Jean-Claude Grumberg : "Il y a d'authentiques chefs d'oeuvre dans le théâtre jeunesse"
Le dramaturge était de retour dans Mots en scène après un premier passage en 2018, pour évoquer cette fois ses pièces destinées au jeune public. Une rencontre à (re)voir en vidéo.A la fin de sa première intervention à Mots en scène, en 2018, Jean-Claude Grumberg avait promis de revenir évoquer son théâtre jeunesse. "Un continent en soi" comme l'a qualifié le journaliste Olivier Barrot le 28 janvier dernier, tout heureux de voir son invité tenir parole en honorant ce deuxième rendez-vous à la Maison des Auteurs de la SACD. Jean-Claude Grumberg, connu pour être l'auteur de L'Atelier, entre autres, est aussi en effet l'auteur de 10 spectacles à destination du jeune public.
"Comme si le monde était réuni"
S'adresser aux enfants, Jean-Claude Grumberg n'y avait jamais songé avant 1999 et cette proposition venue d'un ami, Nicolas Kent, directeur artistique du Tricycle Theatre (devenu Kiln Theatre) à Londres : le Français s'étant plaint que, chez lui, les théâtres ne passent pas de commande aux auteurs, le Britannique le prend au mot et lui demande une pièce pour les 5-6 ans. L'auteur est d'abord décontenancé, tarde à s'y mettre puis quand on lui annonce qu'il doit la rendre sous huit jours, il écrit très rapidement Le Petit Violon avec en tête de faire une sorte de Conte de Noël de Dickens en moins sombre. La pièce adjointe de chansons, sera un succès et surtout, une révélation pour Jean-Claude Grumberg. "Je me suis rendu à la première. Dans ce petit théâtre, il y avait des tas d'enfants de toutes nationalités, dans la salle et sur scène. C'était comme si le monde était réuni, était ému, riait. Ce fut un enchantement."
Déjà, une rencontre marquante lui avait laissé entrevoir les possibilités offertes par la littérature jeunesse. Avant la chute du Mur à Berlin-Est, il déjeune un jour par hasard avec un pilote d'avion, auteur de contes pour enfants, à qui il demande ce qui l'a amené à écrire pour ce public-là. Sa réponse : "Parce que ces livres, la Censure ne les lit pas." Jean-Claude Grumberg, fort de son expérience, de confirmer aujourd'hui : écrire pour la jeunesse offre une liberté sans comparaison possible avec son équivalent pour adultes. L'auteur se félicite par exemple de la latitude prodiguée par l'absence de vedettes dans la plupart des spectacles de ce type. Ou encore des faibles retours critiques. En 2007, Jean-Claude Grumberg écrit Mon Etoile, l'histoire d'un échange scolaire qui voit une famille accueillir chez elle un enfant extra-terrestre à tête de poireau. "La liberté du théâtre jeunesse, c'est que si tu veux écrire une pièce intergalactique, tu peux", s'amuse-t-il.
Sous-texte politique
Mais leur parler de choses sérieuses est aussi évidemment possible. Dans ses textes jeunesse, Jean-Claude Grumberg ne s'interdit aucunement d'aborder des thématiques adultes, à commencer par le totalitarisme. Il a écrit Marie des Grenouilles, la "seule pièce anti-fasciste" qu'il revendique, entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2002 qui opposa Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Le sous-texte politique est également bien présent dans Iq et Ox, qui met en scène deux peuples que leurs croyances opposent. Ou bien dans Pinok et Barbie, une pièce que lui inspira sa propre fille lorsqu'un jour elle convoqua ses jouets à la veille d'une collecte pour leur annoncer qu'elle allait en désigner plusieurs à destination du "pays où les enfants n'ont pas de jouets". L'auteur en tira une fable hommage au Pinocchio de Collodi sur le trajet chaotique vers un village africain d'un pantin et d'une poupée destinés à être donnés à des enfants dans le besoin. Et puis il y a Le Petit Chaperon Uf, au départ un texte sur la Shoah commandé pour la radio, qui voit la jeune héroïne du conte tomber nez-à-nez avec un loup en uniforme inspiré des SS, qui veut l'obliger à revêtir un chaperon jaune.
Pour Jean-Claude Grumberg, il est évident que le théâtre jeune public produit d'authentiques chefs d'oeuvre, d'une innocence et d'une fraîcheur qu'il juge inégalables. Reste la question d'en vivre lorsque l'on est auteur. Lui-même est édité, chez Actes Sud, mais détaille-t-il, "Le Petit Violon a mis 20 ans à être considéré comme un succès de librairie". Son dernier texte jeunesse, Moman, date de 2015. Et Jean-Claude Grumberg n'envisage pas vraiment de lui donner un successeur. "Pour ce qui est des pièces, je pense que ça s'est tari", concède-t-il. Dernièrement en 2019, il a écrit un roman ou plus précisément un conte, La plus précieuse des marchandises, paru au Seuil, dont il se félicite du succès : "il semble avoir une vie hors-sol ; ça pousse tout seul, ça s'édite dans le monde entier..." Malgré tout, l'envie de reprendre la plume commence à se faire rare. "A partir de 80 ans, on ne fait plus tellement de projets, analyse-t-il. On vit dans le regret de ne pas avoir écrit davantage." S'il en est bien un pourtant qui devrait n'éprouver aucun regret au regard de sa production personnelle, c'est bien lui : dramaturge, romancier, auteur jeunesse, il est aussi scénariste (notamment de Costa-Gavras). Prolifique à tel point que deux numéros de Mots en scène n'auront pas suffi à embrasser la totalité de son oeuvre.