaut d’obligations en termes d’emploi permanent, il existe pour les CDN des obligations de création contemporaine francophone. Ainsi, trois des créations présentées par la structure dans la durée du premier contrat devront concerner un auteur vivant de langue française autres que celles du directeur ou directrice, et deux lors des contrats suivants.
Autre sujet lié à l’emploi : la relâche hebdomadaire durant le festival d’Avignon. Autant le code du travail oblige à cette relâche, autant il existe des dérogations, appelés congés différés. Et, alors qu’il en remplit tous les critères, le festival d’Avignon ne ferait pas partie de la liste de ces dérogations. « Est-ce que le ministère a une position pour au moins protéger les plus fragiles, les auteurs les plus précaires qui s’auto-produisent ? » a demandé un auteur, confronté à l’inspection du travail ces deux dernières années. Régine Hatchondo a dit connaître cette problématique mais ne savait pas que le problème s’était d’ores et déjà posé et en prend note.
Panchika Velez, présidente du Syndicat national des metteurs en scène (SNMS) rebondit en soulignant « la nécessité d’une réflexion plus globale sur la légalité du travail dans le spectacle vivant, où de nombreux acteurs et metteurs en scène ne sont pas rémunérés ». Pascal Rogard évoque quant à lui l’initiative du président du festival OFF d’Avignon, en faveur d’un fonds de professionnalisation pour encourager l’emploi légal et mettre en place une billetterie plus fiable, fonds auquel participe la SACD.
Projets versus fonctionnement
Enfin, un auteur des Pays de Loire est intervenu pour décrire la réalité des régions et des villes, avec « des conseillers Drac qui ne comprennent pas l’interdisciplinarité », « des élus qui jettent l’anathème sur le fonctionnement pour privilégier les aides ponctuelles aux projets », « la non valorisation de la dimension internationale des projets », « l’élu de la région qui s’intéresse à la diffusion en milieu rural tandis que celui de la ville vise les quartiers… ».
Régine Hatchondo a dit être consciente des risques d’incompréhension des projets hybrides et de certains dispositifs qui obligent les compagnies à répondre, tous les quelques mois, à des successions d’appels à projets – de l’Etat, de la région, du département, de l’agglomération, de la ville -, au détriment de la construction des projets, des tournées ou de l’action culturelle.
Toutefois, selon Régine Hatchondo, l’Etat ne peut rien seul et doit s’associer aux collectivités territoriales, qui apportent les deux tiers du financement public. « Si on veut construire des politiques intelligentes, il faut faire des contrats culturels, entre l’Etat, les grandes régions, les départements, les agglomérations, les villes… tout le mille-feuille, et se réunir plusieurs fois par an avec des objectifs précis. »
Béatrice de Mondenard