Hommage à Valérie Guignabodet
Le scénariste Franck Philippon rend hommage à la cinéaste, disparue le 23 février.
Très chère Valérie,
Une fois n’est pas coutume, tu me laisses écrire tout seul cette dernière scène. Et c’est une scène impossible. Insoutenable. Ta disparition.
A chaque fois que nous écrivions ensemble, tu me disais que tu n’aimais pas les fins d’histoire. Les dernières pages du scénario te mettaient dans tous tes états. Tu pestais. Tu disais n’être pas douée pour ça. Finir. Je te le confirme : ce départ soudain, si tôt, si jeune, ne colle pas du tout. Si seulement je pouvais te proposer une nouvelle version…
De toute façon, je ne peux pas croire que tu es à l’origine d’une fin aussi merdique. Toi, la brillante scénariste, tu ne le savais que trop bien : le Deus Ex Machina, c’est bon pour les scénaristes fainéants ! Non, c’est sûr, cette fin, on te l’a imposée. J'ignore qui est l'abruti là-haut qui a eu cette l'idée stupide, mais il faut lui dire de changer de métier. Tout de suite.
Tu n'aimais pas tes fins et pourtant, pour ton prochain film, on l’avait enfin trouvée. C'était la semaine dernière, à l'issue d'une énième réécriture. Tu l’aimais cette nouvelle fin. Et elle te rendait pleine d'espoir. Depuis que Philippe Godeau, ton producteur fétiche, ton ami fidèle, avait pris les rênes de la production, tu le savais : tu allais le tourner en 2016 ce film !
Une fois de plus, c’était un destin de femme. Que ce soit dans la comédie, où tu excellais avec ton style grinçant, ou dans le drame, tu aimais ces personnages de femmes volontaires, passionnées, courageuses. Ce n'était pas par hasard évidemment.
Ton premier film Monique avait donné le “la” : déjà Marianne Denicourt débarquait, fusil de chasse en main, pour faire la peau à cette satanée poupée gonflable qui lui piquait son mari. Dans Mariages !, tu avais choisi pour dernière image Lio, seule sur la route, sur son chemin d’émancipation. Et quand tu avais décidé de te frotter au drame, avec Danse avec lui, c’était pour raconter l’histoire d’une femme, incarnée par Mathilde Seigner, en pleine reconstruction, grâce aux chevaux, après la mort de son mari.
Dans toutes ces femmes, il y avait de toi. Ton caractère entier. Ton côté frondeur. Passionnée. Révoltée aussi. Grande gueule parfois. Une belle âme, pleine de générosité. Une amie fidèle, attentive, bienveillante. Qui aimait réunir ses amis autour d’une grande table, d’une bonne bouteille de vin et de rigolades tonitruantes. Le tout sous le regard bienveillant et aimant de ton Emmanuel.
Tu avais la passion des chevaux — ils enseignent l’exigence et l’humilité disais-tu. Cavalière émérite, tu t’étais spécialisée dans la discipline la plus pointue, le dressage. Tu savais faire corps avec ta monture. Et à te regarder faire danser ces pur-sang athlétiques, je ne pouvais m’empêcher chaque fois d’y voir la parfaite métaphore de ton travail d’auteur scénariste-réalisatrice. L’humilité. La rigueur. L’obstination. Et Dieu sait qu’il en faut dans ce milieu impitoyable du cinéma où il est de plus en plus difficile de monter les films qui tiennent à cœur…
Elevée à la dure école de l’équitation, tu ne craignais pas les ruades de la vie, et savais remonter en selle avec détermination quand il le fallait. Tu savais aussi prendre le risque de sauter par-dessus la barrière pour galoper dans de nouveaux territoires. Tu avais commencé ta carrière de scénariste à la télévision, avec la mini-série Dans un grand vent de fleurs et la série Avocats & Associés, créée avec ton complice Alain Krief. Deux beaux succès. Et onze saisons à la clé. Après ce démarrage tonitruant, tu avais décidé de bifurquer vers le cinéma. Tu voulais devenir réalisatrice. Pour travailler avec les acteurs. Monique avait ouvert la voie, le succès de Mariages ! avait confirmé au grand public et à la profession ton talent inné pour la comédie.
Après quatre films — dont ce Divorces que nous avions écrit ensemble —, tu avais eu envie d’explorer de nouveaux territoires. Tu avais alors réalisé une série de documentaires sur l’équitation, qui t’avait permis de rencontrer les grands maîtres de la discipline. Et récemment, tu étais revenue à la télévision, comme réalisatrice, pour mettre en scène ta première série, Sam. Avec Mathilde Seigner, une fois encore. Tu venais à peine d’en terminer la post-production.
Après cette ultime semaine de réécriture à quatre mains, pour mettre la touche finale au scénario, tu étais pleine d’énergie et d'enthousiasme à l'idée de tourner enfin ce projet qui te tenait tant à cœur. Qui nous tenait tant à cœur.Sans aucun doute le plus beau scénario que nous avions écrit ensemble.
Ce mauvais scénariste, là-haut, en a décidé autrement.
Adieu Valérie. Tu me manques déjà...
Franck Philippon