Jean-Paul Salomé : « En France, nous sommes un peu protégés, mais dès qu’on passe les frontières, c’est très dur »
Jean-Paul Salomé et Isabelle Giordano étaient les invités de la SACD, mardi 23 septembre, pour échanger avec les auteurs sur le fonctionnement d’Unifrance et les performances du cinéma français à l’international.Élu en janvier 2013, le cinéaste Jean-Paul Salomé est le premier président d’Unifrance à être issu du collège artistique. La présidence, longtemps réservée aux seuls producteurs, s’est ouverte aux vendeurs (exportateurs) et aux artistes (réalisateurs et acteurs) à la faveur d’une réforme des statuts, engagée par Margaret Menegoz, présidente d’Unifrance de 2003 à 2009.
C’est d’ailleurs elle qui a suggéré à Jean-Paul Salomé de se présenter. « J’ai d’abord cru à une blague... mais elle a insisté et il y a eu un certain élan sur ma candidature, de la part des autres metteurs en scène mais aussi des vendeurs. J’ai la chance d’avoir fait des films comme Belphégor ou Arsène Lupin qui ont voyagé et ont été soutenus par Unifrance, et je connaissais la maison de l’intérieur pour avoir fait partie de la commission artistique. Une maison qui fonctionnait bien, mais avec néanmoins quelques chapelles… J’ai eu envie de fédérer les énergies, les talents et les personnalités, et ma première mission a été de renouer les liens avec les vendeurs, qui étaient curieusement un peu tenus à l’écart et entretenaient des rapports un peu conflictuels avec Unifrance ».
Isabelle Giordano, ex-Mme Cinéma de Canal+, est arrivée trois mois plus tard pour prendre la direction générale, suite au départ de Régine Hatchondo appelée à d’autres fonctions (à la Mairie de Paris, puis au cabinet du Premier ministre).
Unifrance compte 35 salariés (dont 4 à l’étranger), dispose d’un budget de 8,8 M€ (dont 6,7 du CNC), et fédère près de 1000 adhérents représentant tous les corps de métiers du cinéma. Des équivalents existent à l’étranger comme German Films (Allemagne) ou Cinecittà Luce (Italie), mais selon Isabelle Giordano, « Unifrance est l’outil le mieux doté ». Certains pays se sont d’ailleurs inspirés d’Unifrance, comme la Corée ou le Japon, qui a même repris le nom (Unijapan).
L’avenir du cinéma français est à l’international
La France est actuellement le 2e exportateur mondial, derrière les États-Unis, mais… loin derrière comme le rappelle Isabelle Giordano. « Le cinéma français n’est pas tellement en perte d’audience, mais il y a une grosse destruction de valeur, les préfinancements diminuant par manque de débouchés TV ou vidéo. Au Japon, par exemple, on vend autant de films mais les prix ont été divisés par cinq », souligne Jean-Paul Salomé.
Les principaux territoires d’exportation sont l’Europe (Allemagne et Italie en tête), les États-Unis et le Canada (60 films par an) et l’Asie (notamment la Chine et le Japon).
Isabelle Giordano souligne qu’ « on n’aime pas le cinéma français de la même façon partout ». Ainsi, les pays de l’Est et notamment la Russie apprécient surtout les comédies, tandis que la Corée, le Japon ou les États-Unis sont plutôt amateurs de films d’auteur.
Depuis 10 ans, le cinéma français enregistre en moyenne 80 millions d’entrées par an hors de France, ce qui représente environ 400 M€ de recettes annuelles. En 2012, ces chiffres ont doublé (144 millions d’entrées, 888 M€ de recettes) grâce à trois succès : Taken 2, Intouchables et The Artist. « Tout d’un coup, on s’est dit que le cinéma français pouvait rapporter plus à l’étranger que ce qu’il rapporte sur son propre territoire », a indiqué Isabelle Giordano. Avec la raréfaction des financements nationaux, cette dernière a coutume de dire que « l’avenir du cinéma français est à l’international ».
