Hommage à Didier Bezace
Dominique Sampiero, membre du Conseil d'administration de la SACD, salue la mémoire du metteur en scène et comédien disparu le 11 mars dernier.La justesse, le regard vif de l’utopie
Tous les membres du conseil d’administration de la SACD ont eu une pensée émue pour Didier Bezace à la fin de notre conseil de ce jeudi 12 mars 2020. C’est dans le mouvement de cet échange que j’écris ces lignes.
J’ai toujours été impressionné par l’autorité naturelle, l’élégance qui se dégageait de ce « hussard de la République » au costume gris, au regard tantôt tendre, tantôt acéré, qui aimait vous fixer droit dans les yeux, puis droit dans votre ciel, avec une intelligence à vif, un sens inouï de la répartie, surfant entre une ironie à l’anglaise et une vision aigüe du monde. Une distance puis une proximité immédiate.
Ce mousquetaire du théâtre populaire comme le qualifie Le Monde, inventeur d’une écriture scénique et du jeu d’acteur, à la voix grave, chaude, au groove quasi jazz, posée entre sévérité et émerveillement passionné, toujours maîtrisée, était capable de passer du rôle de conteur visionnaire, de flic ou d’inspecteur d’académie, à celui de l’amant fervent, courtois.
Ses yeux, au fil des années, ce regard armé puis désarmé qui passait d’une émotion à l’autre à la vitesse de la lumière, cette silhouette affairée à l’essentiel, nous ont racontés l’engagement vital, le combat d’un homme au théâtre de la Commune capable des luttes sociales les plus audacieuses à travers les textes de Pirandello, Brecht, Molière comme des transes de l’entêtement, la poésie de l’engagement amoureux, avec les trois pièces qu’il a montées de Marguerite Duras.
Cette « jeunesse d’aimer » toute sa vie la littérature, de nourrir de sa vision la poésie, le cinéma, le théâtre, la mise en scène et la lecture de textes poétiques, il l’emporte avec lui comme il a emporté un peu plus loin notre conscience et nos émotions, dans notre sincérité avec le monde. Nous laissant en héritage une façon unique et singulière d’être là, d’être avec, au plus haut et au plus bas de la réalité sociale, avec une authenticité juste, affûtée.
Les dernières images de lui dans cet ultime rôle de l’homme qui s’en va, reflètent la même humilité, la même émotion humble de celui qui reçoit le Molière pour La Version de Browning en 2005. Une sorte de solitude essentielle devant toute épreuve qu’elle soit celle du succès ou celle d’une recherche constante de la perfection. L’intégrité de l’enfant qu’il a été et dont il a livré peu de confidence affleure dans son visage comme un secret qu’il emporte.
C’est idiot de lancer des fleurs à quelqu’un qui n’est plus là, n’est-ce pas ? C’est comme lui rendre un peu de ce qu’il nous a donné. Continuer de penser à lui pour reprendre le flambeau de son désir d’utopie.
Dominique Sampiero