Théâtre 03 mar 2014

Hommage de Jean-Marie Besset à Alain Resnais

Le dramaturge, ancien administrateur de la SACD, salue la mémoire du cinéaste qui entretenait "un rapport intime et passionné avec le théâtre".

Ce que je retiens du grand cinéaste Alain Resnais, c'est son rapport intime et passionné avec le théâtre. Les auteurs de théâtre.

Quand je lui parlais de ma nouvelle adaptation de Wilde, L’Importance d’être sérieux, il me disait avoir assisté à la création française, en 43, au Jeune Colombier (l'actuelle Comédie de Paris), rue Fontaine, et ne l'avoir pas revue depuis. Nous nous étonnions que le chef d'œuvre de la comédie anglaise ait mis 50 ans à traverser le Channel (la pièce eut sa première à Londres en 1895). A cause des "mauvaises moeurs" de son auteur sans doute.

Nous parlions de l'art de la comédie. Brecht à Paris n'allait voir que des pièces de boulevard.

Lubitsch, Cukor, Mankiewicz ont consacré beaucoup de leurs efforts à l'adaptation de comédies à l'écran. Resnais leur a emboité le pas.

Il a réussi à changer le regard que le public français ne portait plus sur des dramaturges considérés comme dépassés ou poussiéreux.

Mélo a permis de réévaluer Bernstein. Vous n'avez encore rien vu a fait découvrir le théâtre d'Anouilh à la jeune génération. Trois adaptations du prolifique Britannique Alan Ayckbourn ont révélé chez cet auteur "léger" des abîmes ibséniens.

C'est curieux comme Resnais et d'autres maîtres du cinéma ont fait de grands films à partir de pièces apparemment futiles. En laissant bizarrement de côté lesdits grands auteurs de théâtre, Tchekhov, Ibsen, Brecht, Marivaux... Curieux paradoxe.

Mais un roman à l'eau de rose comme Autant en emporte le vent n'est-t-il pas devenu un chef d'œuvre au cinéma? Lors de notre première rencontre, en 93, Alain Resnais m'avait dit qu'il n'avait jamais vu ce film. Ses raisons m'avaient interloqué: "Je l'ai raté à sa sortie (en 39)... et ensuite les copies projetées n'étaient pas fameuses... et à la télévision, bien entendu, pas question." Belle leçon de rigueur pour les étudiants en cinéma qui seraient tentés de découvrir Hiroshima mon amour sur leur ordinateur en appuyant sur la touche "avance rapide"...

Comment ne pas penser au cadeau qu'il m'avait fait de ces quelques lignes (il n'écrivait guère) à propos de mon Banquet d'Auteuil, pièce qu'il aimait, lors de sa création à Montpellier au théâtre des 13 vents en janvier dernier ;

Molière devant sa Solitude.

Il lutte, il combat, rameute toutes ses ruses,

en invente de nouvelles.

Mais c'est Elle qui gagne,

Sans effort apparent.

L'image de la mort (sa face de crâne avec les ailes angéliques) est le dernier plan de Aimer, boire et chanter, sous la forme d'une carte postale en noir et blanc que dépose une adolescente sur le cercueil de l'homme qu'elle aimait.



Molière, Resnais, le théâtre, la jeunesse et la mort.



Jean-Marie Besset