Mais la bataille est rude. « En France, nous sommes un peu protégés, mais dès qu’on passe les frontières c’est très dur », dit Jean-Paul Salomé. Le cinéaste qui a fait 25 voyages avec Arsène Lupin (« le film idéal pour les soirées d’ouverture de festival ») a souligné le décalage entre les fantasmes qu’on peut se faire d’un déplacement à l’étranger et la réalité : « On a beau avoir fait un film à gros budget, quand on est à l’étranger, ça devient un petit film, et ce phénomène s’est accentué ces dernières années. »
Au rang des atouts du cinéma français : le nombre, la diversité des films produits et la diversité des publics auxquels il s’adresse. Au rang des difficultés : le piratage et l’essor de la consommation dans les multiplexes ou sur les plateformes de VàD, au détriment des salles de centre-ville où passe traditionnellement le cinéma français. « Aujourd’hui, la fréquentation se fait à 60 à 70% dans les multiplexes, et les films français n’arrivent pas à y entrer », a indiqué Isabelle Giordano. Des expériences sont d’ailleurs menées en ce sens. En Italie, par exemple, un accord a été signé avec une série de multiplexes de banlieue (UCI) pour qu’ils maintiennent, moyennant finances, durant au moins 2 semaines, une sélection de 7 films français. « Cela a très bien fonctionné, et cela a fait venir un public nouveau, plus âgé, et pas seulement le week-end», a relevé Jean-Paul Salomé.
« Si on enlève Besson, on divise les chiffres par combien ? » demande un auteur dans la salle. « Près de la moitié » ont répondu les deux dirigeants d’Unifrance. Selon Jean-Paul Salomé, 2014 sera une bonne année, notamment grâce à Lucy. « Mais ce n’est pas seulement les films Besson, ce sont les films tournés en anglais, avec des acteurs anglo-saxons. C’est un sujet qu’il faut prendre en compte. On ne peut pas le sous-estimer. »
Mobiliser les acteurs français : un serpent de mer
Thématique récurrente d’Unifrance : la difficulté de faire voyager les acteurs français pour assurer la promotion des films dans lesquels ils jouent. Pascal Rogard se souvient qu’il y a 25 ans, quand il faisait partie du Conseil d’administration d’Unifrance, le sujet était déjà sur la table. « C’est un serpent de mer, confirme Jean Paul Salomé. Pour faire venir les comédiens à Munich ou à Bruxelles, c’est la croix et la bannière. C’est dommage parce qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils sont dans une bulle spéculative absurde, que les salaires ne correspondent plus à la réalité du marché. Pour continuer à ces niveaux de salaire, il faudrait que ça rapporte un peu à l’international ! Malheureusement, très peu en ont conscience, et les agents ne veulent pas en parler. »
Une étude réalisée cette année par OpinionWay pour Unifrance, auprès de cinéphiles de 14 pays, montre que la notoriété du cinéma français est concentrée sur quelques noms, et se renouvelle peu. Les cinq réalisateurs les plus cités (réponses spontanées) sont dans l’ordre : Luc Besson, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Roman Polanski et Jean Renoir. Les cinq acteurs : Gérard Depardieu (loin devant), Jean Reno, Alain Delon, Catherine Deneuve et Audrey Tautou. « Des comédiens tels que Fabrice Luchini ou Vincent Lindon sont totalement inconnus en Europe et Marion Cotillard n’est connue qu’aux États-Unis », complète Jean-Paul Salomé. Isabelle Giordano tempère un peu, en soulignant qu’une nouvelle génération de producteurs mais aussi d’acteurs - comme Gaspard Ulliel ou Léa Seydoux, qui tournent dans des productions étrangères -, sont plus conscients que leurs aînés de cette problématique.
L’étude d’OpinionWay portait également sur les films. Les plus cités sont : Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, Intouchables, Taxi, Léon, et ex-aequo Amour, The Artist, Le pianiste et Bienvenue chez les Ch’tis. Isabelle Giordano a confié que Ratatouille, identifié comme un film français, figurait aussi parmi les films cités…
Une mission à la fois artistique et économique
La mission d’Unifrance est d’accroitre la visibilité du cinéma français, sous toutes ses formes et sur tous les supports. Une mission à la fois artistique et économique. En matière artistique, l’association œuvre au rayonnement du cinéma français, en menant des actions dans les grands festivals, en sensibilisant les décideurs et la presse locale, en s’assurant de la visibilité du cinéma français sur les plateformes VàD… En matière économique, Unifrance s’emploie à favoriser les exportations, en aidant au déplacement des équipes dans les grands marchés internationaux, en organisant des festivals du cinéma français à l’étranger (Tokyo, Berlin, New-York…) ainsi qu’un marché à Paris : les Rendez-vous du cinéma français, qui réunit tous les ans 450 acheteurs étrangers.
Un auteur demande comment se fait le choix des films présentés dans les festivals organisés par Unifrance. « En général, sur une quinzaine de films, 10 sont déjà vendus et sortent dans les prochains mois, les autres sont choisis par le comité Unifrance, en fonction du territoire. C’est de la dentelle… une alchimie entre un territoire et un film », répond Jean-Paul Salomé, qui ajoute être « la voix des exportateurs » et « ne pas être décisionnaire de quoi que ce soit ».
Ce qui ne l’empêche pas « de faire passer des goûts et des envies » à des exportateurs, à des directeurs de festivals ou à des exploitants… « Il ne faut pas avoir peur de parler cinéma et de défendre des films. »
My French Film Festival : 4 millions de visionnages
Les dirigeants d’Unifrance ont évoqué le festival de VàD, My French Film Festival, initiative lancée par Régine Hatchondo, il y a 4 ans pour aller à la rencontre d’un public plus jeune. L’idée est de proposer aux internautes du monde entier des premiers ou deuxièmes films français, vendus dans moins de cinq territoires. Un système de géolocalisation permet de montrer un film dans un pays mais pas dans un autre. Les films sont disponibles en 13 langues, en payant ou en gratuit (avec des sponsors), selon les habitudes de consommation des pays. My French Film Festival est repris sur iTunes et a enregistré l’an passé 4 millions de visionnages, ce qui a occasionné 12 à 15 000€ de rémunération moyenne pour les ayants droits. Ce dispositif permet en outre de tester la demande de films français. « Pourquoi ne pas exploiter la marque sur YouTube ou Dailymotion ? » a demandé Pascal Rogard. « On est en train d’y réfléchir » ont répondu en chœur les deux intéressés.
Deux territoires en vue : la Chine et l’Inde
Deux territoires aux enjeux gigantesques ont été spécifiquement évoqués : la Chine, qui possède 22 000 écrans et en vise 35 000 à court terme (quinze nouveaux écrans s’ouvrent chaque jour) et l’Inde.
Avec plus de 5 millions d’entrées, la Chine est le deuxième territoire d’exportation pour le cinéma français après les Etats-Unis. Le contingentement y est toujours de rigueur, mais la France s’en sort bien. En effet, sur les 60 films étrangers autorisés à sortir chaque année, 45 sont réservés aux Américains et 7 aux Français, soit près de la moitié du reste du monde ! Jean-Paul Salomé estime d’ailleurs que le nombre de films français susceptibles de figurer dans ces quotas (les films choisis sortent sur des combinaisons de 1 000 à 3 000 salles) n’est pas tellement plus élevé : « peut-être 10 par an en moyenne ». En revanche, il estime que 30 ou 40 films pourraient aisément trouver un public dans des combinaisons de 50 à 300 salles, comme aux Etats-Unis.
En ce qui concerne l’Inde, le marché reste très fermé. « On a ouvert un bureau à Mumbai il y a six mois, mais c’est encore très embryonnaire. Nous sommes au stade où nous essayons de comprendre comment ça marche. »
Nouvelles initiatives
Enfin Pascal Rogard a demandé quelle avait été l’impulsion nouvelle donnée par Jean-Paul Salomé depuis son arrivée. Ce dernier a évoqué principalement trois points : la Chine, territoire sur lequel Unifrance a redoublé d’efforts, l’Afrique où un opérateur français souhaite construire de nouvelles salles, d’abord au Maghreb puis en Afrique subsaharienne, et enfin le réseau de salles des Instituts français, qui ont été numérisées ou sont en train de l’être. « Nous avons un réseau de 80 salles dans le monde, et dans certains pays cela peut être très important, comme au Maroc, où l’Institut français possède 7 salles numérisées sur un total de 40 salles. Aujourd’hui, ces salles sont sous-utilisées, mais il y a vraiment matière à créer un réseau alternatif, semi-public, semi-privé, avec une programmation pour partie commerciale. »
A la fin des débats, Pascal Rogard a remercié ses invités et souligné que leur tandem marquait « un renouveau du fonctionnement d’Unifrance et de son image ». Les intéressés ont apprécié le compliment, tout en disant qu’il restait beaucoup à faire ! Ce qui a amené naturellement la question de savoir si Jean-Paul Salomé serait candidat à sa succession. « Je pense, oui… », a-t-il répondu sans hésitation.
Béatrice de Mondenard